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Du développement (quatre)

Publié le 03 décembre 2008 par Saucrates


Réflexion trente-trois (3 décembre 2008)
La critique gouvernementale à l'encontre de l'Agence Française de Développement ... Raison ou déraison ?...

Dans le journal Libération du 29 novembre 2008, le secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie, Alain Joyandet, donne son avis sur l’aide française au développement et lance une charge virulente contre l'Agence Française de Développement, son Directeur général (Jean-Michel Sévérino) et son personnel (article de Libération ci-joint).


(Christian Losson pour Libération) Votre philosophie passe mal à l’Agence française de développement ; son directeur, Jean-Michel Severino, regrette les «coupes radicales» sur les projets sociaux en 2009.
(Alain Joyandet) L'AFD est quand même sous l’autorité de l’Etat dont elle distribue les crédits. Elle doit aussi s’interroger sur ces responsabilités. Elle développe 3,5 milliards d’euros de crédit alors qu’elle pourrait en catalyser trois fois plus ! Il faut que j’arrive pour lui demander de se bouger. Qu’est-ce que fait son patron, à part gérer le quotidien ? S’il est là pour faire du développement, qu’il développe ! Qu’est-ce qu’il attend au lieu de se lamenter et de dire que l’Etat ne lui donne pas assez d’argent ?
(CL) Vous êtes irrité car il y a aussi un concept de développement qui vous oppose ?
(AJ) Je suis irrité parce que je ne comprends pas : il faut soutenir toutes les initiatives de croissance, non ? L’AFD doit bosser et se retrousser les manches. C’est son boulot de prendre des risques ! Elle ne doit pas se comporter comme une administration, et faire sauter des verrous pour travailler plus. C’est quand même l’Etat qui l’a recapitalisée, non ? Elle a besoin d’une nouvelle gouvernance, ce ne sera pas du luxe.


En matière de contexte, il faut savoir à la fois que Jean-Michel Sévérino, le directeur général de cet établissement public en charge de l'aide au développement public de la France, passe très mal auprès de Nicolas Sarkozy et de ses conseillers élyséens ... question de style vraisemblablement. Il faut également savoir que l'effort français en matière d'aide au développement pâti de restrictions budgétaires, notamment en ce qui concerne les subventions publiques consenties aux pays les plus pauvres de la planète (l'aide publique peut prendre en effet la forme soit de prêts publics remboursables à conditions de taux préférentiels, soit de simples subventions non remboursables).
Il faut aussi se rappeler que l'AFD, établissement public, a été créé en 1941 (le 2 décembre) par le Général de Gaulle pour servir de Trésor Public et de Banque centrale à la France Libre. Elle s'appelait à l'époque CCFL (Caisse Centrale de la France Libre) renommée à la fin de la guerre en CCOM (Caisse Centrale de l'Outre-Mer) puis CCCE en 1959 à l'époque des indépendances des états africains. On entre aujourd'hui dans la fin de l'héritage historique d'un établissement très spécial, initialement dirigée par des résistants français et des personnages de la France Libre, et bénéficiant en Afrique d'une aura sans commune mesure. Pendant longtemps, le directeur de l'agence de la CCCE (aujourd'hui AFD) était un personnage public plus important que l'ambassadeur de France dans de nombreux pays africains.
Mais sur le fond, je ne suis pas un fervent admirateur ni de la politique de développement menée par Jean-Michel Sévérino, ni des impulsions qu'il a donné et continue de donner à la politique menée par l'AFD dans le monde (et notamment un retrait de sa zone prioritaire d'Afrique pour privilégier des zones à plus fort aspect médiatique telle l'Asie ou l'Amérique latine). Cette personne est plus intéressée par sa propre carrière, par les prochains postes qu'il pourrait occuper dans le milieu du développement et par la reconnaissance de ses pairs, que par le devenir de l'AFD et encore moins par le devenir du monde en développement et des populations qui y souffrent.
Je ne suis pas non plus un fervent admirateur du mode de management existant à l'AFD, et surtout de l'esprit de caste qui y règne entre le personnel français recruté au siège, bénéficiant de conditions de rémunération, de travail et d'expatriation extrêmement favorables, auxquel tous les postes de responsabilité et de management sont réservés dans le monde entier, et le personnel qu'ils appellent 'personnel local', dans un esprit qui demeure néocolonialiste, payé aux conditions de marché local, sans perspectives de carrière réservées aux seuls agents du siège et aux expatriés, et aux conditions sociales également inférieures. De même que leur directeur général, l'immense majorité des cadres qui y travaille (80% de son effectif siège alors que cette proportion doit à peine atteindre 10% pour le personnel dit local dans le monde entier) ont pour seule ambition leur carrière et les futurs postes qu'ils pourront obtenir à l'affectation suivante.
En matière d'effectif et de management, on peut s'interroger sur l'activité des 800 agents employés au siège de l'AFD en regard des 150 agents expatriés dans les agences du monde entier (dont les DOM et les CTOM) et les 600 agents locaux qui y sont aussi employés à des tâches sulbalternes. Le nombre de crédits octroyés ou à l'étude chaque année par l'AFD s'établit entre une centaine et un millier ... Il me semble qu'en moyenne, trois agents du siège doivent avoir à s'occuper de moins d'un dossier de crédit par an, ce qui ne représente pas une productivité très importante. En matière de management, on peut s'étonner qu'un organisme de développement tel l'AFD n'est aucun directeur d'agence étranger issu des pays qu'elle est censée aider, que ce soit à l'étranger ou dans l'outre-mer français, que son personnel local soit tenu à l'écart de tout le poste de responsabilité et cantonné aux tâches d'exécution et de garderie et d'entretien des locaux , et que l'esprit qui règne dans cette maison (issue de la France libre) soit néocolonialiste (genre de faire les courses pour remplir le frigo de l'expatrié).
Au fond, que le gouvernement, en la personne du secrétaire d’Etat à la Coopération et à la Francophonie veuille remplacer le patron de l'AFD ne me pose pas problème. Il est juste problématique que la vision du développement qu'a ce gouvernement libéral est vraisemblablement encore plus éloignée de l'intérêt de l'Afrique et du monde en développement que celle qu'en a Jean-Michel Sévérino, et que cette reprise en main de l'AFD par le pouvoir politique (et par Nicolas Sarkozy) a aussi pour objectif de mettre la main sur les fonds propres pléthoriques de cet établissement public, indispensable à son activité d'établissement de crédit (et au respect des normes prudentielles qui lui sont imposées ... ratio Cooke ou Mac Donough et ratio de division des risques) ... en cette période de disette budgétaire ...
Saucratès
Autres écrits sur le Développement :
1. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2006/11/06/du-developpement.html
2. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2006/11/25/du-developpement-suite.html
3. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2007/06/28/du-développement-trois.html
Une critique du développement
http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2006/11/11/critique-du-developpement.html
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http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2007/04/26/théories-du-développement.html


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