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Naaman (8) Acte V scène 2 (a)

Publié le 16 décembre 2008 par Lilianof

Scène II

GUÉHAZI (caché) – NAAMAN – LÉA

NAAMAN

J’ai vraiment plein le dos de cette excursion.

LÉA

D’abord la randonnée, puis la natation.

NAAMAN

Est-il loin ce grand fleuve où tu veux que je plonge,

Espérant y noyer la lèpre qui me ronge ?

LÉA

Il est là, devant toi, nous sommes au Jourdain.

Ne vois-tu pas son flot à portée de ta main ?

Regarde, devant toi !

NAAMAN

      Quoi ? Cet étang fétide ?

J’espérais me baigner dans une eau plus limpide.

LÉA

Allons ! Qu’espérais-tu ?

NAAMAN

      Le Parpar, l’Amana

Ne valent-ils enfin pas mieux que cette eau-là ?

Les fleuves de Damas, fleuves à l’eau si claire,

Pour nager, j’en suis sûr, auraient fait mon affaire.

Mais plonger là-dedans ! Regarde ces roseaux

Abritant des insectes et noircissant cette eau !

J’espérais une plage, un endroit bucolique,

Mais la vue de cette eau me donne la colique.

Il pourrait m’en entrer dans le nez. Quelle horreur !

La vase sous mes pieds, j’y pense avec terreur

Doit fourmiller de vers, de larves et cloportes.

LÉA

Mais si l’eau te guérit, Naaman, que t’importe ?

NAAMAN

Une eau si crassouilleuse ne me guérira pas.

Je crains en l’avalant de passer à trépas.

Allons ! Ne parlons plus du prophète Élisée,

De son idée stupide et bien mal avisée.

Je crois, ne t’en déplaise, qu’il s’est moqué de moi

Et de son insolence je rendrai compte au roi.

Retournons en Syrie par la plus courte voie.

Qu’à revoir le palais j’éprouverai de joie !

LÉA

Tu rentreras chez toi privé de guérison.

NAAMAN

À demeurer ici je n’ai point de raison.

À quoi bon espérer en ce dieu de chimère.

Je retourne à celui qu’avait servi ma mère.

Depuis ces jours passés, j’ai lieu de l’espérer,

La hargne de Rimmon aurait dû s’apaiser.

J’irai vers son autel chargé de repentance

Chercher la guérison. Je ferai pénitence.

LÉA

N’as-tu pas de Rimmon reçu un lourd devis :

Le sang de ta servante versé sur le parvis.

NAAMAN

Je n’envisageais pas l’affaire sous cet angle.

Mais la déception me torture et m’étrangle.

Rentrons à la maison. J’aurais bien essayé,

Rapportant le dépit et l’échec essuyé.

Je mourrai en lépreux, puisqu’il faut que je meure.

Je mourrai en lépreux chassé de ma demeure,

Et l’histoire oubliera le pauvre Naaman.

LÉA

Comme te voilà prompt au découragement !

Naaman, le vainqueur, qui sauva la Syrie

Refuse qu’à présent le salut lui sourie.

Ce salut est pour toi, veux-tu rester lépreux ?

Pour être délivré es-tu si vaniteux ?

Noie donc dans le Jourdain tes pensées orgueilleuses

Et songe à Farika, l’épouse vertueuse.

Et songe à son amour, et songe à son chagrin.

Oui, Farika pourrait en mourir, je le crains.

NAAMAN

C’est vrai, pour Farika, il faut que j’obéisse.

Mais plonger là-dedans…

LÉA

      Mon Dieu ! Quel sacrifice !

Ne sais-tu pas nager ?

NAAMAN

   Si.

LÉA

      Alors ?

NAAMAN

      Désolé !

Je ne me baigne pas dans ce flot maculé.

Je n’y entrerai pas par tout l’argent du monde

Et ne veux me souiller de cette fange immonde.

LÉA

Maître, regarde-moi, s’il te plaît, dans les yeux.

Tâche de soutenir mon regard, si tu peux.

Tu pousses-là vraiment un peu loin l’opercule

Et ton comportement est vraiment ridicule.

Élisée aurait pu de ta part exiger

D’escalader pieds nus un rocher enneigé.

Ne l’aurais-tu pas fait ?

NAAMAN

   Oui.

LÉA

      Il eut pu te dire :

« Si tu veux être pur, il te faudra occire

Tout seul et sans renfort quarante philistins

Sans cuirasse et sans autres armes que tes mains. »

Ne l’aurais-tu pas fait ?

NAAMAN

   Bien sûr ! J’ai du courage.

LÉA

Et s’il t’avait fallu traverser à la nage

Le lac de Galilée, de l’armure chargé,

Ou même au plus profond de cette mer plonger,

Ne l’aurais-tu pas fait ?

NAAMAN

   Mais oui, sans aucun doute !

Est-il un seul défi, Léa, que je redoute ?

LÉA

Alors, écoute-moi, s’il te plaît, maintenant.

Ton art de réfléchir est vraiment étonnant :

Pour guérir tu aurais accompli l’impossible.

Tu es bien motivé, mais, – comme c’est risible ! –

Il ne t’est commandé qu’un minuscule pas

Dans l’eau de ce Jourdain, et tu ne le fais pas.

GUÉHAZI

Elle a force talent pour parler, la soubrette ;

Même à un asthmatique vendrait une trompette !

NAAMAN

Tu as encor gagné, je ne résiste plus.

Je trouverai sans doute en cette eau le salut.

Tu as vaincu, Léa, toute ma résistance.

GUÉHAZI

Il va donc obéir, enfin, sans rouspétance !

NAAMAN

Bien ! il faut y aller.

GUÉHAZI

      Allons ! Décidons-nous.

NAAMAN

Cette eau me guérirait ? Mais quelle idée de fou !

Allons-y !

GUÉHAZI

      Va !

LÉA

      Eh bien ?

NAAMAN

   Devant toi, ma servante

Me dévêtir ainsi ? Quelle idée indécente !

LÉA

Mais dissimule-toi derrière ce buisson.

Je ne regarde pas.

NAAMAN (après s’être dévêtu, caché derrière la végétation)

      C’est très bien. Avançons.

J’y suis.

GUÉHAZI

   Mais qu’il se mouille !

NAAMAN

      Brrr !

LÉA

      Quoi donc ?

NAAMAN

Elle est froide.

LÉA

Crains l’hydrocution qui te tuera tout roide.

GUÉHAZI

Vas-y !

NAAMAN

   Ah !

LÉA

      Quoi encore ?

NAAMAN

      Léa, je viens de voir

Nager dans l’eau croupie, – cela peut t’émouvoir –

Une bête effrayante : comme une tête noire

Sans corps et prolongée d’une longue nageoire.

LÉA

Quoi ? Le grand Naaman, si brave et si vantard

S’enfuit terrorisé à la vue d’un têtard !


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