Magazine Journal intime

Il y a 93 ans...

Publié le 30 avril 2009 par Papote

Je pars tout à l'heure pour quatre jours (donc ne vous froissez pas si je ne réponds pas à vos commentaires, je ne sais pas si je disposerai d'une connexion internet pendant tout ce temps. Mais laissez-les quand même, je serai ravie de les lire, au pire, dimanche soir !)...

Donc, je pars pour quatre jours avec P'tite Louloute (sept heures de train à s'enquiller, ayez une pensée émue pour les pauvres passagers du même wagon !).
D'abord, pour féliciter en direct, P'tite Cousine qui a présenté sa thèse de droit, hier, après 8 années de travail acharné et passer un moment en famille comme je les aime...
Sujet de la thèse : L'axiome"accessorium sequitur principale" (l'accessoire suit le principal) en droit international privé... La vache, je n'aurais sans doute pas tenu 8 jours !)
J'admire sa pugnacité et comme je l'adore (elle, pas sa pugnacité !), et qu'on se voit beaucoup trop peu à mon goût, j'en profite !!!
Bon, en plus, c'est quand même une belle occasion de faire la fête et avec des gens que j'aime, alors, je vais encore moins m'en priver...

Pour le retour, je vais passer par le chemin des écoliers, du moins, par un chemin de tranchée.
Je vous préviens tout de suite, la suite de ce billet risque d'être moins légère...

Donc, un chemin de tranchée.
Il se situe au nord ouest de Verdun, dans un bois, dans le bois de l'Herbebois.
Dans ce bois, un certain 23 février 1916, il y eut une bataille atrocement meurtrière (comme, malheureusement, beaucoup de batailles à Verdun durant les 10 mois que cela dura)...
Dans ce bois, donc, ce fameux 23 février 1916, la 18ème compagnie du 233ème régime d'infanterie a été décimée (comme le reste du régiment. Ils ne restait plus que 377 soldats au soir du 23).
Dans cette compagnie était engagé un homme de 38 ans, sergent de son état, marié et papa d'une petite fille de 3 ans et demi.
Le maréchal Joffre, voulant privilégier l'offensive sur la Somme, avait fait retirer des éléments d'artillerie de Verdun pour renforcer la Somme (ainsi au 21 février 1916, date de début de la bataille de Verdun, face aux 1.400 pièces d'artillerie allemande, les français disposaient à Verdun de 270 canons... Si ça n'était si dramatique, ça en serait presque drôle tellement c'est aberrent ! 2.000.000 d'obus tomberont sur le front entre le 21 février et le 23 février 1916) et il aurait même déclaré que, si grâce à ce sacrifice, la France gagnait la guerre, on n'irait pas compter pour quelques milliers de morts supplémentaires... Et il y a des rues et des lycées qui portent son nom !

Bref, ce jour-là, cet homme a été déclaré mort pour la France.
Cet homme c'est mon arrière-grand-père.
Ma famille n'a pas le monopole de ce genre de tragédie mais je vous raconte mon histoire parce que je la connais...
Et pour tout vous dire, mon arrière-grand-père est un des fantômes dont je vous parlais le week-end dernier en vous parlant de la maison de famille. La dernière à y être née (dans cette maison) est sa fille, ma grand-mère. Cette maison de famille est notre berceau depuis plus de deux siècles et le moulin à vent que je vous décrivais a été construit par l'un de mes aïeux... Mon arrière-grand-père était meunier et avait même préparé le concours pour devenir instituteur...

Mon arrière-grand-mère a vainement essayé d'obtenir des informations auprès de l'armée, en se rendant sur place, en écrivant à droite et à gauche mais mon aïeul a  comme disparu (et si vous avez vu "Un long dimanche de fiançailles" de Jeunet, vous saurez de quoi je parle).
L'état-major lui a répondu plusieurs fois qu'il n'avait aucune information concernant une blessure ou la mort de son mari et, ce, jusqu'à presque deux mois après que l'acte de décès ait été établi...
Il n'a jamais été inscrit, par exemple, au mémorial de Verdun car il n'y a pas de corps, pas de preuve (malgré l'acte de décès).

Monsieur Père, très versé dans la généalogie et l'histoire familiale, a repris le flambeau au moyen des archives qu'il avait récupérées chez ma grand-mère, au moyen de cartes, d'articles de journaux, de livres sur le sujet...
Un dossier de 15cm d'épaisseur, un travail titanesque de compulsation et d'investigation pour des avancées intéressantes et importantes mais toujours pas d'arrière-grand-père.

Il y a environ un an et demi, je me suis dit qu'il y avait peut-être quelque chose à creuser avec mes jouets à moi (l'informatique, internet...). Je me suis longuement imprégnée de tout ce que mon père avait déjà regroupé, un copain m'a prêté, en plus, des livres sur le sujet avant de me lancer.
Je ne vous raconte même pas les cauchemars que j'ai pu faire...

Et puis, un jour, j'ai attaqué mes recherches sur la toile. Je suis tombée sur des forums de discussion avec des gens passionnés de la Grande Guerre. J'ai appris plein de choses sur l'endroit, sur l'époque, sur plein de sujets (par exemple, un courrier d'un sous-officier à mon arrière-grand-mère disait que mon arrière-grand-père avait été blessé et transporté à l'ambulance et qu'il n'avait eu aucune autre information sur ce qui était arrivé après. Pour nous, l'ambulance, c'est le véhicule qui fait pin-pon pin-pon mais, j'ai ainsi appris qu'en fait, à l'époque l'ambulance était l'avant-poste de secours juste à l'arrière du champ de bataille. Les blessés y étaient transportés avant d'être dirigés vers le poste de secours à proprement dit, puis éventuellement vers un hôpital. Donc notre première analyse comme quoi, il avait été embarqué dans une ambulance qui avait dû sauter sur une mine ou être bombardée était complètement obsolète) mais mon sergent d'aïeul n'était pas assez célèbre pour qu'il ait pu être fait mention de lui quelque part sur un forum, comme ça, donc j'ai fini par lancer un sujet sur lui avec son régiment, la date et le lieu de la bataille, etc.

J'ai reçu des réponses, des contacts de personnes intéressées par le régiment ou des personnes ayant eu des membres de la famille dans ledit régiment, etc, etc. On s'est retrouvés une petite demi-douzaine à échanger nos informations respectives, par mails et par courriers, pendant plusieurs mois.
Une véritable manne !
Des cartes militaires de la zone, le journal de marche du régiment, etc, etc.

Je suis même allée aux archives départementales consulter le dossier militaire de mon arrière-grand-père et, là, je dis merci à mon Grand Manitou de l'époque car, comme le décès remonte à moins de 100 ans, il fallait que je puisse justifier d'un intérêt et il m'a fait toutes les attestations officielles nécessaires pour qu'on me laisse le droit d'accéder à ces informations et j'ai même pu les photographier (je n'y ai pas découvert des choses primordiales mais des petits détails à la con, genre, signe particulier : kyste sur la joue gauche et j'ai réalisé que ma grand-mère avait le même...).

Grâce au travail de Monsieur Père, j'ai pu aussi apporter ma contribution aux recherches des autres.
Je communiquais chaque pièce à Monsieur Père et nous analysions, nous comparions nos hypothèses, nos conclusions, nous recoupions les données théoriques et les cartes, etc, etc (mon bureau à la maison s'est mis à ressembler à un vrai PC militaire)... Ainsi, nous avons pu délimiter la zone probable à une aire de 2/3km².

A ce stade-là, on pensait être arrivés à peu près au bout de ce que nous pouvions espérer.
Jusqu'à il y a quelques mois (quelques jours avant mon anniversaire) quand l'un des membres du groupe m'a envoyé un mail avec en pièce jointe une page qu'il pensait pouvoir m'intéresser. C'était la photographie d'une page du registre des décès du 233ème RI et pas n'importe quelle page, celle de l'acte de décès militaire de mon arrière-grand-père.
L'acte de décès militaire est plus complet que l'acte de décès civil car il comporte les causes du décès et le lieu le plus précis possible du décès.

Cause du décès : décès par blessure d'obus à la cuisse droite

Lieu d'inhumation : corps abandonné à la lisière nord du bois d'Herbebois

C'est une émotion incroyable qui m'a envahie à ce moment là et en donnant le document imprimé à Monsieur Père, j'ai eu l'impression (très très orgueilleuse, je le reconnais) de rendre un père à ma grand-mère (même si elle ne le saura jamais) et un grand-père à mon père...

Le père de ma Pintade Cerise, avec son pendule, m'a permis de réduire encore la zone à la lisière nord (et on y croit ou on n'y croit pas mais, moi, j'y crois. Je ne lui avais pas dit que c'était à la lisière nord, je lui avait juste parlé du bois et son pendule a pointé directement sur le nord du bois à un endroit précis).
J'ai tiré mes azimuts sur une carte (merci le scoutisme et ses courses d'orientation) et, enfin, ce week-end, je vais aller là-bas. Pas au Mémorial de Verdun, mais dans l'ombre du bois de l'Herbebois. J'y vais avec mon père et avec l'esprit de ma grand-mère à mes côtés...

Je sais ce n'est pas drôle ce que je vous raconte et cela n'a pas d'intérêt pour vous mais si vous saviez quelle importance cela revêt pour moi...
C'est mettre la dernière pièce du puzzle à sa place...

A bientôt !

La Papote

PICT0016

(extrait du dossier militaire aux archives départementales avec citation à l'ordre du régiment)

Note à l'attention de l'ami qui m'a proposé de faire un documentaire télévisé de mon histoire : je te remercie de ta proposition, je te remercie de penser que cela puisse intéresser des gens mais le chapitre va se clore, ce week-end, en présence de mon père et moi. C'était très important pour moi d'aller au bout de cette quête mais elle appartient, maintenant, à l'histoire de ma famille. Merci.


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