Magazine Journal intime

Va, vis et deviens

Publié le 16 janvier 2009 par Corcky




Pas moyen, ces jours-ci, de parler d'autre chose.
Télévision, presse, radio, conversations de comptoir, papotage entre collègues, je suis à moitié persuadée que les techniciennes de surface qui triment dans les tours de la Défense pour un salaire de misère ne parlent que de ça, que les flics en causent dans les vestiaires après un petit tabassage convivial entre potes, que les enseignants en ont presque momentanément remisé la réforme de Darcos dans un placard, que les actionnaires du CAC 40 ont fait passer leurs dividendes astronomiques au second plan et que les putain de pigeons parisiens, entre deux largages de fientes ciblés comme des frappes chirurgicales américaines, ne roucoulent plus que pour s'échanger leurs opinions volatiles sur le sujet.
Je croyais moi-même avoir fait ma part du sale boulot en alimentant la polémique (à défaut de faire avancer le débat) il y a quelques jours.
Mais y'a rien à faire, ça nous colle à l'actu comme un vieux chewing-gum sur un fond de pantalon, et même comme une déjection canine sous une semelle, vu l'odeur franchement faisandée qui se dégage de toutes les discussions (et il y en a des milliers) qu'on peut aller lire sur internet quand on a que ça à faire (ce qui semble être le cas d'un bon paquet de gens).
Ça ne s'arrête pas, et ça ne s'arrêtera pas de si tôt, même quand les médias seront lassés et décideront de passer à autre chose (ce qui ne saurait tarder, vu que notre Président va forcément être tenté de nous pondre une nouvelle petite crotte politico-intellectuelle dans les jours qui vont suivre l'investiture du brave Obama, tant il est vrai qu'il ne supporte pas qu'on lui vole la vedette).
Je pourrais laisser tomber, me diras-tu.
Je pourrais, moi, passer à autre chose et me concentrer sur la caisse du chat qu'il faut changer avant que l'appartement ne se transforme en Tchernobyl olfactif, sur le frigo qu'il faut remplir sous peine de reproduire une vision cauchemardesque de pénurie alimentaire cubaine en plein Montreuil, sur la salle de bain qu'il va bien falloir se résigner à repeindre avant que sa couleur d'origine n'entraîne des nausées irrépressibles chez tous les visiteurs innocents qui auraient la mauvaise idée d'aller s'y laver les pognes, et sur la chasse d'eau des toilettes qui fuit (parce que trop de visiteurs innocents ont eu la mauvaise idée d'aller soulager leur vessie juste avant de se laver les pognes dans la salle de bain sus-nommée).
Je pourrais.
Je t'assure que j'essaye.
Mais je n'y arrive pas.
Ça reste là, coincé dans la gorge comme une arrête de poisson perfide (as-tu déjà essayé de décoincer une arrête de sole meunière enfoncée dans ta glotte? C'est un spectacle effroyable).
 
Alors, ami lecteur, tu pardonneras (ou pas) cette concession faite au consensus ambiant qui veut que pas une journée ne passe sans que l'on déblatère ad nauseam au sujet des évènements du Proche-Orient.
Tu m'accorderas peut-être, en dehors du matraquage médiatique, une autre circonstance atténuante quand je te dirai que ma fille, qui a toujours les yeux et les oreilles qui traînent là où il ne faut pas et quand il ne faut pas, a réussi à entrevoir quelques images des rues de Gaza aux infos du soir, et m'a demandé:
- C'est quoi? C'est la guerre?
A quoi j'ai répondu qu'il était sept heures, que Barbapapa allait bientôt commencer, et t'es encore pieds nus, nom de Dieu, combien de fois il faudra que je te demande de mettre tes chaussons, t'as rangé ta chambre?
Si tu le permets, cher lecteur, je vais donc essayer de me débarrasser de cette question embarrassante, en espérant qu'après ça, on pourra tous aller se mater une rediffusion de Derrick (car Derrick est à l'hyperactivité et au stress quotidien ce que la morphine est à la douleur la plus aiguë).
Alors, ma p'tite pomme, mon bout de zan, c'est quoi, en vrai, ce qu'on voit à la téloche tous les soirs depuis trois semaines, entre la poire et le fromage, juste avant le tirage du Loto et un peu après les reportages sur la baisse de la production de Cantal à Marmanhac?
C'est un immense gâchis.
C'est le rêve de tes grands-parents qui a viré au cauchemar.

C'est un pays dans lequel, par quelque décret divin, tu peux aller t'installer quand tu veux, ma puce, et réclamer des droits que la Bible t'accorde, tout en t'essuyant joyeusement les pieds sur les droits de tes voisins (qui ne sont, aux yeux de beaucoup, que des barbares islamistes prêts à se faire sauter n'importe où).
C'est un pays qui a le culot, ma louloute, de se réclamer de la même culture que toi, juste parce qu'il est peuplé et dirigé par des gens qui, comme toi, ont une mère juive.
Un pays qui semble avoir perdu de vue l'essentiel de ce qui fait, pour ton arrière-grand-mère,  ta grand-mère et pour ta mère, la beauté de la philosophie et de la culture juive (comme dirait ta grand-mère: "En gagnant une nation, ils semblent avoir perdu leur âme").
C'est une armée suréquipée, ma puce, des milliers de gamins endoctrinés et sûrs de leur bon droit, à qui on a répété en boucle, depuis des générations, qu'ils avaient en face d'eux des barbares sanguinaires prêts à tout pour les rejeter à la mer, plusieurs millions de "terroristes" en herbe, qui ont eu le culot d'habiter ce mouchoir de poche avant eux-mêmes, et de ne pas fermer leur gueule quand on les en a chassés comme des malpropres il y a soixante ans.
C'est un pays, maidele, qui chie allègrement sur le droit international et sur la Convention de Genève, au nom de tes ancêtres à toi, qui ne lui ont rien demandé,  surtout pas d'ériger des kilomètres de barbelés et de bombarder des gosses. Ce n'est certainement pas pour ça qu'
Anielewicz et Bielski se sont battus, bordel.
C'est un pays, poupée, dans lequel ton cousin (au quatrième degré, certes, mais cousin tout de même) fait partie des quelques milliers de citoyens ayant suffisamment de couilles pour dire "merde" au système, mais qui le paye au prix fort (et fais-moi penser, ma fille, à lui envoyer quelques bouquins et des barres chocolatées en Colissimo, parce qu'il doit s'ennuyer ferme dans sa cellule militaire).
C'est un pays dans lequel on a traité les rescapés de la Shoah de sabonim, un doux surnom qui signifie "savonnette", et qui n'était certes pas employé en référence à Dove ou Lux Beauté. D'ailleurs, aujourd'hui, si tes arrière-grands-parents étaient revenus d'Auschwitz et qu'ils avaient décidé d'émigrer en ces contrées trois fois saintes, ils y vivraient peut-être  sous le seuil de pauvreté, tant il est vrai que le passé est bien commode à instrumentaliser mais pas si facile à assumer dans les faits.
C'est un pays, enfin, que je ne peux plus, que je ne veux plus défendre devant qui que ce soit, et si les allumés de la Ligue de Défense Juive veulent venir me demander des explications (musclées), dis-leur que maman les attend sagement avec un exemplaire du dernier bouquin d'Avraham Burg (mais je doute qu'ils sachent lire, voilà au moins quelque chose qu'ils ont en commun avec les barbus les plus haineux de "l'autre camp"...)
Certes, c'est aussi, ma mini-pouffe, des gens qui défilent dans les rues en bêlant "mort aux Juifs", parce que la Palestine, ils s'en tamponnent le coquillart, trop contents qu'ils sont de dégueuler leur haine antisémite, les mêmes crétins qui brûlent des synagogues et en appellent à Hitler quand ils sont à bout d'arguments constructifs.
Ceux-là, ma fille, t'attendront toujours au tournant et t'accuseront d'avoir provoqué le Onze Septembre, la crise financière, les attentats de Madrid, l'épidémie de peste au Moyen-Âge et la mort d'un certain Yeshoua (un type qui  prétendait que ses parents, des SDF locaux, n'avaient pas eu d'autre choix que de le faire naître dans une étable).
Mais essaye, ma bouille d'amour, de ne pas prendre leurs éructations trop au sérieux. Surveille-les toujours du coin de l'oeil, sois attentive et ne perds pas la mémoire (un jour, à l'école, tu apprendras où se trouve Nuremberg, et ce qui s'y passa jadis), mais prends bien garde à ce que ces imbéciles ne te poussent jamais dans les bras d'une idéologie mortifère et racialiste qui t'inciterait à penser que tu vaux mieux qu'un gosse de Naplouse ou de Deir Yassin.
Voilà, ma fille, j'en ai plein les bottes, plein le carafon et plein le cul (passe-moi cette expression vulgaire, et ne t'avise pas de la répéter à la maîtresse, sinon tu peux courir pour avoir ta panoplie de vétérinaire à Noël).
Je vais donc conclure, parce que les lecteurs et lectrices de ce billet doivent, eux aussi, regarder leur montre en se demandant à quel moment je vais enfin clore cette diatribe stérile, je vais donc conclure, disais-je, en me permettant de te donner un petit conseil maternel dont tu feras, une fois grande, ce que bon te semblera:
Va, ma fille, vis, et deviens ce que tu voudras, plombière ou prof de lettres, architecte ou fleuriste, romanichelle fauchée ou cadre supérieur, mais surtout, surtout, n'oublie pas d'où tu viens, n'oublie pas non plus que l'enfer est pavé de bonnes intentions (demande à n'importe quelle minorité ce qu'elle en pense) et qu'à trop se définir par sa couleur de peau, sa religion ou ses préférences sexuelles, on devient l'équivalent d'une tranche de jambon sous vide exposée froidement dans un rayonnage aseptisé du grand hypermarché de l'humain.
Et crois-moi, tu n'as pas envie de voir dix mille tranches de jambon se foutre sur la gueule dans les allées du rayon fruits et légumes.
Sur ce, ma fille, allume donc la télé, c'est l'heure d'Inspecteur Gadget.



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