Magazine Humeur
Economie de l'environnement (quatre) - Les enjeux
Publié le 19 septembre 2008 par SaucratesRéflexion vingt-sept (19 février 2007)
Le concept de judiciarisation
Ce concept a été inventé pour rendre compte de l'empiètement croissant de la justice dans les inter-relations humaines et sociales. Il traduit l'accroissement des plaintes et des jugements, et concerne plus particulièrement (mais pas uniquement) les entreprises. Ce recours plus important à la justice est encore plus sensible aux Etats-Unis qu'en France ou en Europe, principalement en raison d'avocats rémunérés en fonction des résultats de leurs procès et de l'existence des procédures sous formes d'actions collectives (ou 'class actions'). Plus largement, le système judiciaire des Etats Unis d'Amérique fonctionne différemment de notre propre système judiciaire, avec au delà de cette différence en terme de possibilité de rémunération des avocats et des actions collectives, des juges élus, des jurys populaires dans de nombreux procès et non uniquement aux Assises comme en France, une instruction judiciaire pénale menée uniquement à charge et non à décharge, et surtout une cour suprême (fédérale) disposant des attributions cumulées de notre cour de cassation, de notre conseil d'état et de notre conseil constitutionnel, avec un pouvoir d'interprétation des lois supérieur à celui de leurs homologues français.
Ce concept connu de judiciarisation croissante est plus souvent assimilé à une contrainte pour nos sociétés qu'à un avantage. Il permet un fort développement des activités lucratives des avocats, mais introduit un risque majeure d'incertitude juridique pour les entreprises. On en arrive aussi parfois à des aberrations, avec des enfants condamnés pour harcellement sexuel à l'égard d'autres enfants pour des jeux parfois innocents, ou bien des condamnations pour harcellement sexuel pour un regard échangé dans la rue.
Mais c'est également cette incertitude juridique qui a permis d'imposer aux entreprises la prise en compte de l'aspect protection de leurs salariés, de leurs clients ou de leurs voisins. Cette judiciarisation est récente et remonte à peine à quelques décennies. Lors des premières plaintes déposées par des salariés victimes ou des personnes habitant à proximité d'usines polluantes, on peut imaginer les doutes et les obstacles que ces personnes dûrent surmonter pour faire instruire et plaider leurs affaires. De nombreux procès dûrent être perdus avant que des salariés ne soient reconnus comme victimes possibles du manque de prévention de leurs employeurs. On se rappelle en France les jugements sur les empoisonnements par l'amiante (bâtiment) ou par le mercure (sidérurgie).
Est-il excessif de déclarer que la judiciarisation de nos sociétés est la seule possibilité pour faire évoluer notre système économique pour un grand respect de l'environnement par les entreprises ? C'est en tout cas la manière dont les entreprises, qu'elles soient capitalistes ou d'état, ont été contraintes par le passé d'intégrer les conséquences de leurs activités polluantes (ou dangereuses) sur un premier groupe de sujets de droit. Initialement, au cours de la première moitié du vingtième siècle, quiconque aurait prédit aux grands majors américains qu'ils devaient faire attention à la santé et aux risques encourus par leurs salariés, serait passé pour un dingue. Aujourd'hui, des jugements de plus en plus nombreux l'imposent aux entreprises dans les pays occidentaux et dans une moindre mesure dans les pays en voie de développés, et cette obligation commence à être intégrée par le capitalisme, au titre de la prévention des risques. Il ne faut donc pas désespérer sur une prise en compte futur de leur environnement par les grandes entreprises, même pour les atteintes indirectes sur le climat, pour les conséquences sur notre biosphère, ou pour la prise en compte des attentes ou des risques de l'ensemble de l'humanité, riche ou pauvre.
Cette prise en compte passera toutefois nécessairement par une extension du champ d'intervention de la justice, notamment dans les pays en voie de développement où les législations (en matière de travail, d'environnement ...) sont moins contraignantes que dans les pays occidentaux et où la reconnaissance des droits individuels est plus limitée. Elle passera aussi, même dans les pays occidentaux, par une évolution des jurisprudences et parfois par une extension des pouvoirs d'interprétation des lois des instances judiciaires, pour que les droits de l'environnement, de la biosphère, des pauvres au sein de la population et les générations à venir y soient intégrés. Car malgré tout, les diverses instances judiciaires, comme plus largement le monde politique et le législateur, sont souvent du côté des puissants dans nos sociétés occidentales ou en voie de développement. Les puissants de nos mondes y sont plus souvent représentés que les très pauvres, et il y existe des lobbys extrêmement bien organisés pour peser sur les prises décisions politiques ou judiciaires.
Nous sommes donc en face d'un long combat qui risque de s'étendre sur plusieurs générations, pendant lequel les atteintes à l'environnement, au climat et à la biosphère de notre planète, continueront de s'aggraver.