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Impardonnables

Publié le 03 mars 2009 par Zoridae
Depuis que j'ai lu Impardonnables, le dernier roman de Philippe Djian, je ne cesse de m'interroger sur ce que je trouve impardonnable. En dehors, bien sûr, de choses clairement répréhensibles, condamnées par la loi. Et ce n'est pas si facile de répondre à cela. Il me semble que les années passant, certaines colères se sont apaisées, que les douleurs endurées ont perdu de leur pouvoir, que les trahisons se sont muées en banals accidents et que je suis devenue à la fois plus sereine et plus tolérante.
Dans le roman, Francis, écrivain de soixante ans en panne d'inspiration, doit affronter la disparition d'Alice, sa fille actrice, alors que, quinze ans auparavant il a perdu, dans des circonstances atroces, sa femme et son autre fille.
La première partie de l'histoire est palpitante. Francis engage une amie détective privée - Anne-Marguerite dite A.M.- pour retrouver sa fille, il se souvient des circonstances entourant le premier drame, de la façon dont la vie a repris ses droits après des années sous le choc, de sa relation avec sa fille survivante, construite envers et contre tout.
Francis supporte difficilement cette nouvelle épreuve d'autant que sa deuxième épouse, Judith, le délaisse et que Jérémie, le fils d'A.M. sortant de prison, lui impose sa présence désespérée, ses problèmes insolubles. Alors il erre d'une réflexion à un souvenir, d'une découverte à un espoir, dévasté mais capable de dérision, égoïste et attachant.
Quand à la cent-huitième page, Francis découvre que sa fille se cachait pour relancer sa carrière, le récit bascule.
Car Francis ne pardonne pas - et ne pardonnera pas - à Alice de lui avoir infligé des souffrances inutiles après avoir traversé le pire avec elle autrefois.
A la lecture de la deuxième partie, le doute m'a taraudée sans répit: est-ce que moi je pardonnerais une chose pareille ? Après tout, l'écrivain retrouve sa fille alors qu'il la croyait disparue à jamais... N'est-il pas plus important d'être rassuré sur son sort que d'avoir été victime d'un mensonge - certes odieux ?
Un vieux rêve m'est revenu que je faisais, chaque fois un peu différent, après la mort de mon père. Quelques jours après son accident, il apparaissait, juste comme ça, et j'étais stupéfaite. C'était un chœur de rires pleins de larmes, un final de feu d'artifices, tonitruant, ridicule à force de surenchère ; je redécouvrais l'être que j'avais cru perdu à jamais et nos relations étaient belles, débarrassées des ridicules pudeurs qui avaient empêché tant de paroles entre nous. Mon père avait été obligé de nous infliger la souffrance du deuil, il me l'expliquait et c'était évident. Il arrivait qu'il dégouline encore du sang qu'il avait feint de verser, il me donnait des explications saugrenues que je n'écoutais pas. Seul comptait le bonheur de le retrouver, lui mon père, d'être à nouveau la fille qui lui ressemble - qualis pater, qualis filiae - disait Papi Jean, celle qui finit ses verres de vin parce qu'il n'aime pas ça, celle qui lui a pardonné sa violence passée et qui le serre dans ses bras.
Ensuite nous étions poursuivis par des hordes de psychopathes armés de tronçonneuses mais c'est une autre histoire...
Les années ont passé et dans mon rêve les explications de mon père devenaient de plus en plus sensées tandis que je plissais le front en posant des questions en rafales. Au lieu de me jeter dans ses bras, je le dévisageais d'un œil sévère. Puis je lui coupais la parole et je lui exposais les mille façons dont j'avais voulu mourir de sa mort. Je lui parlais de mes sœurs aussi perturbées que moi, de sa femme, seule sans lui. Et je crois bien que je lui tournais le dos...
Au réveil, je devais supporter l'idée que mon père était mort, de toutes façons, que je le lui pardonne ou pas.
C'est lorsqu'il s'est coupé de sa fille que Francis décide de se plonger dans l'écriture d'un roman. Son amie A.M. vient d'apprendre qu'elle va mourir d'un cancer, sa femme est toujours absente et Jérémie semble s'adapter peu à peu. Francis veut écrire pour sortir de la vie, pour n'avoir plus le temps de s'occuper des problèmes des autres :
"Rien n'était plus dur que d'écrire un roman. Aucune besogne humaine ne réclamait autant d'efforts, autant d'abnégation, autant de résistance. Aucun peintre, aucun musicien n'arrivait à la cheville d'un romancier. Tout le monde le sentait bien. Il m'arrivait de serrer si fort les dents au milieu d'une phrase que la pièce toute entière se mettait à siffler. Hemingway ne racontait pas autre chose. L'herbe ne verdissait pas toute seule. Le paysage ne filait pas derrière la vitre par enchantement. J'aurais préféré renouer des relations normales avec ma fille ou repartir sur de nouvelles bases avec Judith, mais écrire un roman était ce qui me semblait le plus réalisable en l'occurrence. Chaque jour qui passait m'en persuadait davantage. Rien d'autre ne me paraissait à portée. Je ne voyais pas d'autre planche de salut. Je regardais à gauche, je regardais à droite et je ne voyais rien. Je n'avais encore jamais abordé l'écriture d'un livre dans cet état d'esprit."
C'est un livre fort, un peu âpre mais plus léger qu'il ne semble. Entre autres, il parle d'écriture d'une façon simple, sans chichis. J'ai aimé la cadence décousue, heurtée, avec une fin qui précède le milieu du livre dans le temps, les personnages bruts, tellement tannés par la vie qu'ils en deviennent incapables d'exprimer leurs sentiments. Et puis je ne cesse d'y penser... C'est bon signe, non ?
Et vous, que ne pourriez-vous pardonner ?
Lily, Amanda Meyre, Thomas Sinaeve ont fait de belles critiques. Et puis juste pour rire un peu, vous pouvez aller admirer la flamboyante joute verbale de Yann Moix et Didier Jacob.

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