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Accoucher d'un cauchemar

Publié le 08 septembre 2008 par Yannbourven
J'avais beau essayer d'oublier ma vie, mon passé qui m'étrangle encore, je suis derrière moi, me pourchassant, comme un tigre changé en courant électrique, je dois me reproduire, je suis prête : mon ventre est énorme, et je traverse la forêt, je suis ce sentier qui mène à la voie ferrée, j'accoucherai seule, au bord des rails qui sonnent vrai, je suis tout le temps seule, il fait nuit, personne ne doit me surprendre, je pousse, pousse, fluides, et mille lames et pousse ! je m'ouvre, le sang et la merde se mélangent sur cette terre bouffée ! j'ai mal ! cet enfant vivra ! Viens ! bon dieu viens, viens mais viens ! Les étoiles creusent ma peau tendue comme un paquebot sinistre qui se déplace difficilement sur une mer sucrée et sorcière et tempête et mon col dilaté broie la terre : geste-prière, mes maux proviennent du ventre de la réalité, je continue, et pousse encore, et pousse nom de dieu : trou-démon, les drogues que je me suis injectées ne me font plus rien, aucun animal sauvage ne viendra me persécuter désormais. Un train s'amène, mon souffle discontinu provoque son déraillement, hurlements, puis plus rien, plus un bruit, une épaisse fumée noire, et aucun survivant ! Les larmes-espèces se faufilent en dansant sous mes fesses et les mains-ordures de la nuit m'aident à extraire ce bébé, oh, mon bébé, oh, viens, je t'en prie, je vais crever viens mais viens les mains, les mains de la nuit que je croyais parfaites se changent en dix cadavres de rats qui me serrent, viens – la peau morte des siècles –, viens, mon ange dégueulasse, viens, je t'en prie, mon petit prophète pervers, viens fouiller, viens, nous t'attendons – viens torturer les hommes – ce sera la dernière fois, viens, et ils souffriront pour de bon, nous entendrons la couleur terrible de leurs cris dans nos coeurs de plâtre. Je souffle un peu, regarde autour de moi : personne, les sources et les vipères se couchent, pendant que mon bébé traverse les strates émotives de toutes les femmes abandonnées. Mon mari m'a déjà oubliée, je le sais je le vois souvent s'éclater avec des hommes et des femmes lors de partouzes insensées, j'ai installé une caméra microscopique tout au bout de son gland violet. Mon petit chou, p'tit enfoiré, viens mon enfant, grâce à mon miroir sulfurique que j'ai placé devant mon antre puant j'entrevois les parois puis la tête de mon enfant qui arrive, sa bouche qui vomit un poisson triste sur l'histoire avec un grand H, puis je l'entends, ma puce, il pleure il est donc vivant il est vivant, ça vous la coupe ça vous surprend, tremblez tas de cloportes suintez vos bouches souriantes et percez le ventre de toutes les futures mamans Le Sauveur est là. Mon bébé mon bébé bébébébébébébébébébébébébébébébééééé. Je coupe le cordon et il est dans mes bras, je le regarde plus attentivement : il n'a pas mes yeux, autour de moi c'est la décrue des sentiments, le soleil se lève, je le regarde encore, les sacs plastique volent au-dessus de mes tétons, il a soif le gamin, et il se lève, s'écarte, craque une allumette, et me frappe, et me frappe encore. Et brûle mon ventre flasque de toutes ses dents, me tire les cheveux me crie des ordures m'arrache les oreilles me donne des coups de pieds dans la tête, il me mutile, me traîne dans la boue, m'arrache les ongles et me frappe encore, me casse les jambes, ce n'est pas mon enfant, je viens d'accoucher d'un cauchemar, un vrai de vrai, un fou, un de ceux que je fabrique souvent, la nuit, quand ma vie se tient au bord du précipice, ce mioche immonde refuse de vivre, il aimerait tant retourner dans mon ventre, alors il l'ouvre, il me dénoue l'intestin le tire vers lui et se le met autour du cou comme une écharpe, puis il s'acharne à me vider, organes jetés vers les fossés, côtes arrachées et utilisées comme matraques, il souffle, et me vide, me vide, il se faufile dans mon corps, s'installe gentiment, se recroqueville, recoud mon ventre de l'intérieur, et s'endort enfin... Je me lève, le ventre rond, je m'en vais, les hommes ont eu chaud, la crise est terminée, pour le moment, mais ne vous réjouissez pas trop vite : un jour je retournerai en ville et j'accoucherai encore, plusieurs fois s'il le faut, je libérerai mon petit monstre, il se mêlera à la foule sordide, et vous serez assassinés, l'un après l'autre : car la nuit est un être multiple – les mères de famille sont des astres sanglants et pleurent souvent quand elles se réveillent – je suis une femme seule, et mon monde n'est pas encore né.

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