Magazine Humeur

Sur la société

Publié le 11 juin 2009 par Saucrates

Réflexion une (11 juin 2009)
Que faut-il penser de la société française. J'ai trouvé enrichissant un débat publié dans le Nouvel Observateur entre les sociolgues Robert Castel et François Dubet sur le sujet des inégalités en France. Cette idée que dans une société française très peu inégalitaire en comparaison de ses homologues anglo-saxonnes ou libérales, où les inégalités sont pour partie en voie de résorption par rapport aux dernières décennies, mais où les inégalités restantes deviennent justement pour cette même raison totalement insupportables à ceux qui continuent de les subir.
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2325/articles/a402347.html


« D'une part, quand on mesure les inégalités telles qu'on peut les mesurer (il y a des débats au sein même de l'Insee sur les indicateurs...), on constate qu'il n y a pas un creusement considérable des inégalités sociales. La France fait partie des pays les plus égalitaires. Grosso modo, vous avez les pays scandinaves d'abord, ensuite la France, l'Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, puis les pays de l'Europe du Sud et la Grande- Bretagne. Et les Etats-Unis, c'est bien pis. D'autre part, à la question «avez-vous le sentiment de vivre dans un pays où les inégalités se creusent ?», les Français répondent qu'ils ont l'impression de vivre dans un pays où les inégalités se creusent considérablement, alors que, «objectivement», la France est un pays relativement peu inégalitaire. Je crois que si les inégalités y sont si violemment perçues, c'est parce qu'elles changent de nature. Dans l'ordre traditionnel de la société industrielle, un grand nombre d'inégalités étaient perçues comme «naturelles». Prenons l'exemple du monde scolaire. Dans les années 1950, il allait de soi que les enfants d'ouvriers n'allaient pas au lycée et ce n'était pas vécu comme une injustice atroce. Aujourd'hui, tout le monde va à l'école, et donc il y a une réduction des inégalités scolaires. Mais en revanche, tout le monde étant le concurrent de tout le monde, les plus petites inégalités à l'intérieur de l'école sont vécues comme étant insupportables. Prenons un autre exemple. Ma mère avait un statut bien plus inégal à celui de mon père que celui de ma femme ne l'est à l'égard du mien et que ne le sont mes filles à l'égard de leur mari. Or le sentiment d'inégalité est bien plus vif chez mes filles, tout simplement parce que les femmes jouent dans la même compétition professionnelle que les hommes. On pourrait multiplier les exemples. C'est un premier facteur très important : le désir d'égalité s'étant accentué (et c'est un des avantages de notre société), les inégalités sont insupportables.
Deuxième raison : vous avez un sentiment d'autant plus fort d'inégalité que les places sont moins assurées. Aujourd'hui, on est dans une société de très grande mobilité. Mobilité sociale ne veut pas dire, selon une formule désastreuse, «ascenseur social», cela veut dire que vous risquez de monter mais aussi de descendre et il y a d'ailleurs autant de gens qui montent que de gens qui descendent. Avec la mobilité sociale, les petites inégalités deviennent essentielles. J'ajoute qu'on mesure aujourd'hui des inégalités bien anciennes qu'on ne mesurait pas, comme les inégalités devant la mort ou la vieillesse, qui sont considérables. Donc, moins nous sommes aveugles à nous-mêmes, plus nous avons une vision très claire des inégalités et moins nous les tolérons. »

François Dubet, «Les inégalités se creusent-elles ?»


Comme l'exprime François Dubet, ce sujet est particulièrement sensible en ce qui concerne les discriminations à l'égard des femmes ou les discriminations en matière d'espérance de vie des diverses classes sociales, mais s'applique aussi au malaise ressenti en Guadeloupe ou dans les autres départements d'outre-mer. L'idée que, dans un processus de comblement des inégalités entre deux populations, deux classes sociales, deux sexes, la moindre inégalité qui demeure visible ou ressentie un peu plus longtemps que les autres paraît d'autant plus insupportable.
Les guadeloupéens sont considérés comme des citoyens français à part entière, et sont traités par l'état français à l'identique des citoyens de l'Hexagone. Ils bénéficient des mêmes droits que chacun, et c'est d'autant plus vrai aux Antilles où ils ne peuvent pas se plaindre d'un racisme à l'égard, mais bien au contraire où ce sont les blancs qui y sont victimes de comportements racistes, sur fond d'un passé anciennement esclavagiste. Et pourtant, la moindre différence de traitement y est ressenti comme une marque de mépris, et a conduit à un mouvement social d'une violence relativement sans équivalent dans l'Hexagone. Il y a vingt ans, le SMIC des travailleurs domiens était inférieur au SMIC français ; les allocations sociales perçues outre-mer étaient différentes de celles versées dans l'Hexagone ; le droit social n'y était pas appliqué à l'identique ... Cette situation est d'ailleurs toujours observée à Mayotte, qui bénéficie pourtant d'un afflux de clandestins depuis les îles voisines des Comores, pour lesquels Mayotte est un lieu paradisiaque en comparaison de la pauvreté régnant dans leurs îles indépendantes. A égalité de droits pratiquement sans aucune discrimination, la moindre petite différence est ressentie comme une insulte. Ainsi, on en arrive à des comparaisons de salaires moyens, au ton de voix qui sera utilisé pour l'un ou l'autre, à l'attribution d'un poste à untel ou à untel, aux différences de prix entre tels et tels produits, et où chaque discrimination ressentie est alors montée en exergue.
La mesure des inégalités devient en quelque sorte un exercice paranoïaque aîgu, un prisme déformant de la réalité nous entourant, une focalisation sur les quelques vétilles perdurant, qui oublie l'idée qu'il nous est impossible d'être tous absolument et intrinsèquement égaux ! Qui oublie la réalité même qui nous entoure, ce monde foncièrement égalitaire où nous vivons. Et on en arrive ainsi au point où, comme les guadeloupéens, on peut mettre à sac sa propre société, sa propre économie, on peut brûler sa propre maison, dans la poursuite véhémente de quelques chimères, en oubliant ce dont ils disposent, la beauté de leur propre vie, que nombre de terriens, nombre de leurs voisins caribéens, nombre de leurs compatriotes même, dans l'Hexagone, leur échangeraient avec plaisir.
N'y a-t-il pas une certaine forme d'aberrations dans cela ?
Saucratès
Quelques autres écrits sur des sujets similaires :
1. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2007/12/12/sujets-de-societe.html
2. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2008/11/10/sujets-de-societe-deux.html


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