Le Journal de la création de Nancy Huston est un livre dans lequel je me plonge régulièrement.
C'est étonnant d'ailleurs la façon dont ma lecture a changé entre la première fois où j'ai ouvert ce livre - je n'avais pas encore d'enfant, seulement, peut-être, le désir fluctuant d'en avoir - et aujourd'hui.
Il y a cinq ou six ans, les démêlés de Virginia Woolf, Sylvia Plath, Zelda Fitzgerald, femmes, mères, tiraillées entre le désir d'écrire, celui de s'affirmer face à un compagnon artiste et les limitations dues à leur condition de femmes dans une époque tyrannique pour elles, m'apparaissaient comme éminemment romanesques.
Puis, devenue mère d'un bébé qui ne dormait jamais, épuisée, exsangue, incapable de terminer une phrase correctement, de raisonner, d'envisager une vie qui ne soit pas animale, l'identification a fonctionné à plein régime. Bien loin d'avoir envie de le faire, je concevais ce qui avait conduit Sylvia Plath à glisser sa tête dans un four, Virginia Woolf a se laisser submerger par l’eau glacée de la Ouse.
Tout à l’heure j’ai pris ce livre de nouveau et je me suis demandée ce qui allait me frapper, me toucher plus cette fois. Dans le métro, déjà j’ai relevé quelques lignes :
« Parfois, en bibliothèque, je pense aux millions de livres médiocres, aux gros tas de savoir périmé ou erroné qui ne feront plus jamais qu’accumuler de la poussière… Je pense aux millions d’épouses qui ont fait taire des millions d’enfants afin que les hommes puissent écrire ces livres-là (« Chut ! Papa travaille ! ») et je me dis qu’en fin de compte la véritable perte de temps était souvent l’écriture. N’aurait-il pas mieux valu pour tout le monde que ces hommes jouent avec leurs enfants ? »
Photo : Virginia Woolf par George Charles Beresford, en 1902