NAAMAN
Je ne plongerai pas dans ce fleuve imbécile !
Peut-être abrite-t-il aussi des crocodiles.
GUÉHAZI
Ou bien il est idiot et non pas à demi,
Ou il le fait exprès pour tromper l’ennemi.
LÉA
Je ne te dis plus rien car tu me décourages.
Laisse ta maladie achever ses ravages.
NAAMAN
Bon ! J’y vais !
GUÉHAZI
Mais depuis le temps qu’il nous le dit !
NAAMAN
Je n’hésite donc plus. Me voilà bien hardi.
LÉA
Pince-toi fort le nez.
NAAMAN
J’enfonce dans la vase.
Les sables sont mouvants.
GUÉHAZI
Il lui manque une case !
NAAMAN
Mais je sens sous mes pieds grouiller des vers hideux.
Bon ! Il faut s’immerger. À la une, à la deux…
GUÉHAZI
À la trois !
(Naaman s’immerge et ressort aussitôt.)
LÉA
Ta baignade a-t-elle été mortelle ?
NAAMAN
Sans mentir, je connais des rivières plus belles.
Reprenons notre route, car je t’ai obéi.
LÉA
Ton mal, cher Naaman, a-t-il été guéri ?
NAAMAN
Non.
LÉA
Non ?
GUÉHAZI
Non ?
NAAMAN
Je savais bien que cette corvée
N’était que tromperie, bernerie achevée.
Ce prophète Élisée doit bien rire de moi.
LÉA
Le prophète Élisée avait bien dit : « Sept fois ».
NAAMAN
Sept fois dans ce bouillon faut-il que je séjourne !
LÉA
Six fois dans le Jourdain il faut que tu retournes.
NAAMAN
À quoi cela sert-il ?
LÉA
Exerce donc ta foi.
Fais confiance à Dieu.
NAAMAN
Enfin, pourquoi sept fois ?
LÉA
De la perfection le sept est un symbole.
Le sept, c’est Adonaï et sa sainte parole.
Dans le temple sept branches a le chandelier :
Sept lampes : l’Esprit-saint au Créateur lié.
Sept fois dans le Jourdain, superbe analogie.
GUÉHAZI
Et la voilà partie dans sa théologie !
NAAMAN
Eh bien ! Recommençons. Ne perdons pas l’espoir.
(Il s’immerge.)
LÉA
Deux.
NAAMAN
Si quelque progrès au moins je pouvais voir !
LÉA
Il faut persévérer.
(Naaman s’immerge.)
Trois.
NAAMAN
C’est fort inutile.
Faut-il continuer encor ce jeu débile ?
LÉA
Il a dit : « Sept fois. »
(Naaman s’immerge.)
Quatre.
NAAMAN
Ah ! je tiens le bon bout.
Mais pour la guérison je ne vois rien du tout.
(Naaman s’immerge.)
LÉA
Cinq.
NAAMAN
Non, vraiment, Léa, ça ne vaut pas la peine.
Je te dis qu’Élisée en bateau nous promène.
GUÉHAZI
Fais ce qu’elle te dit !
LÉA
Fais ce que je te dis.
J’ai confiance en Dieu, et, je te le prédis :
Au septième plongeon ta vie sera changée.
NAAMAN
Je crois qu’à l’écouter mon âme est dérangée.
Allons !
(Naaman s’immerge.)
LÉA
Six.
NAAMAN
C’est assez ! Nous rentrons en Syrie.
LÉA
N’as-tu pas encor vu ta servante en furie ?
La victoire est à toi et tu peux l’embrasser.
Au but enfin rendu prétends-tu renoncer ?
Tu comptes en Syrie t’en retourner bredouille ?
Naaman, mon ami. Tu n’es qu’un plat de nouilles.
GUÉHAZI
Comme elle y va !
NAAMAN
De nouilles ? Dis, Léa, s’il te plaît,
Un peu de déférence et un peu de respect !
Et ne t’avise pas, surtout de me déplaire
Ou tu verras brûler le feu de ma colère.
GUÉHAZI
Plonge et tais-toi !
LÉA
Pardon si j’ai le verbe vif,
Mais pour ta guérison tu connais le tarif :
Juste encore une fois, ce sera la dernière.
GUÉHAZI
Pour un malheureux bain comme il fait de manières !
NAAMAN
Dans cette vase infecte il faut plonger encor !
LÉA
Tu as plongé six fois et tu n’en es pas mort.
(Naaman s’immerge.)
Et sept.
NAAMAN
Et me voici couvert de ridicule.
Je ne vois nullement que ma lèpre recule.
Retournons en Syrie.
LÉA
Oui, nous pouvons rentrer.
Ne sens-tu pas ton corps de l’Esprit pénétré ?
· NAAMAN
C’est vrai, je me sens bien, et mon âme est à l’aise.
Mon cœur est soulagé de ses pensées mauvaises.
LÉA
Est-ce tout ? N’as-tu rien constaté de nouveau ?
NAAMAN
J’ai, comme le serpent, une nouvelle peau.
Voici la maladie carrément disparue.
Oh ! Combien j’étais sot de ne pas t’avoir crue !
GUÉHAZI
Mon maître est un champion, il faut bien l’avouer.
Maintenant, Guéhazi, c’est à toi de jouer.
(Guéhazi sort de sa cachette.)