De l’autre côté de la mer, il y a la fille qui rêve d’écrire. Elle n’a aucune histoire en tête, ou peut-être trop d’histoires à la fois. Elle se sent abandonnée à son envie, abandonnée à son impuissance aussi. Elle compare cet état à l’état amoureux, parce que dans les moments qui le précèdent il y a comme un enchantement, une attirance inintelligible, une domination du sentiment sur la conscience. Période d’élévation paradoxale où la perception du monde est réduite à néant alors que l’écoute de soi est démultipliée.
Mon amie de l’autre rive a un rêve dans le rêve.
Sa chambre est peinte en blanc, c’est un temple aux néons. Le soir elle y veille, et c’est le rêve qui s’endort. Dans cette atmosphère lactescente, la tension est palpable. Elle impose ainsi au silence la loi de ses doigts et de leur danse névralgique sur le clavier.
Elle a un projet d’écriture camouflé derrière son rire, ses angoisses, ses yeux las de tant d’horreurs. Dans ses insomnies accoucheuses, elle peint des champs de blé où deux enfants jouent à se cacher, s’épuisent de leur course, décident de se retrouver, se crient rendez-vous à la clairière, se regardent les yeux fermés et finissent par s’endormir main dans la main.
Mon amie de l’autre rive a un rêve dans le rêve. Elle remonte le cours d’une vie au bonheur tranquille, et à l’expiation indolore. Elle n’atteint jamais le torrent, elle brode et s’épuise à ralentir le flot, elle ne veut pas que le radeau de ses personnages se fracasse contre la roche.
Elle écrit des fins heureuses, Nora.