Magazine Journal intime

Valse avec Bachir

Publié le 02 octobre 2008 par Corcky
C'était le Nouvel An juif, récemment.
Chez nous, on dit Rosh Hashana.
Du coup, lundi soir, on était invitées, ma femme, ma fille et moi, chez une cousine de ma mère qui centralise chaque année les restes de religiosité familiale dans son deux-pièces tout équipé de la rue du Faubourg Saint Antoine.
Moi, comme tu le sais sans doute, j'adore ma famille.
Je t'ai déjà expliqué qu'à cause de la Shoah et tout ça, on était tous un peu fâchés avec Dieu, limite on serait devenus antisémites juste pour Le faire chier. D'ailleurs, le tout petit bout de famille qui nous reste (vu que la plupart de ceux qui étaient nés avant 1939 ne sont jamais revenus de Pitchipoï, comme on appelait cet endroit mystérieux où on envoyait les Juifs d'Europe à l'époque), ceux qui restent, donc, jurent leurs grands dieux qu'ils se sentent encore moins juifs que le cardinal Lustiger, que tout ça c'est très surfait et que comme disait Groucho Marx: "Je ne voudrais pas faire partie d'un club qui m'accepterait comme membre".
Bon.
Ce qui est bien, et qui donne raison à Woody Allen quand il prétend que 90% de la clientèle des psychanalystes est composée de juifs d'Europe, c'est que tout en proclamant leur indifférence haut et fort à qui veut les écouter, ces adorables septuagénaires passent l'essentiel de leur temps à faire des blagues à la Mel brooks et à lire les bouquins de Hilberg ou de Steiner, un peu comme quelqu'un qui, ayant une douleur dentaire insupportable, ne peut s'empêcher d'aller passer et repasser sa langue pile poil sur la carie assassine. Et je dois dire que je les comprends, vu que s'ils ont réussi à traverser l'année 1942 sains et saufs, c'est seulement parce qu'on les avait planqués chez des bonnes soeurs ou chez des paysans au grand coeur (comme quoi, ça existe).
La seule personne qui ne la joue pas schizophrène, dans le lot, ben c'est justement la cousine qui invite tout le monde à bouffer le soir du Rosh Hashana.
Elle arrive même à  baragouiner deux ou trois prières dans un hébreu approximatif, c'est dire, vu que tout le monde est quand même plus porté sur le yiddish.
Alors ce que j'aime, pendant ces dîners, c'est voir toutes ces vieilles gonzesses (oui, l'espérance de vie étant ce qu'elle est, il reste essentiellement des yentee dans la famille) 
s'engueuler copieusement, quel que soit le sujet et même quand elles n'ont pas encore entamé la bouteille de vin casher (oui, y'a du vin casher, je suppose que ça veut dire qu'il est écrasé dans des cuves par des rabbins à papillotes qui chantent "Mein yiddish Mame" en dansant).
Du coup, depuis des années, et selon un accord tacite, il y a un sujet qu'on n'aborde pas à table, c'est le conflit du Proche-Orient.
Parce que la cousine casher, elle a son opinion sur le sujet.
Et les autres cousines moins casher, elles ont la leur.
Et en règle générale, tout ça ne se termine pas en chanson, mais plutôt en baston.
Et comme tu commences à me connaître, cher lecteur, tu te doutes bien que moi, ce qui m'intéresse le plus dans l'histoire, c'est pas tant l'élection de Tzipi Livni et la démission d'Olmert, ni l'avenir des colonies (perso, je te démonterais tout ça façon "Ikéa", manu militari, et on en parlerait plus, mais personne ne me demande jamais mon avis, à moi ).
Non.
Moi, ce qui me fait bicher dans ces moments-là, c'est d'allumer une petite mèche, et puis de regarder le feu qui prend.
C'est très con, mais que veux-tu? La vie est suffisamment pleine de tsouriss, on a bien le droit de se détendre comme on peut.
Le truc, quand tu veux vraiment foutre la merde, c'est de le faire avec discrétion et avec distinction.
Seul un shlemil aborderait la question avec sa bite et son couteau, de la manière la moins subtile possible, en attaquant directement par un tonitruant "et qu'est-ce que vous pensez de la manifestation des intégristes orthodoxes à Hébron, l'autre jour?".
Là, tu allumes une flambée monumentale, mais tu peux être sûr que ça va te retomber sur le coin de la tronche presto.
Nan.
Ce qu'il faut, cher lecteur, c'est du doigté, de la subtilité.
De la mesquinerie, oui, aussi.
Par exemple (et je ne cite cette méthode que parce que je l'ai testée pour toi, ami lecteur), tu peux lancer ton attaque en adoptant l'angle culturel.
C'est tout bête, et ça marche drôlement bien.
Moi, l'autre soir, il m'a suffit de parler cinoche.
Oui.
Juste ça.
J'ai avalé la dernière bouchée de mon gefilte fish, j'ai fait un grand sourire à tout le monde, et j'ai lancé à la cantonade:
- Tiens, au fait! Quelqu'un est allé voir Valse avec Bachir?

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