Tandis que Monsieur Si-t’as-envie-de-te-suicider-regarde-mon-émissions’entretient avec chaque membre de l’équipe, l’ambiance est électrique au sein de l’open space où je me trouve. Chacun fait mine de s’affairer, mais un malaise est palpable, sans que j’arrive à en connaître la raison. Ben oui, s’il y en a une qui doit stresser, c’est Bibi, pas les autres ! Après réflexion, j’en arrive à la conclusion qu’ils doivent être tout simplement stressés par la réunion avec le gourou, ou encore pour une autre raison que j’ignore (oui, je suis naïve).
De mon côté, je suis au 36ème dessous. Non, que dis-je, je suis dans le magma. J’ai les oreilles qui bourdonnent, la tête chauffée à 180 °C, et je ne cesse de repenser au désastre de ma première journée. Néanmoins, j’essaye de m’auto-rassurer en me disant :
« Attends, c’est bon, c’est quoi ce bordel ? Tu ne vas pas te prendre la tête pour un vieillard sénile. En plus, si ça se trouve, tu te fais des films, tout va bien, c’est déjà oublié, c’est du PASSE, c’est du PASSE, c’est du PASSE… ».
Soudain, alors que je fais semblant de travailler et que je m’étais presque convaincue, j’entends à travers la cloison du bureau de Monsieur Si-t’as-envie-de-te-suicider-regarde-mon-émission:
Monsieur STAEDTSRME*: C’EST QUOI CETTE HISTOIRE !!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Bizarre. Dis donc, il a l’air vraiment en pétard… Je trouve cela étrange comme situation : je n’ai jamais vu quelqu’un hurler aussi fort au boulot. On dirait presque un sketch. Cela étant, je n’y prête pas attention plus que cela. Je veux dire, ce n’est pas une nouveauté, dès le départ, j’ai senti qu’il était timbré, et la recruteuse m’avait déjà bien préparée à sa personnalité borderline. A ce moment là, je ne savais pas qu’on en était qu’aux amuses-gueules là…
Petit aparté : Comme vous le constatez, à cet instant précis, je ne fais aucun lien avec notre anecdote du matin. Et pour cause, je ne suis qu’une stagiaire, présente depuis une pauvre semaine et un jour, et je ne pense pas être un élément capital de la production, ni moi, ni mon petit expresso au thé d’ailleurs. Ben en fait, figurez-vous que si. Il faut croire que je suis trop modeste.
Je reprends mon activité et tout à coup, j’entends de plus en plus de mots qui appartiennent au maigre champ lexical de mes fonctions :
Monsieur STAEDTSRME* : INVITEEEEEEEEE !!!!!!!!!!!!!!!!!!! MAQUILLEUSEE !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Je commence à tendre l’oreille davantage. Enfin, pas besoin de se concentrer excessivement, même les voisins d’en face avec la télé et la stéréo à fond entendent ce qui se dit dans ce bureau.
Monsieur STAEDTSRME* : CAPSULES A CAFEEEEEEEEEEEEE !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! TU ME COMMANDES DES CAPSULEE JE MEN FOUUUUUSSSSSSS !!!
Bon ben là, je crois que c’est clair. C’est bien de moi dont il s’agit dans ce bureau. D’ailleurs, vous savez qui se prend les postillons sur la gueule à ce moment là ? C’est l’assistant réal’. Vous vous rappelez ? Celui-là même qui n’avait pas trouvé utile de m’aider à la machine à café. Dommage pour lui.
Mais c’est encore plus dommage pour moi. J’entends les membres de l’équipe qui discutent entre eux : « Ouais mais moi, je ne peux pas aller chercher les invités, j’ai déjà TROP à faire… ».
Moi, je suis là, toute seule sur mon bureau comme une misérable. Personne ne me dit ce qui se passe, je suis…
Monsieur STAEDTSRME* : JE VEUX QUELQU’UN QUI SOIT AU COURANT !!!!!!!!!!!!!!!
Pardon, j’ai été interrompue dans mon article. Oui c’estMonsieur Si-t’as-envie-de-te-suicider-regarde-mon-émission, il estencore dans son bureau à cracher son venin. Pardonnez-le, il est détraqué. Faut dire, 50 ans d’émissions qui donnent envie de se suicider, ça laisse des séquelles.
La porte du bureau s’ouvre enfin, et l’assistant réal’ sort de là blanc comme un coton-tige, et le corps comme un chewing-gum. Le pauvre, il a passé un sale quart d’heure. Ensuite, c’est au tour de la recruteuse, j’entends toujours des éclats de voix, mais comme je suis devenue sourde entre-temps, je ne peux plus vous dire de quoi il s’agissait.
Une fois que la recruteuse a fini son quart d’heure, elle vient me voir et toute peinée (elle m’aimait bien), me dit « Qu’est-ce qui s’est passé ce matin Dalyna avec la maquilleuse… ». Je lui réponds que je ne sais pas…
Je ne sais pas ce qui s’est passé, je ne sais plus comment je m’appelle, je sais juste que j’ai 25 ans, un jour à mon actif dans cette foutue rédaction, et que j’ai réussi à créer un clash comme j’en ai jamais vu. Tout a commencé avec un café raté…
La journée suit son cours, et j’ai le soutien de quelques membres de l’équipe. J’ai sympathisé notamment avec la documentaliste et une autre assistante, qui me répètent que Monsieur Si-t’as-envie-de-te-suicider-regarde-mon-émissionest totalement barge, qu’il a des problèmes d’énervements, qu’il faut qu’il se fasse soigner. Mais cela ne suffit pas à me redonner la pêche.
L’après-midi, je suis morose. Je ne parle pas, j’ai envie de partir, je suis écœurée, et je me fais des films dans ma tête où je fous un coup de boule à la Zidane à Monsieur Si-t’as-envie-de-te-suicider-regarde-mon-émission. La recruteuse remarque mon état, et elle me demande de venir dans son bureau en parler.
Elle me demande de lui expliquer ce qui ne va pas, et là, la grosse loose, j’ouvre à peine la bouche que je me mets à pleurer. Je lui dis que c’est injuste, que c’est nul comme stage, que Monsieur Si-t’as-envie-de-te-suicider-regarde-mon-émissionest un malade mental, que j’ai rien compris à cette journée, que j’ai fait ce qu’on m’a dit, que c’est la merde…
Là elle est hyper émue que je pleure et se met aussi limite à pleurer. Pas autant que moi, mais ses yeux sont embués. Elle m’explique qu’elle est contente de moi, que Monsieur Si-t’as-envie-de-te-suicider-regarde-mon-émissionest quelqu’un d’hyper pointilleux, qu’il est comme ça, blablabla. Que la poulette que j’ai pris pour une maquilleuse était en réalité une nana haut placée, donc elle a été choquée que je la confonde avec une pauvre maquilleuse du tiers-Etat (Si pour elle, cette comparaison est impropre, alors je suis bien contente de l’avoir faite). Mon passage au sein de cette émission pour potentiels suicidaires aura laissé des traces. Le grand manitou a en effet décrété sans plus tarder que dorénavant, ce ne sera plus le stagiaire qui ira récupérer les invités, mais les assistants des chroniqueurs. La belle vie pour moi, qui n’a pas fait des études d’hôtellerie, mais de journalisme à la base. Quand j’ai dis ça à la stagiaire précédente, elle était verte.
Le stage se poursuit ensuite tranquillement, et je ne reparlerais plus jamais à Monsieur Si-t’as-envie-de-te-suicider-regarde-mon-émission (Dieu m’en préserve). Mais sachez que TOUS les midis, l’équipe se plaint de son comportement, de ses problèmes relationnels, et raconte anecdotes sur anecdotes. Un jour, une chroniqueuse sensée travailler sur le Bien-être et le zen est même sortie de son bureau en pleurant… Moi, je me suis habituée à cohabiter avec un taré, et avec le baptême de ma première journée, plus rien ne peut m’atteindre. La secrétaire de Monsieur Si-t’as-envie-de-te-suicider-regarde-mon-émission s’en prend tellement plein la gueule qu’elle est odieuse avec tout le monde (l’équipe la qualifie ouvertement de pute). Elle a un besoin pathologique de reverser ce qu’elle reçoit à longueur de journées. Un jour, on s’est embrouillées férocement devant tout le monde. Et comme on me l’a fait pas deux fois, je l’ai envoyée bouler, et elle a fini par venir s’excuser comme un chien.
Voilà les coulisses des émissions de Monsieur Si-t’as-envie-de-te-suicider-regarde-mon-émission. Même ambiance donc : envie de se suicider à l’antenne, envie de se suicider en off. Inutile de vous dire que je n’ai pas été surprise le moins du monde quand j’ai entendu parler de l’étranglement de JP Viaud. Je suis même étonné qu’il soit encore en vie… Depuis, à la demande de France 2, Monsieur Si-t’as-envie-de-te-suicider-regarde-mon-émission a du demander à Viaud de réintégrer l’équipe, histoire « d’étouffer » l’affaire (oui, mauvais jeu de mots). Eh bien, vous savez quoi ? il a toujours refusé. Et je peux vous dire qu’en télévision, avec les salaires et privilèges qu’ils se tapent, c’est fort s’il a refusé. Il est traumatisé le pauvre. Purée, quand je pense à tout ça, je me dis que mine de rien, je dois remercier le ciel d’être encore en vie. Ben oui, j’ai raté un café merde, et j’ai confondu une maquilleuse avec une pétasse du haut. Je vis dangereusement moi !
Donc quand la chère Elise Lucet se permet de dire que tout va bien dans le meilleur des mondes, cela me fait doucement rigoler. Elle a même été jusqu’à dire : « je passe tous les matins devant les studios de Monsieur Si-t’as-envie-de-te-suicider-regarde-mon-émission, et je n’ai JAMAIS constaté que les équipes étaient plus stressées qu’ailleurs ». Ah, c’est marrant ça Elise, parce qu’en plusieurs mois, je ne t’ai jamais croisée dans les parages, et il me semble que t’es plutôt sur le 13 heures, donc à 7/8 h, tu dois être encore dans les bras de Morphée si je ne m’amuse. Il me semble aussi que le studio du 13 heures est carrément de l’autre côté du bâtiment… Mais bon, peut-être que je me trompe hein.
Epilogue
Lorsque l’on regarde ou écoute des programmes matinaux, les animateurs, d’où ils soient, TV ou radio, ont tous UN point commun : la bonne humeur. Le matin, t’es dans le gaz, t’allumes ta radio et paf :
Animateur NRJaïe : Saluuuuuuuut stéphaneee !! C’est quoiiiii ta radio préférééééée, ouaaiiiiiiiiis trop cool, tu pars à New York demainnnnnn !!!!!!!!
Stéphane : OUUUUUAAAAIIIIIIIIIIIIIIIIISSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSSS !!!!!!!
Parfois, c’est même too much, on a envie de les taper. Mais à côté de toutes ces émissions, à France 2, on a choisi l’originalité. Tout le monde fait des programmes gais pour donner du courage aux gens partant travailler ? Et ben nous, on va faire un programme à contre-courant qui donne envie de mourir sur place, na ! Du coup, tous les matins, on a droit à un programme qui ronronne, avec un animateur qui tire la tronche et sa clique qui a par ailleurs des sujets toujours plus passionnants les uns que les autres : comment faire du jus de betterave sans mixeur ? Pourquoi les champignons n’ont pas d’odeur ?… En tout cas, France 2 ne regrette pas son choix : chaque matin, 40 % de parts de marché, rien que ça. Je me demande toujours qui regarde et pourquoi. Peut-être parce qu’à côté, il n’y a que du télé-achat.
Monsieur STAEDTSRME* = Monsieur Si-t’as-envie-de-te-suicider-regarde-mon-émission