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Le marchand de sable (1)

Publié le 30 mars 2009 par Zoridae
La sonnerie sèche du réveil de voyage, frappant son oreille comme un coup de fouet, tira Louis d’un sommeil fiévreux. Il était quatorze heures et il n’avait dormi que trois heures durant les dernières quarante-huit heures.
Bientôt je n’aurai plus besoin de faire tout ça, songea-t-il pour se donner du courage. Son appartement, dégageant encore une faible odeur de peinture, était plongé dans l’obscurité. Louis enclencha l’ouverture automatique des stores et avala ses gélules debout devant les grandes baies vitrées qui dévoilaient peu à peu un soleil blanchâtre et un paysage presque beau.
Le fleuve était si proche qu’en s’accroupissant pour avoir les yeux à hauteur du rebord de la fenêtre on avait l’impression d’être sur la proue d’un bateau. Le parc agitait ses arbres dans le jour comme pour l’accueillir. Au loin la ville, sombre et grise, parcourue des frissons de la circulation du samedi après-midi, semblait calme, enveloppée dans un nuage blanc de pollution qui atténuait les bruits et rendait taille humaine aux hautes tours défigurant le paysage.
Louis habitait son appartement depuis une semaine et il savourait la solitude qu’il n’avait jamais goûtée, ayant quitté directement le logement bruyant de ses parents, au rez-de-chaussée d’un boulevard misérable, pour l’appartement en copropriété que leur avait offert les parents de Claire, son ex-femme. Dans quelques heures ses filles découvriraient l’endroit où il habitait et cette idée, sans l’effet des médicaments, aurait suffit à le rendre nerveux.
Bientôt je n’aurais plus besoin de prendre ces saloperies
, pensa-t-il encore en avalant le dernier cachet. Heureusement que je suis médecin, sinon je ne tiendrais jamais le coup.
Louis, pour payer son appartement travaillait depuis six mois dans deux endroits différents, l’hôpital et une clinique privée. Astucieusement, il dérobait ce dont il avait besoin pour son traitement personnel : amphétamines, calmants, somnifères, vitamines, antidépresseurs, tout ce qu’il fallait pour ne pas craquer en travaillant vingt à vingt-deux heures par jour, six jours sur sept.
Après dix années de mariage, Louis avait envie de se faire plaisir, il voulait une voiture neuve, un appartement à son nom et des vacances aux destinations fabuleuses. Il avait décidé de quitter Claire sur un coup de tête, rejetant le souvenir même de ce qu’ils avaient construits ensemble. Il lui avait tout balancé, tout reproché, y compris les femmes qu’il avait eues et dont elle ignorait l’existence. Une envie de repartir de zéro. De retrouver la liberté de ses vingt ans, avec les moyens de ses trente-cinq ans. Au sujet des gosses il n’avait rien dit, rien décidé. Il ne savait pas quoi en penser. Il ne pouvait pas les abandonner. Mais il refusait de payer une pension alimentaire à Claire. Et il avait du mal avec elles. La petite pleurnichait sans arrêt, la grande le regardait curieusement, silencieuse, discrète et ennuyeuse.
(A suivre...)
Illustration : Richard Wilkinson

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