Magazine Journal intime

Germinal (tous ensemble, tous ensemble, mais où?)

Publié le 30 janvier 2009 par Corcky

J'ai souvenance d'avoir, il y a quelques mois, rédigé un billet désespéré sur le thème de l'absence dramatique de figures politiques, artistiques et sociales dignes de ce nom.
Je me plaignais (car c'est à peu près tout ce que je sais faire) du vide abyssal qui entoure la génération née après Soixante-Huit, c'est-à-dire les malheureux consommateurs que nous sommes, nous qui n'avons eu le choix qu'entre les faux rebelles de Prisunic (qui exhibent leur mèche provocatrice et leur bandana rouge sur les plateaux de télévision en conspuant le capitalisme,  la guerre et le racisme avant d'aller se refaire une ligne de coke en coulisses), les nostalgiques du stalinisme (qui font leur beurre en glorifiant Che Guevarra sans pour autant proposer quoi que ce soit d'un tant soit peu réaliste), les people trépanés du buble mais riches à millions (dont les aventures trépidantes, narrées ad nauseam dans Gala, font rêver des millions de no-life dépressifs)  ou les nouveaux golden boys du "tout fric" (dont Sarkozy n'est que le dernier avatar).
En matière de modèles, nous pouvons, au choix, nous inspirer du petit facteur à qui on donnerait le Bon Dieu sans confession et qui racole chez Drucker, ou bien de ces chanteurs de salle de bain qui se réunissent de temps à autres pour offrir au Tiers-Monde un disque collectif à la mélodie insipide et aux paroles dignes du générique de L'île aux enfants (la palme revenant sans aucun doute à Chanson pour l'Ethiopie, navrante guimauve des années 80), ou encore de ces starlettes au vocabulaire aussi indigent que leurs convictions politiques et qui finissent généralement par chroniquer le dernier bouquin de Sullitzer chez Laurent Ruquier.
Pourquoi je te raconte tout ça, gentil lecteur, alors que tout ce qui t'intéresse, depuis hier, c'est de savoir si la grève a été massive, si le gouvernement a pris note du mécontentement général, si Nicolas Sarkozy en a mouillé son pantalon d'angoisse et si tu pourras tout de même prendre le métro ce soir afin de te rendre au Macumba, où tu comptes bien t'enivrer jusqu'au coma éthylique après t'être trémoussé sur la piste surpeuplée comme une otarie cacochyme et légèrement myope?
Eh bien figure-toi qu'en essayant de glaner quelques nouvelles concernant cette fameuse grève, je suis tombée sur une information passée largement inaperçue, mais qui a provoqué, dans ma cage thoracique d'ex-fumeuse aussi musclée qu'une crème caramel avariée oubliée dans le bac à légumes d'un réfrigérateur, une crispation presque douloureuse, un pincement annonciateur d'amertume et de vague tristesse.
Billy Powell est mort.
Tu me diras que, personnellement, tu t'en soucies à peu près autant que du taux de fécondité des Phobetron hipparchia (célèbres lépidoptères d'Amazonie), et que tout ceci ne nous mène décidément nulle part.


Détrompe-toi.

Billy Powell, ce n'est pas seulement un obscur musicien décédé supplémentaire, c'est aussi le pianiste de Lynyrd Skynyrd.
Et Lynyrd Skynyrd, c'est toute une époque en soi.
En ces temps troublés où Lynyrd Skynyrd explosait le Top 50 avec "Free Bird" (et plus tard avec "Sweet home Alabama"), le monde tournait déjà à l'envers depuis pas mal de temps,  les Etats-Unis s'embourbaient au Vietnam, la ségrégation raciale faisait führer, les pavés volaient assez bas en France, et si on manquait un peu de figures politiques solides (les candidats au titre se faisant régulièrement descendre les uns après les autres, comme Martin Luther King), on pouvait au moins se targuer d'avoir, en lot de consolation, un arrière-fond musical incomparable et un nombre incalculable de chanteurs qui, à défaut de pouvoir prétendre changer les choses, parvenaient au moins à faire passer des messages suffisamment forts et politiquement construits pour être entendus et repris par des millions de gens, entonnés dans des manifestations devenues mythiques et contribuer, en fin de compte, à faire aboutir des revendications  comme les Droits Civiques, la fin de la guerre ou le départ de Nixon.

Cèdons un instant, si tu veux bien, à la tendance very branchée de la playlist musicale:













Et si nos parents n'étaient pas anglophones, ils pouvaient encore se rabattre avec bonheur sur Vian, Brassens ou Reggiani, qui ne disaient pas autre chose (même s'il faut reconnaître qu'il y avait moins de riff endiablés de guitare électrique sur les chansons de Ferré ou de Mouloudji que dans les titres de Neil Young et de Lennnon...)
Quant à nous, enfants de baby-booomers nostalgiques, nous devrons nous contenter de Cali, de Renaud ou de Raphaël, pseudo-révoltés du show business et faux insoumis avec qui nous bêlerons tous ensemble, tous ensemble que les banquiers sont des salauds, les flics des fachos et les prolos des héros, et tout ça n'aboutira qu'à une énième saison de la Star Academy et à un nouveau concert des Enfoirés au rayon surgelés de l'hypermarché de Palavas-les-flots, tandis que nous retournerons sagement jouer avec notre Wii, écouter Noir Desir, Zebda et Manu Chao sur nos Ipod et jouer aux révolutionnaires engagés sur les forums alter-machin, un keffieh made in China fièrement enroulé autour du cou.
Ce billet est à présent terminé, tu peux donc à loisir m'abreuver d'insultes telles que "vieille conne", "réactionnaire bouchée" et autres "passéiste incurable".



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