Magazine Journal intime

Les parents terribles

Publié le 12 mars 2009 par Corcky

Le printemps approche, ami lecteur.
J'en veux pour preuve la floraison actuelle, qui chaque année nous ravit, de ces bons vieux marronniers.
Attention, béotien: je n'évoque pas ici le banal Aesculus hippocastanum, de la famille des Hippocastanacées, sur lequel ton chien aime envoyer son petit jet d'urine quotidien le soir, entre deux crottes fumantes déposées juste à côté du caniveau (as-tu remarqué le nombre de chiens qui prennent un malin plaisir à souiller le trottoir à quelques centimètres de l'endroit approprié? J'ai toujours pensé que les chiens étaient des salopards, c'est pourquoi je persiste à préférer les chats).
Non, je te parle des marronniers journalistiques, ces sujets habituels et redondants, que nos médias ressortent de leurs cartons poussiéreux à chaque période creuse, et qui vont du secret des Francs-Maçons au classement des hôpitaux, en passant par le réchauffement climatique et les plus grosses fortunes de la planète.
En ce moment, donc, il t'est possible de humer le doux parfum de quelques marronniers en fleurs, sur la Toile, à la Une de tes magazines favoris et même dans tes quotidiens de référence.
Notamment celui qui, depuis quelques années, fait les choux gras de tout ce que la télévision compte comme émissions les plus voyeuristes et les moins culturelles: ce qu'on appelle l'homoparentalité.
Je sens un frisson de plaisir parcourir ta frêle échine, cher lecteur.
Il est vrai que ce seul terme procure au quidam de base une sensation double, voire triple: Attrait coupable pour tout ce qui touche à l'homosexualité (ne nie pas, je te connais), intérêt pour ce qui relève encore souvent du tabou de société, et goût naturel pour la polémique sanglante (car s'il est un sujet sur lequel on s'empoigne, Bible à la main, dans les hémicycles, c'est bien celui-ci).
Notre joli marronnier, donc, revient cette année par la fenêtre (après nous avoir quittés l'année dernière par la porte, celle des toilettes de l'émission Le Droit de Savoir, ou était-ce Confessions Intimes, ma mémoire me joue des tours), sous la forme d'un tout petit alinéa rédigé par un obscur pisse-copie au service de la secrétaire d'Etat à la famille, Nadine Morano.
Petit alinéa qui, noyé dans une multitude de termes juridiques, précise dans un avant-projet de loi (qui doit être déposé au Parlement d'ici à la fin mars) que le texte  "relatif à l'autorité parentale et aux droits des tiers reconnaît les familles homoparentales".
Bien.
En clair, en dehors des quelques millions d'enfants vivant dans des familles recomposées et élevés par un beau-parent, quelques dizaines de milliers de mômes, élevés par des couples de même sexe, pourraient eux aussi voir leur "autre parent" bénéficier d'un statut juridique (certes basique) lui permettant, par exemple, d'autoriser un chirurgien à les opérer en urgence.
Pas de quoi fouetter un chat, en somme, aucune référence à un quelconque "mariage gay", encore moins une brèche vers l'adoption légale pour les couples homosexuels.
Évidemment, et nonobstant l'aspect inoffensif du texte, tu penses bien que les amis de l'Église (tu sais, cette institution pluri-millénaire qui, dans sa grande sagesse, décrète que le viol est moins grave que l'avortement) sont immédiatement montés au créneau, missel et goupillon à la main, pour hurler à la trahison des valeurs fondamentales enseignées par Jésus-Christ (qui n'en demandait pas tant, le pauvre).
De Christine Boutin à Monseigneur Marc Aillet, en passant par l'aile droite de l'UMP (je sais, c'est un pléonasme, j'affectionne les figures de style gratuites), chacun y est allé de son petit couplet suintant de tolérance, d'amour du prochain et de compassion christique.
Personnellement, j'avoue que ce déchaînement d'amour chrétien m'a laissée quelque peu de marbre.
Froide comme un glaçon judicieusement placé entre les deux  seins de Sharon Stone.
Aussi impassible qu'un garde du corps physionomiste  laissant entrer Didier Porte à un meeting de l'UMP.
J'ignore pourquoi.
Je cherche une explication.
Je me dis que, peut-être, ce détachement amusé, qui me pousse à considérer madame Boutin avec le regard professionnel de l'entomologiste étudiant un cafard sous un microscope, est lié au souvenir encore frais de mes dernières vacances en Normandie.
En Normandie, où réside l'intégralité de ma belle-famille.
Je dois te dire que ma belle-famille vient de ce que la Droite aime appeler "la France d'en bas" ou "la France qui se lève tôt" (et que les communistes ont toujours aimé baptiser "la classe laborieuse").
Les parents de ma femme (puisque c'est d'eux que je te parle, tu suis?) n'ont jamais ouvert un bouquin de pédo-psychiatrie de toute leur existence.
Ils n'ont jamais entendu parler d'homoparentalité, non plus.
A vrai dire, jusqu'à ce que leur fille me mette le grappin dessus, il y a deux ans, ils ignoraient même que leur adorable progéniture pût préférer jouer au docteur avec des filles de ferme qu'avec des garçons vachers. C'est dire.
J'ajoute que mon beau-père vote à droite (ne hurle pas) et que l'oncle de ma femme est maire (UMP) d'une minuscule commune de ploucs normands toute acquise à la rhétorique sarkozyenne.
Je termine en te précisant que dans cette famille, tout le monde est baptisé (et que la grand-mère de 89 piges continue d'aller à la messe tous les jours, entre deux tournois de belote).
Pour autant, deux ans plus tard, ma petite personne, si prompte à cataloguer ses concitoyens et à les mettre dans des cases dès que leurs opinions politiques divergent quelque peu de la sienne (deux catégories, chez moi, comme tu le sais: "Connards" et  "Gros connards"), ma petite personne, donc, si pétrie de mauvaise foi congénitale, ne peut que te faire cet aveu en se mortifiant:
Ma belle-mère est devenue "mamie" pour ma fille, et il faut voir les étoiles que ça lui met dans les yeux, à la Belle-Doche, quand la gosse hurle "maaaaaamie" à la piscine avant de plonger dans le petit bain.
Mon beau-père est devenu "Papi", et c'est fou comme sa connerie habituelle peut se faire discrète quand il emmène la gamine se balader dans les prés avec son foutu clébard ("On va ramasser du bois pour l'omelette et des champignons pour le feu, on revient dans une petite heure").
Monsieur le Maire (UMP, je le rappelle, ça vaut son pesant de cacahuètes, surtout quand on connaît mon allergie) dresse sa table chaque année, le 25 décembre, table à laquelle ma femme et moi avons nos places réservées, sans parler du cadeau joliment enrubanné qui attend la gosse devant l'immense sapin familial ("C'est fou comme elle est bien élevée, cette petite...Viens faire un bisou à Tonton, il est en manque de câlins, il vient de voir son Président à la télé, il a le moral en berne")
Mémé soi-même, 89 balais donc, et du titane dans toutes les articulations (elle doit faire sonner les portiques dans tous les aéroports), a décrété sans ambages que Poupon la Peste se devait de l'appeler Grand-Mamie ("mon petit-fils est infoutu de me faire des arrière-petits-mômes pour l'instant, alors si ma petite-fille en ramène un déjà tout fait, c'est bon à prendre, et je prends").
Cerise sur le gâteux?
L'horrible poupée Bécassine amoureusement tricotée par la vieille dame indigne, qui trône dans la chambre de ma loupiote juste à côté des peluches Ratatouille et pas trop loin des boîtes de Playmobil.
Quant à ma femme, qui n'a pas eu d'autre choix que d'apprendre à cohabiter avec une gamine de deux ans, alors qu'elle en avait à peu près autant envie que de s'épiler à l'épluche-légumes pendant le reste de ses jours ("j'ai jamais eu l'appel du ventre, mon amour, l'instinct maternel, c'est du flanc, c'est la rhétorique des Narcisse qui jouent la modestie"), quant à ma femme, disais-je, quand je la regarde raconter l'histoire de Boucle d'or (la squatteuse) et des trois ours (des bénéficiaires historiques de la loi Boutin sur le logement), quand je la vois serrer la gosse dans ses bras, quand je l'entends jouer au ballon en s'époumonant ("Non, Poupon la Peste, pas avec les mains, ou alors on appelle ça du rugby, et on dit adieu au salaire de millionnaire et aux contrats publicitaires mirobolants!"), eh bien j'oublie, le temps d'une respiration, toute la misère du monde.
Alors peut-être, lecteur, je dis bien peut-être, que c'est un peu tout ça qui me pousse à prendre madame Boutin en pitié, à lui adresser un sourire de commisération et à lui conseiller, avec toute la charité chrétienne dont je suis capable, de prendre son gros missel et de se le carrer bien profond là où le soleil ne brille jamais.


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