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Splendeurs et misÈres des blogueurs

Publié le 07 octobre 2008 par Zoridae
[Contribution de Didier Goux]
SPLENDEURS ET MISÈRES DES BLOGUEURS
Ou Nous sommes tous des déshonorés de Balzac
L’écran du blogueur n’est pas la page blanche de l’écrivain. La page de l’écrivain est vierge et vide à la fois, même lorsque l’écrivain travaille sur ordinateur. Alors que, derrière l’écran du blogueur, parfois même dedans, ça grouille, ça se contorsionne, ça ricane ; parfois aussi ça encourage, ça flatte, ça louange ; il arrive même que ça sourie. Bref, il y a du monde, et c’est ce qui fait qu’un blogueur ne peut être écrivain, alors qu’un écrivain peut parfaitement tenir un blog si cela lui chante ; c’est injuste, mais c’est ainsi.
L’écrivain est seul, c’est ce qui fait sa grandeur, et aussi ce qui, le plus souvent, le précipite aux enfers de l’impuissance. Il est à la fois le juge unique et l’unique condamné ; il prononce la peine et l’exécute d’un même mouvement ; dans la salle d’audience déserte, il se dédouble afin de pouvoir simultanément occuper le box et siéger au bureau des juges.
Pendant ce temps, l’homme-au-blog est au centre de la piste et fait claquer le fouet du dompteur pour impressionner les adultes, affublé d’un nez rouge dans l’espoir de rameuter aussi leurs enfants ; il est en représentation. La solitude indispensable à l’écrivain, constitutive de lui-même, il l’ignore, la craint, la repousse. Le blogueur veut la foule, et surtout une foule en quelque sorte divisée contre elle-même, tel le Satan des Évangiles. Car les silhouettes sans visage qui parsèment les gradins du cirque sont ses commentateurs toujours prêts à se plier docilement à la louange ou à l’invective selon la demande qui leur est faite par le dompteur ; mais ils sont aussi des blogueurs concurrents.
Si bien que, dans un même mouvement, ils font offrande à l’homme-au-blog d’un nouveau public, tout en cherchant insidieusement à lui siphonner celui qu’il a déjà et qu’il pense avoir définitivement conquis. Ils sont ses « modèles-obstacles », au sens que René Girard donne à cette expression, ceux qui l’exhortent à se prendre pour un écrivain, et l’empêchent par là même de le devenir jamais. Double bind.
L’homme-au-blog, tournant sans fin autour de la piste, deviendra peut-être un fort habile jongleur ; s’il met assez bas le prix du ticket d’accès, il fera sans doute chapiteau comble tous les soirs. Il y aura des ris et des clameurs d’enthousiasme sous la toile, des rafales d’applaudissements et quelques huées.
Mais il ne sera jamais écrivain, même s’il devient imbattable dans l’art d’en enfiler le costume avec drôlerie et célérité. L’écrivain est condamné à avoir au moins du talent et à le découvrir seul ; l’homme-au-blog a choisi d’avoir un public : pour en assurer la pitance journalière, il ne peut rien d’autre que bidouiller de petits sketchs plus ou moins scintillants, pour faire épanouir la rate du vulgaire. Et plus il jouera à l’écrivain, plus son nez rouge se verra, grossissant comme s’allonge celui de Pinocchio, et pour la même raison exactement.
La solitude sans faille de l’écrivain risque fort de l’abattre avant terme ; la cour de l’homme-au-blog le condamne à une représentation sans fin, au cirque éternel. Et le ver rongera sa peau comme un remords.

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