Scène III
GUÉHAZI (visible) – NAAMAN – LÉA
GUÉHAZI
Vous joindre, mon Seigneur, est assez difficile
Et je vous trouve enfin sur ces rives fertiles.
De la part d’Élisée j’accours auprès de vous,
Il m’a chargé aussi de l’informer de tout.
Avez-vous obtenu selon votre espérance
Et dans l’eau du Jourdain trouvé la délivrance ?
NAAMAN
Que Rimmon soit béni, je suis purifié.
LÉA
Rimmon en cette affaire est disqualifié.
N’as-tu pas reconnu la main du Dieu qui t’aime
Et qui a eu pitié de ta misère extrême ?
GUÉHAZI
Donc vous êtes guéri.
NAAMAN
Je le suis en effet.
GUÉHAZI
J’en suis ravi pour vous, mais venons en au fait :
L’ouvrier il est vrai mérite son salaire
Et je suis mandaté, quitte à vous en déplaire,
Par mon maître Élisée afin de percevoir,
Honoraires et droits, il me donne pouvoir.
Pour un acte si grand le montant est honnête.
Vous pouvez maintenant acquitter votre dette
En or ou en argent ou toute autre valeur.
LÉA
Ne donne pas un sicle à ce fourbe voleur.
GUÉHAZI
Six talents me paraît un prix fort raisonnable.
NAAMAN
Prenez-en dix.
GUÉHAZI
Seigneur, vous êtes trop aimable.
LÉA
Ce prix me semble, à moi, beaucoup trop élevé.
GUÉHAZI
Toutes taxes comprises, et produit enlevé.
LÉA
Pas un sicle de fer ! Ce malandrin te vole.
NAAMAN
Mais quelle comédie pour une simple obole !
GUÉHAZI
Marché conclu. Seigneur, voulez-vous bien signer
Au bas de ce contrat ?
(Il lui tend une tablette et un calame. Naaman signe.)
LÉA
Ce larron a gagné.
GUÉHAZI
Voici mes dix talents sur ce morceau d’argile !
Pour amasser de l’or je suis des plus habiles.
Dieu vous bénisse, ami, je suis assez pressé.
Bientôt vous recevrez votre récépissé.
Ce fut un grand honneur de traiter cette affaire,
Trop heureux d’avoir pu, Seigneur vous satisfaire.
LÉA
Ce forban de mon maître a la bourse saisi.
GUÉHAZI
Au plaisir, Général.
(Guéhazi s’éloigne.)
VOIX D’ÉLISÉE
Où vas-tu Guéhazi ?
Scène IV
GUÉHAZI – NAAMAN – LÉA – ÉLISÉE
GUÉHAZI
Dieu ! Je n’attendais pas à l’instant le prophète.
LÉA
Guéhazi, mon petit, voici venir ta fête !
ÉLISÉE
J’attends une réponse : Guéhazi, que fais-tu ?
GUÉHAZI
Maître, pour te servir j’ai toujours combattu.
Depuis que je te sers, et depuis mon enfance,
Sans faillir j’ai acquis ta pleine confiance
Et c’est pour t’assister que je vaque en ce lieu.
Je suis comme toi-même au service de Dieu
Et c’est de tout mon cœur, avec persévérance…
ÉLISÉE
Prends garde, Guéhazi, d’user ma patience,
Et réponds : qu’as-tu fait, voleur, à mon insu ?
GUÉHAZI
Moi ? Voleur ? Mais Seigneur…
(à part)
Mais comment a-t-il su ?
(à Élisée)
Mon maître, je te sers d’un zèle véritable
Et tes soupçons vraiment me sont insupportables.
Je suis traité ici comme un vil malfaiteur,
Ayant toujours été intègre serviteur.
De ma soumission voici donc le salaire !
Les termes font défaut à mon vocabulaire
Pour exprimer enfin mon indignation.
LÉA
Quel aplomb ! Quelle audace ! Congratulations !
Voici, n’en doutons point, le prince des canailles
Et ce maraud, ma foi, mérite une médaille.
ÉLISÉE
Crois-tu que mon esprit se tenait loin de toi
Lorsque tu pratiquais ton commerce sournois ?
N’as-tu craint un instant que mon Dieu ne révèle
Que tu fais ton profit des grâces éternelles ?
La grâce, tu le sais, ne se négocie point
Et tu bafoues le nom du Père et de son oint.
Voici ce que déclare l’Eternel sur ton compte :
À toi le jugement, à toi aussi la honte,
À toi le déshonneur, la peine et le tourment,
À toi enfin le lèpre prise à Naaman.
GUÉHAZI
Enfer, je suis maudit, que Dieu me le pardonne,
La lèpre est sur mon corps, la force m’abandonne.
(Il sort précipitamment.)
Scène V
NAAMAN – LÉA – ÉLISÉE
ÉLISÉE
Le fourbe est confondu et te voilà guéri.
NAAMAN
Le fleuve au beau rivage, objet de mon mépris
M’accorde un corps nouveau par son eau claire et pure.
Par mon dédain pourtant, je lui ai fait injure.
L’Amana, le Parpar n’auraient pu me laver,
Du mal et de la mort moins encor me sauver.
Oui, je bénis ce fleuve aux ondes vertueuses
Qui soulage mon corps et rend mon âme heureuse.
ÉLISÉE
Ami, cette eau n’a pu t’accorder un tel don
Car ce n’est qu’un ruisseau sale et nauséabond,
Mais tu as néanmoins prouvé ta confiance
Et plongé au Jourdain, marque d’obéissance.
Au fleuve d’Israël tu as plongé sept fois,
Manifestant ainsi l’espérance et la foi.
L’Eternel Dieu a vu ta misère profonde
Lui seul t’a ordonné de t’immerger dans l’onde.
Aucun fleuve, aucune eau ne pouvait te guérir,
Mais Dieu seul a le droit de te laisser périr
Ou t’offrir son pardon et t’accorder la vie.
Quel amour merveilleux ! aussi je te convie
Sans crainte à l’accepter pour maître et pour Seigneur.
Abandonne Rimmon, deviens son serviteur,
Brûle tes dieux de bois, brise tes dieux de pierre,
Dis-lui : « Pardonne-moi car je suis un pécheur.
Tu as guéri ma peau, guéris aussi mon cœur. »
Car lui seul, de ses mains, a façonné la terre,
Il a pétri ton corps issu de la poussière.
Mon Dieu t’accueillera dans son sein paternel
Et t’ouvrira ses portes au royaume éternel.
NAAMAN
Je ne puis en effet dénier l’évidence
Et je vois se briser toute ma résistance.
Chaque jour j’ai servi Rimmon, ce dieu cruel,
Lui offrant des présents d’or, d’encens et de miel.
J’ai sur lui érigé toute mon espérance,
En retour de ma foi j’ai trouvé la souffrance.
Rimmon ne m’inspirait que craintes et terreur,
Il voulut m’écraser du poids de sa fureur.
Mais le Dieu de Léa, mais le Dieu d’Élisée
A noyé dans les eaux mon angoisse brisée.
Tu disais vrai, Léa, il est le seul vrai Dieu,
L’unique créateur de la terre et des cieux.
Je crois en lui.
LÉA
Mon maître et frère, quelle joie !
Ensemble nous courrons sur l’éternelle voie.
NAAMAN
Oui, ma vie a changé, car j’ai choisi d’aimer
Celui qui m’a sauvé, je veux le proclamer.
J’aime le Dieu des juifs, il me rend à la vie,
Et j’aime le Jourdain, et j’aime Samarie.
LÉA
Déjà tu appartiens au peuple d’Israël.
Échangeons, s’il te plait un baiser fraternel.
NAAMAN
Léa, tu ne peux plus demeurer mon esclave.
C’est toi qui de tes mains a brisé mes entraves.
Mon cœur et mon esprit gémissaient dans les fers
Et sous mes pieds déjà s’entrouvraient les enfers.
Léa, tu m’as guidé loin du séjour funeste
Et m’as montré la voie des plus beaux lieux célestes.
Retourne en Samarie, sois libre désormais,
Retrouve en ta patrie ceux que ton cœur aimait.
Je ne t’oublierai pas.
LÉA
Te quitter, mon bon maître ?
Dois-je t’abandonner, loin de toi disparaître ?
J’ai revu Samarie, mon vœu est exaucé,
J’ai revu mon pays et j’en ai vu assez
Pour me rendre à Damas le cœur plein d’allégresse.
J’ai revu le Jourdain et plus rien ne me presse.
Permets-moi, je te prie de poursuivre avec toi
Le chemin de la vie. Garde-moi sous ton toit.
Ne puis-je accompagner Farika, ton aimée
Lorsque tu partiras, commandant ton armée.
Oui, j’aime ton service et j’aime ta maison,
Je veux te suivre encore, telle en est la raison.
NAAMAN
Esclave tu partis, tu reviens libérée,
Je te garde avec moi mais non plus enferrée.
Ta perte aurait rempli mon âme de douleur.
LÉA
De ton foyer je vois s’approcher la chaleur.
ÉLISÉE
Puisse Dieu vous garder durant ce long voyage,
Puisse-t-il, Naaman te rendre juste et sage.
Sois bénie à jamais, jeune enfant d’Israël,
Use ta liberté à servir l’Éternel.
Instruit de ta sagesse cette nouvelle vie.
La paix soit sur Damas, shalom sur la Syrie.
Châteaudun, 13 novembre 2008