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Le Coup de chaud / XIX

Publié le 09 juin 2009 par Lejournaldeneon


(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
-19-
Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.
LE COUP DE CHAUD / XIX(PUBLICITÉ)
CHAPITRE 9
BLEU CHIOTTES
(où il doit être question de la couleur de l’uniforme, et du mal qu’on doit avoir à l’enfiler)

(SUITE / 2 et fin du chapitre)


Freud rapportait le caractère symbolique d’une névrose « à la probabilité d’un traumatisme d’origine sexuel responsable d’une amnésie partielle ou totale susceptible de masquer l’origine du problème ». J’allais donc procéder par étape. Step by step... confronter un à un les arguments dans l’espoir de dévoiler l’affaire au grand jour. Réunir, une preuve après l’autre, en commençant par le souvenir, l’image d’un contrôleur et de son habit bleu foncé sur le quai d’une gare. Un môme court vers le chef de gare avec l’intention de lui demander de l’aide, mais le mioche se ravise au dernier moment par peur de passer pour un menteur. La scène s’appuie sur le cliché d’un train sur le point de sortir du champ, ou plutôt sur celle d’un représentant de l’ordre des transports ferroviaires en plan serré, donnant le signal du départ avant que le gosse n’ait eu le temps de lui déballer toute l’histoire. L’image s’arrête net. Une tentative d’évasion pour échapper au pire. Une scène de viol au caractère aggravé par la différence d’âge pour être franchement précis et dire les choses comme elles sont. Le pire... Un rapport forcé entre un adulte dégénéré et sa jeune victime désarmée. L’histoire se coupe net à L’entrée du train en gare de La Ciotat... un écran de fumée produit par une locomotive qui marche au charbon devant une foule de spectateurs blasés sur le quai. Le plan est fixe, daté de l’année 1895, un des tout premiers de la grande aventure cinématographique initiée par les frères Lumière. Un impact considérable. Une invention qui transformerait à jamais les rapports que l’humanité entretenait depuis toujours avec le monde sensible et ses fantômes, la subjectivité humaine et les profondeurs du rêve. Oui, tout avait pu commencer comme ça. Un plan maître, droit sur ses rails qui défonce l’écran sans que personne n’en comprenne tout de suite le sens. L’archétype d’un cauchemar possible. L’origine d’un immense malentendu entre ce que les gens attendent tous de partir un jour en voyage, et ce qu’on oublie de leur dire qu’ils n’en reviendront peut-être jamais.
De son côté, Vanessa continuait de buter sur la parabole d’un module géométrique applicable à l’idée d’une ligne suspendue entre son propre cœur livide et ses jeunes organes de génération inspirés. Une ligne... c’est-à-dire une courbe, l’idée d’une trajectoire à suivre comme le résultat d’une circonstance inaltérable, mais déviée, par essence... comme tout dans la nature se déporte, comme tout dérive à force de contraintes répétées « Jamais personne ne suit une ligne droite, ni l’homme, ni l’amibe, ni la mouche ni la branche, ni rien du tout » dit Lacan. La ligne droite c’est le vide, le vide absolu, le vide complètement vide. Le vide comme méthode d’extraction définitive de toute signification des corps visibles et de l’invisible. La droite comme mode d’expression le plus abouti du néant.
— Mais vous mélangez tout... Les voyages lunaires, Freud, la géométrie... l’invention du cinématographe, la politique, le bleu de méthylène, l’entretien des plantes vertes...
Le type assis au bar juste à côté de moi avait d’abord ri. Une simple toux avant de s’éclaircir la gorge au-dessus d’un verre d’eau saturée de vapeur chaude. Le type — pas vraiment le genre de l’éthylique débauché, mais plutôt coureur de fond — joignit ses lèvres en même temps que ses mains, cramponna ses narines à une nappe d’air renouvelée par le climatiseur général, avant de plisser les yeux dans la perspective d’une réplique à propos.
Je le fis tout de même attendre un peu, par principe, et pour prendre le temps de trouver la fonction permettant d’accéder au mode vibreur de mon appareil cellulaire. Je pris encore une large inspiration dans l’intention de rectifier la position de mes épaules. Un truc d’acteurs pour atteindre la bonne profondeur sur scène. Je m’élançais juste au point d’équilibre.
— Tout est lié. La droite ligne des espaces vides et les cercles magiques qui nous agitent l’esprit. Tout est lié. Vous, moi, la nature sauvage et le chant des milliards d’étoiles dans l’univers. Tout samare, tout s’unit. La technique de la valse et la danse des neutrons, la théorie des cordes et la pluie...
J’avais alors longuement pressé la touche principale de mon téléphone portable et vérifié le résultat sur l’écran pour être tout à fait sûr que personne ne puisse plus nous déranger. Mon interlocuteur feignit un sentiment neutre à l’intention de mon geste pourtant très explicite. Je commandais un autre verre de Porto pendant qu’elle me fit remarquer mon intention hypocrite de passer outre le nombre de cigarettes que je m’étais fixées à ne plus dépasser depuis plusieurs mois. Elle... Sa tête était toujours lovée autour de mon cou, pendant que sa main continuait de fouiller ma poche de pantalon d’un geste à peine camouflé. Une sorte d’habitude qu’elle avait de s’introduire, de s’insinuer dans les conversations des gens. Le type vit les yeux de la jeune femme renversés, grands ouverts, son corps ostensible, sa respiration bien visible sur sa bouche. Vous n’imaginez pas la beauté de cette fille ! Une torture... Le terminal maritime de toutes les jolies choses à vendre qu’il puisse se trouver à réunir dans ce vaste monde. Un navire entier de splendeurs raffinées, de recettes exotiques délicieuses ; des palettes de gourmandises fantastiques... et veuillez pardonner ma digression alors que son visage me revient rapidement en mémoire. Son visage confiné à l’âge de l’enfance, sa nuque de verre, son ventre atomique et ses cuisses ; l’intérieur de ses cuisses... l’odeur de pluie, de thé vert répandu sur son sexe ; le parfum de terre cuite entre ses seins. Il s’obstinait à le nier, mais rien n’avait jamais été plus excitant que d’avoir couché avec sa femme les premières fois. L’espace d’une seule nuit avait suffi pour comprendre, quelques baisers sur ses yeux et les rafales de plaisirs entre ses reins pendant qu’il l’embrassait pour l’empêcher de crier. Tout ça lui manquait. Il avait trouvé la vie tellement triste juste après.
— L’avenir, Monsieur... et juste pour continuer sur le terrain de l’esprit clair, celui de « l’intellection » comme disait Descartes... L’avenir est à l’acceptation d’une nouvelle méthode de raisonnement par le procédé du foisonnement de coups de chaleurs dans le dos. Une révolution copernicienne en matière d’argumentaire. Un Modus operandi de la pensée qui découlerait naturellement d’un carambolage de souvenirs hétérogènes et d’histoires d’amours tronquées.
Darwin appelait ça « la révolte mentale », une forme de libération de l’esprit qui permit tout de même au grand homme de rédiger sa théorie de l’évolution par la sélection des espèces. Dois-je vraiment vous faire un dessin ?! Oui, tout est lié. Tout s’accorde comme le jour et la nuit, les marrées montantes et les histoires d’amours volées.
Mais laissez-moi revenir un instant à Freud, justement ; à cette « origine » dont nous parlions il y a tout juste un instant... Car vous verrez comme je vous le disais, que oui, tout est absolument lié. Laissez-moi revenir à ce fameux traumatisme originel responsable d’une certaine amnésie générale de nos sociétés modernes engluées dans ses psychoses de toutes sortes... Et imaginez un instant cette forme primitive du vivant —par comparaison—, un organisme unicellulaire, une algue la plus simple qu’il soit ; une algue qui dut un jour, il y a 1,5 milliards d’années, faire le choix d’un troc insensé. Celui de réussir une première relation sexuelle avec son semblable, mais au péril de sa propre vie... Cette invention d’une mort programmée pour chacun, comme corollaire d’une belle aventure amoureuse qui commençait sur la terre... Oui, car tout en vérité a bel et bien commencé de cette manière. À l’émergence des premiers organismes complexes aux amours éperdus, aura correspondu la fin d’une époque dorée, un âge d’or de la vie qui ne connaissait rien de l’idée saugrenue d’avoir forcément à disparaître un jour dans les arcanes d’une nuit infinie. Mourir pour elle... Voilà toute l’histoire. Pendant qu’elle... mourrait peut-être aussi d’amour pour lui. La belle histoire ! Mourir pour elle alors qu’un paquet de trains lui était déjà passés dessus. Et le beau voyage ne faisait que commencer.
(À SUIVRE)


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