* Animateur : Pour obtenir des aliments ou la protection des mâles, les femelles gorille, babouin, chimpanzé ou bonobo développent d'incroyables stratégies de séduction, mais peut-on pour autant parler de prostitution ?
* Ethologue : Pour qu'il y ait prostitution, il faut du désir ou des frustrations tournées en désirs, des individus acceptant de louer leur corps pour une relation limitée, un contrat et une monnaie d'échange. Pour d'autres espèces que l'humain, on parlera plutôt d'échanges sexuels contre un avantage attendu ou négocié. Premier point, il ne peut y avoir échange d'un service sexuel contre un avantage si les femelles ne sont réceptives que lors de leurs rares périodes d'ovulation. Deuxième point, si une femelle est en œstrus et copule avec des mâles différents, elle n'en tire aucun avantage, si ce n'est la tolérance et parfois la protection de ceux-ci pour son ou ses jeunes. Ainsi, pour qu'il y ait prostitution des femelles, il faut que celles-ci aient des périodes de réceptivités sexuelles étendues autour de l'ovulation, qu'elles suscitent du désir qui ne soit pas soulevé par les seules phéromones, qu'elles aient conscience de ce désir chez les partenaires potentiels, que ces derniers acceptent de céder un avantage contre une relation sexuelle. Si un jeune adulte babouin courtise une femelle en se montrant attentionné envers elle (même envers son enfant, dont il n'est pas le géniteur), lui offre une jeune antilope, lui rend service en lui cherchant des poux sur la tête, au fil des mois il en fait une amie, puis une partenaire sexuelle privilégiée. Il ne s'agit évidemment pas de prostitution, mais d'un ensemble de comportements complexes avec des anticipations, des échanges d'attention et d'affects, des services. Les singes à la réputation de lubricité solidement établie, tels les gorilles chantés par Georges Brassens, s'avèrent aussi sages que modestes sur les choses du sexe, les copulations étant sollicitées par les femelles sans recherche d'un avantage quelconque. Ce qui importe, c'est d'être sous la protection d'un mâle qui défend le groupe. Chez les bonobos, ces singes érotomanes, il n'y a pas de négociation sexe contre nourriture ou sexe et intrigues de pouvoir comme chez les chimpanzés, bref d'échange contre un avantage (il arrive qu'une femelle bonobo se donne pour obtenir de la nourriture ou un objet convoité, mais on doit plutôt parler de bonnes mœurs). Par contre, plus surprenant, les pingouins sont une espèce souvent citée pour ces pratiques d'échanges de bons procédés. En l'état des connaissances, seuls les chimpanzés affichent des comportements s'apparentant à de la prostitution. Faut-il rappeler que nous partageons 99% de notre génome avec eux ??? Les femelles chimpanzés présentent une assez longue période de réceptivité sexuelle autour de leurs périodes de fécondation. Elles profitent alors de leur attractivité pour jouir de relations sexuelles avec plusieurs mâles et selon la tolérance du mâle dominant. Elles sont conscientes de l'envie qu'elles suscitent et s'en servent pour échanger leurs faveurs, pour obtenir des nourritures prisées auprès des mâles. Il existe ainsi des négociations " sexe contre nourriture ", par exemple entre une femelle particulièrement appréciée et un mâle numéro deux très entreprenant : cette femelle est poursuivie de ses assiduités par ce mâle " secondaire " d'autant plus séduisant qu'il détient deux noix de coco, qu'elle finit par obtenir contre plusieurs copulations. Une autre fois, c'est le mâle dominant qui accapare beaucoup de nourriture. La même femelle se présente devant lui, le mâle numéro un lui proposant un tiers de ses réserves, ce qu'elle refuse. Il en propose le double, elle refuse toujours. Il finit par tout offrir et il obtient ce qu'il désirait. On voit bien ici que les autres animaux savent ce qu'ils veulent et ce qu'ils valent, qu'ils connaissent le sentiment d'injustice et qu'ils négocient donc dur pour arriver à un accord correct (même si ici la femelle a été particulièrement gourmande, mais quand on aime - ou qu'on veut faire du sexe à tout prix - on ne compte pas, on ne va pas pinailler pour " si peu "). Les chimpanzés éprouvent donc du désir sexuel et du désir gourmand ; ils sont capables de comprendre l'autre et ses attentes. Non seulement ils attribuent de l'importance à ses menus plaisirs, mais ils savent les évaluer pour négocier des échanges sexe contre nourriture. Mais les jeux du sexe interviennent aussi dans les intrigues de la politique. Le sexe intervient ainsi dans des marchandages subtils au sein des coalitions de mâles chimpanzé, un mâle dominant permettant à un second qui le soutient fidèlement d'accéder de façon privilégiée aux femelles réceptives, tout en empêchant les autres de le faire.