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Le Marquis de Kougnonbaf 2

Publié le 18 juin 2009 par Lilianof

ACTE PREMIER

Le palais royal, décor de Lynda de Syldurie Acte V.

Scène première

KOUGNONBAF – BIFENBAF

BIFENBAF

Mon cher marquis de Kougnonbaf ! Avez-vous appris la bonne nouvelle ?

KOUGNONBAF

Évidemment, cher marquis de Bifenbaf, mais j’aimerais que vous me l’annonciez comme si je l’ignorais ? Cela me fait tant plaisir de l’entendre.

BIFENBAF

Notre bon roi est mort.

KOUGNONBAF

Vive le roi !

BIFENBAF

Vive la reine !

KOUGNONBAF

Naturellement ! Vive la reine ! Le vieux Waldemar n’a réussi à faire que des filles. Pas de dauphin, une dauphine.

BIFENBAF

N’eut-il raté que cela durant son lamentable règne. Pas d’héritier ! Pour nous la honte et l’humiliation de devoir nous placer sous l’autorité d’une jeune femme !

KOUGNONBAF

Ce monarque indigne nous a coupé les ailes ! Il a réduit à néant tous notre pouvoir. Il nous a bafoués.

BIFENBAF

Nous devrons bientôt nous abaisser devant les paysans et les ouvriers.

KOUGNONBAF

Alors que nous étions naguère les maîtres de ce pays, nous les marquis et les ducs. Seul le roi pouvait nous refuser l’obéissance et nous donner des ordres.

BIFENBAF

Et de plus, nous jouissions de toutes sortes de privilèges. Nous pouvions lever l’impôt dans nos villes. Nous n’avions de comptes à rendre à personne. Nous pouvions ponctionner le peuple à plaisir. Le roi prenait sa propre part et nous déterminions la nôtre.

KOUGNONBAF

Le peuple nous servait grassement, nous étions riches et puissants.

BIFENBAF

Hélas ! tout cela est bien fini ! Depuis que Waldemar est devenu un roi chrétien, il a foulé aux pieds nos traditions millénaires. Il a voulu instituer une monarchie parlementaire, fondée sur le principe de la démocratie : le règne du peuple ! Tel Robin des bois, le roi a dépouillé les riches pour nourrir les pauvres. Comme si les pauvres avaient besoin de manger ! Il s’est servi de notre argent pour construire de nouvelles écoles et une université. Comme si le peuple avait besoin de s’instruire !

KOUGNONBAF

Il était temps que ce maudit roi quitte la scène.

BIFENBAF

Il nous faut un roi qui ait l’autorité, la puissance, le pouvoir absolu, un despote qui enseigne à nouveau le peuple à marcher au pas, et si possible, au pas de l’oie.

KOUGNONBAF

Un grand roi qui rétablisse la gloire des temps passés. La dynastie des Soussachnick-Sassouschnikof a vécu, voici venir celle des Kougnonbaf.

BIFENBAF

Avez-vous oublié, cher Marquis, que le roi Waldemar nous a laissé une descendance ?

KOUGNONBAF

Éva ? Nous la renverserons.

BIFENBAF

Crois-tu qu’il soit si facile de destituer une princesse que le peuple aime tant ? Le peuple a droit à la parole, à présent.

KOUGNONBAF

Cette petite sotte a suivi le même chemin que son père. Une petite sainte qui se croit déjà parvenue au ciel. Une fille trop occupée à nager dans ses livres pour diriger le royaume.

BIFENBAF

Cette petite musaraigne voudra nous entraîner dans leur religion : « Il faut naître de nouveau sinon nul ne verra le royaume de Dieu. »

KOUGNONBAF

Qu’avons-nous besoin d’une nouvelle naissance ? Une vie nous suffit, pourvu qu’elle soit remplie de richesse, de gloire, d’amour, de belles femmes et de bon vin.

BIFENBAF

Et ce sont ces plaisirs qu’on voudrait nous ôter ! Nous condamner à une vie morne et sans joie, une vie comblée de prière et de méditation !

KOUGNONBAF

Une nation doit toujours adopter la religion de son souverain, c’est bien connu. Les Romains nous ont bien montré l’exemple : Depuis le jour où l’empereur Constantin s’est converti, les rôles ont été inversés : Ce sont les païens qui sont entrés dans l’arène pour servir de dessert aux lions.

BIFENBAF

Quelle horreur !

KOUGNONBAF

Il faut résister. Destituons la dynastie et instaurons une dictature athée. Nous ferons fusiller ceux qui auront suivi la foi de Waldemar et de sa fille. Nous expédierons la petite Éva en exil. Elle finira sa vie sur une île d’un demi-hectare au milieu de la mer Égée. Choisissons l’Albanie pour modèle : La bonne vieille Albanie d’Enver Hoxha ! Nous répandrons la terreur et la tyrannie.

BIFENBAF

Nous ne sommes pas encore au pouvoir.

KOUGNONBAF

Nous y parviendrons bientôt.

BIFENBAF

Mais comment nous emparer de ce pouvoir tant convoité ? Userons-nous des armes et de la force ?

KOUGNONBAF

Quelles armes ? Quelle force ? Avons-nous les moyens de lever une armée ? Nous n’avons plus une couronne pour nous saisir de la couronne. Notre cher Waldemar nous a tous dépouillés pour ses bonnes œuvres. Et fort de sa grande générosité, il doit en ce moment se faire bronzer au paradis. J’enrage !

BIFENBAF

Nous devrons donc utiliser la ruse.

KOUGNONBAF

Ce sera beaucoup plus facile. Éva est une fille docile et naïve. Elle n’a vraiment rien de commun avec sa sœur, Lynda, cette tigresse.

BIFENBAF (soupirant)

Ah ! Lynda !...

KOUGNONBAF

Quoi ? « Ah ! Lynda !... » ?

BIFENBAF

Je serai prêt à toutes les trahisons pour pouvoir la serrer dans mes bras.

KOUGNONBAF

Seriez-vous prêt à trahir Lynda elle-même ?

BIFENBAF

Si sa conquête était à ce prix.

KOUGNONBAF

Vous êtes un peu fou, mon cher ami.

BIFENBAF

Sans doute, mais nous avons chacun nos désirs. Vous convoitez le trône, et moi je convoite Lynda.

KOUGNONBAF

Nous convoitons tous deux la royale puissance mon cher Marquis. Mais pour l’heure, préoccupons-nous d’Éva ! C’est elle qu’il faudra déloger du trône de Syldurie. Elle est la muraille dressée devant nos ambitieux projets. Abattons-la !

BIFENBAF

Comment s’en débarrasser ?

KOUGNONBAF

Je vous l’ai dit, Éva est une fille sans méfiance ni malice. Nous la séduirons, nous la détournerons de ses devoirs de reine, nous la trahirons, enfin, nous la traiterons comme le dernier maillon de cette race abhorrée, nous lui briserons les reins, nous la broierons, nous la piétinerons, nous l’anéantirons.

BIFENBAF

Voici Éva ! Nous aurait-elle entendus ?

KOUGNONBAF

Si c’est le cas, notre compte est bon ! C’est elle qui va nous anéantir.

Scène II

KOUGNONBAF – BIFENBAF – ÉVA

ÉVA

Bonjour, messieurs les marquis. J’espère ne pas vous déranger dans votre discussion.

BIFENBAF

En aucune façon, Votre Altesse, votre Maj…

ÉVA

Il m’a semblé que j’étais le centre de vos conversations.

BIFENBAF

Mais pas du tout, nous… nous disions…

KOUGNONBAF

En effet, nous parlions de vous, chère princesse Éva. Nous évoquions votre courage, face aux moments difficiles que vous venez de vivre. Nous parlions aussi de Sa majesté votre père, qui nous a quittés au terme d’un règne si glorieux. Nous joignons nos voix et nos cœurs pour assurer Votre Altesse de toute notre compassion.

BIFENBAF

Nous voulons aussi vous assurer de notre soutien, de notre amour. Les mots nous manquent pour exprimer nos sentiments, mais nous voudrions demeurer à vos côtés pour vous apporter notre humble consolation et notre sincère amitié.

ÉVA

Je vous remercie, mes chers amis, je n’ai jamais douté de vos sentiments et je saurais me confier à vous dans mes soucis. Vous saurez m’accorder le réconfort dont j’ai besoin en ces jours de deuil.

KOUGNONBAF

Nous sommes vos serviteurs dévoués et n’aspirons qu’à vous plaire. Nous savons quelle lourde charge et quels durs sacrifices pèsent à présent sur vos royales épaules. Nous voulons partager avec vous ce fardeau pour vous le rendre plus léger.

ÉVA

J’ai le cœur touché, vous êtes vraiment d’excellents amis.

KOUGNONBAF

Nous savons aussi combien vous êtes sensible, comme votre cher père l’a été, à l’amélioration des conditions de vie du peuple. Votre combat est noble et juste, et il honore votre dynastie. Nous aimerions sincèrement combattre à vos côtés dans cette belle lutte contre la pauvreté et l’obscurantisme.

ÉVA

Cette guerre, en effet, sera difficile à gagner, et je me réjouis de pouvoir compter sur des combattants tels que vous, dévoués à la cause de la démocratie. Je suis bien convaincue que nous remporterons la victoire, à plus forte raison si la noblesse de notre beau pays s’engage dans ce merveilleux élan d’altruisme.

BIFENBAF

Ensemble nous changerons ce pays, nous en ferons un modèle aux yeux du monde.

KOUGNONBAF

Votre règne sera l’un des plus prestigieux de notre histoire. Ô combien nous serons fiers d’avoir été de vos fidèles courtisans.

ÉVA

Comment ? Chers Marquis ? Comment se fait-il que vous ne soyez pas au courant des récents événements ?

KOUGNONBAF

Quels événements ?

ÉVA

Tout le monde ne parle que de cela !

BIFENBAF

Nous étions fort préoccupés des affaires de nos villes, et nous avons débarqué à Arklow aussitôt après avoir été informé de la mort du roi.

ÉVA

Vous ne lisez donc pas les journaux ?

KOUGNONBAF

Nous n’avons pas le temps.

ÉVA

N’avez-vous pas écouté ce qui se dit à la cour ?

BIFENBAF

Prêter notre oreille à toutes ces rumeurs ! Nous sommes bien au-dessus de cela.

ÉVA

Il faudra donc que je vous informe.

KOUGNONBAF

Nous sommes suspendus à vos lèvres royales.

ÉVA

Savez-vous au moins que Lynda est de retour ?

BIFENBAF (soupirant)

Ah !... Lynda !...

ÉVA

Quoi ? « Ah !... Lynda !... » ?

BIFENBAF

Moi ? Je… Non, rien.

ÉVA

Donc, Lynda est de retour, mettant un terme à ses aventures parisiennes. Vous le saviez ?

BIFENBAF

Nous en avions ouï quelques échos.

KOUGNONBAF

Lynda est rentrée à la maison sans recevoir la correction qu’elle a tant méritée. Croyez-moi, si j’avais une fille comme celle-là…

ÉVA

Qu’auriez-vous fait ?

KOUGNONBAF

Je ne me serais pas gêné pour la rosser. Je lui aurais fait passer le goût de la fugue.

ÉVA

Eh bien ! Vraiment, je vous le déconseille.

KOUGNONBAF

Quand je pense que cette petite garce a dépiauté son pauvre père comme un lapin et qu’elle l’a usé jusqu’au tombeau !

ÉVA

Vous ignorez le dénouement de l’histoire.

KOUGNONBAF

Il y a eu un dénouement ?

ÉVA

Comme le fils perdu de la parabole, elle est revenue brisée et repentie, et notre père, avant de nous quitter, lui a accordé son pardon.

BIFENBAF

C’est incroyable !

ÉVA

Seul notre Seigneur aurait pu manifester un tel amour, notre généreux père a vraiment vécu jusqu’à son dernier soupir les enseignements qu’il a trouvés dans les Évangiles.

BIFENBAF

C’est incroyable !

ÉVA

Quant à moi, j’en ai tiré une leçon bien humiliante. Je me suis conduite comme le fils aîné, remplie d’égoïsme et d’orgueil, j’étais bien la plus mauvaise des deux, mais je cachais ma méchanceté sous un masque d’innocence.

BIFENBAF

C’est incroyable !

KOUGNONBAF

Mais pour moi, Lynda reste Lynda, la perverse, la dégénérée. Sera-t-elle canonisée pour être revenue de Paris tout en guenilles ?

BIFENBAF

C’est incroyable !

ÉVA

Je vous interdis de parler ainsi de Lynda.

KOUGNONBAF

S’il n’est personne pour lui faire payer le mal qu’elle a fait, moi je le ferai.

ÉVA

Voilà des paroles bien présomptueuses. Ne craignez-vous pas que je les lui rapporte ?

KOUGNONBAF

Rapportez ! Rapportez ! Ce n’est pas cette fille frivole qui va m’effrayer.

ÉVA

Revenons à ce fameux événement dont je devais vous informer : Apprenez cher Marquis que le sceptre a changé de main. Ce n’est pas moi, la fille aînée du roi Waldemar qui régnerai sur la Syldurie.

KOUGNONBAF

Vraiment ?

BIFENBAF

Mais qui d’autre ?

ÉVA

Lynda.

KOUGNONBAF

Lynda ?

BIFENBAF (soupirant)

Ah ! Lynda…

ÉVA

Elle-même.

KOUGNONBAF

Lynda ! Mais c’est impossible !

ÉVA

Et pourtant, c’est la vérité.

BIFENBAF

C’est incroyable !

ÉVA

Cher marquis de Kougnonbaf, avez-vous toujours la prétention de lui administrer une correction ? Et d’ailleurs, je vous rappelle qu’elle a la ceinture marron.

KOUGNONBAF

Je suis assommé !

BIFENBAF

C’est incroyable !

ÉVA

Sur ces paroles, je vous salue et vous souhaite une excellente journée.

BIFENBAF

C’est tout de même incroyable !


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