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L'audition

Publié le 26 février 2009 par Zoridae
Nous avons commencé par discuter simplement, curieuses de nous connaître. J'ai osé répéter, alors que je l'avais dit dans chacun de mes mails, que son projet me plaisait en tous points, que je pourrais me libérer pour les répétitions et l'aider dans les recherches de salles. Ne sois pas trop enthousiaste, me suis-je sermonnée intérieurement au bout de ce laïus pesant, on dirait que tu n'as pas d'autre projet.
Pendant que je lui expliquais mon parcours musical, ma voix est devenue rocailleuse au milieu d'une phrase et j'ai dû tousser pour l'éclaircir ; entre temps, la fin de mon argumentation était repartie dans les limbes de mon imagination et j'ai plongé le nez dans mon bol de thé, bien consciente du regard interrogatif suspendu à mes lèvres. Après quelques secondes de silence, j'ai relevé la tête et un grand sourire s'est étendu comme une balafre sur le bas de mon visage cramoisi. Je crois que j'ai fait un signe de la main comme pour dire "pas grave, on s'en fout" mais il se peut que je l'aie juste imaginé. Je me suis demandé si je n'avais pas trop répété avant de venir et j'ai souri de nouveau. J'ai peut-être la voix fatiguée maintenant...
Enfin, elle a haussé un sourcil puis, elle a lancé :
"Bien, alors que m'avez-vous amené ?
- Blute nur, ai-je soufflé, soudain oppressée.
- Ah ! Très bien a-t-elle dit, j'aime beaucoup ce morceau."
Elle est allée s'installer au piano en me disant qu'elle ne savait pas en jouer mais qu'elle m'aiderait comme elle le pouvait. Et j'ai chanté :
" Blu-u-te nur... Ouh là, ai-je pensé. Ma voix était voilée, comme mal réveillée. Et voilà, j'ai répété trop longtemps et je me suis flinguée !

Pourtant, après quelques mesures imaginaires - elle oubliait des bémols et n'était pas en rythme - je suis repartie et cette fois ma voix s'est déployée, haute, brillante.
- Blu-ute nur. Oh ! Tout n'est peut-être pas perdu ! C'était juste un mauvais départ ! Allez, il ne faut plus réfléchir... Avancer avancer. Blu-u-te nur du lie-ie-bes Herz, blu-u-te nur du lie-ie-bes Herz. Zut j'ai oublié de respirer. Je ne vais pas tenir. Blu-u-te nur... Oh non ! Qu'est-ce que c'était que cette respiration ? Et cette attaque ? Trop dure ! Du liebes Herz. Ouf celle-ci était meilleure. Sauf que la tenue est un peu courte. Et c'est quoi ce vibrato ? Bon, la deuxième partie est plus tranquille. Eh ! Elle sourit ! Je l'ai vue sourire ! Denn es ist zur Sclange wo-o-rden. Mais pourquoi je braille comme ça moi ? Ca y est, ma voix est de nouveau enrouée. Dro-oht den Pflege-er zu ermo-o-o-o-o-o-o-o-den. Bravo pour la vocalise lourdingue ! Là c'est sûr, elle ne sourit plus...
- Bien, a-t-elle conclu.
- J'ai eu un peu le trac, je suis désolée, j'ai chanté un peu fort.
- Non non, ça va. C'était très bien. Et l'autre morceau que vous avez amené c'est quoi ?"
A la fin de ma prestation nous nous sommes rassises dans les fauteuils, l'une en face de l'autre. Elle m'a proposé une autre tasse de thé et j'ai accepté. La conversation n'était plus aussi fluide qu'à mon arrivée, son regard moins chaleureux. J'ai remarqué un nouvel accroc sur mes bottes et j'ai pris congé.
"Vous avez vraiment un manteau magnifique m'a-t-elle dit devant la porte. Il vous va très bien.
- Merci. Alors j'attends de vos nouvelles... Dans deux trois jours, c'est ça ?
- Oui, je serai rapide !"

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