Préparez vos tomates et vos sifflets, car après ce que je vais dire, vous allez sans doute en avoir besoin. Ben oui, parce que ce que je vais dire, on n’a pas le droit de le dire. Ce ne sera pas politiquement correct, mais comme j’aime bien dire ce que je pense, quitte à ce que cela dérange, je le fais quand même. Et avec vos éventuelles tomates, je meferais de la soupe pour ce soir.
Il y a quelques temps, j’écoute France Info, et j’entends soudainement la journaliste annoncer une chronique présentée par Karine Duchochois. Connaissant l’affaire Outreau sur le bout des doigts puisqu’en plein tapage médiatique, je préparais alors le concours d’entrée en Ecole de journalisme, je me dis « Tiens, le même nom que l’une des inculpées puis innocentées ». Elle prend l’antenne, et là, je me dis « Tiens, la même voix en plus ». Et quelque temps plus tard, je m’aperçois que ce n’est ni un homonyme, ni un sosie : c’est bien la Karine Duchochois de l’affaire Outreau qui s’est reconvertie dans le journalisme.
Depuis, on la voit ici et là dans des reportages, ou émissions comme hier chez Mireille Dumas raconter son douloureux parcours, mais qui l’a conduite au final dans les rédactions de France Info. Hier soir sur France 3, elle racontait donc qu’elle a eu la présence d’esprit de donner ses C.V. à tous les journalistes au moment où l’innocence des inculpés pointait le bout de son nez. C’est ainsi, que sans qualification aucune, sans diplôme et en n’ayant même jamais caressé le souhait de devenir journaliste auparavant, elle se retrouve documentaliste chez TF1 pendant 2 ans, puis propulsée sur France Info comme journaliste où elle anime une chronique sur le droit.
Je vais vous dire, je suis scandalisée. Non pas contre elle, bien lui en a pris d’avoir donné ses C.V. à ce moment là. Elle a eu raison, la preuve, ça a marché. Mais ce qui me débecte, c’est ce système journalistique hypocrite et ultra bouché d’ordinaire, mais qui se débouche soudainement pour quelqu’un qui n’a aucune compétence dans ce domaine. Je compatis pour tout ce qui est arrivé à Karine Duchochois, ainsi qu’aux autres innocents de l’affaire. Donc les pères et mères la morale qui seraient tentées de me dégainer le parcours des victimes, 3 ans de prison, enfants séparés… je précise que c’est inutile car comme je l’ai dit plus haut, je le sais déjà, et à nouveau je compatis. Ceci n’est pas une attaque personnelle vis-à-vis de cette dame, qui, heureusement se reconstruit d’après ce qu’elle en dit. Si cela passe par une nouvelle vocation, alors parfait, nul jugement n’est à émettre là-dessus. Mon propos ne se réduit pas à la singularité des parcours et protagonistes de cette affaire, mais s’étend plutôt à une interrogation plus large sur un système injuste.
Certains me diront que je suis cynique, et que ce n’est qu’une seconde chance qu’on a voulu offrir à Mme Duchochois, que c’est plutôt positif car cela montre le côté humain de ses recruteurs. Certes. Mais je vous avoue que je n’aurais pas été choquée à ce point si cela avait été un job d’une autre nature. Si cela avait été un poste de commercial, de chef de projet, de fonctionnaire ou n’importe quel autre, cela ne m’aurait pas outrée à ce point. Cela me choque particulièrement parce que c’est le milieu journalistique, et qu’il n’a rien d’humain de ce que j’en connais, et croyez-moi, je le connais même très bien. Et puis, si c’est une question d’humanité, peut-être qu’il faudrait commencer à être « humains » en payant convenablement ses pigistes, ou en étant moins fermés aux nouvelles collaborations. Ben oui, si c’est une question de victimisation, croyez-moi, je peux vous fournir un CV de haute qualité moi aussi. Nous aussi, jeunes journalistes, on a besoin d’une « secon… euh première chance » et d’un peu d’humanité dans les rapports parfois. Mais comment la mériter cette chance, nous autres anonymes ? A la violence du drame vécu ? Quelle est l’échelle ? Faut-il faire la une du Nouveau Détective pour espérer l’avoir cette chance ?
Je ne suis ni aigrie, ni amère, mais simplement choquée, en qualité de journaliste qui galère depuis plus de 5 ans, à qui les portes claquent plus vite que leurs ombres, à qui l’on répète sans arrêt que ce sujet n’est pas assez ceci, ou est trop cela, que la conjoncture ne permet pas d’embauche, à qui l’on joue des tours pour toujours repousser les paiements, oui je suis choquée qu’ensuite, on accueille une femme à bras ouvert complètement extérieure à ce milieu, mais qui a eu visiblement, comme corde à son arc, d’avoir vécu un drame. Apparemment, c’est en qualité de « victime » que l’on obtient un poste à présent. C’est dommage, si je l’avais su, j’aurais commencé mes lettres de motivations autrement que par « Sérieuse, diplômée, passionnée de journalisme », mais plutôt par « Cher Diary… euh…rédacteur en chef, depuis que j’ai 4 ans, je veux être journaliste. Je me souviens même un jour, en y rêvant éveillée, je suis tombée dans le bac à sable, et là, horreur, je me suis ouvert le genou et le médecin a dit… ». Peut-être que ça aurait mieux marché qui sait.