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Le Marquis de Kougnonbaf 6

Publié le 22 juin 2009 par Lilianof

Scène II

SABINE – BIFENBAF

SABINE

Voici mon client, juste à l’heure.

(Entre Bifenbaf, portant une poule dans un sac.)

BIFENBAF

Me voici, et j’ai bien apporté ce que vous m’avez demandé. Mais pourquoi diable faut-il attendre si longtemps un rendez-vous ?

SABINE

Mais parce que je suis la plus grande devineresse du royaume, et d’ailleurs la seule qui soit restée depuis que le roi s’est mis en tête d’éradiquer l’obscurantisme, comme il le disait si bien. Sachant que sa chère fille, notre nouvelle reine, a suivi son enseignement, notre profession devra lutter pour survivre. Mais voyons votre volatile. (Elle sort la poule du sac.) Parfait. Le sacrifice de cette pauvre bête attendrira la Toute-puissance et fera réussir vos projets.

BIFENBAF

J’ai demandé à vous voir et j’espère que vous pourrez m’aider.

SABINE

Vous espérez ? Mais mon ami, vous êtes en face de la grande Sabine Mac Affrin. Sabine peut tout, Sabine voit tout, Sabine entend tout, Sabine devine tout, Sabine sait tout.

BIFENBAF

Vous savez quelle est l’affaire qui me préoccupe ?

SABINE

Non, je ne sais pas.

BIFENBAF

Ça commence bien.

SABINE

Alors ne perdons pas de temps. Quelle est l’affaire qui vous préoccupe ?

BIFENBAF

Lynda.

SABINE (à part)

Allons, bon ! Lui aussi !

(à Bifenbaf)

Et je suppose que vous la haïssez, et que vous voudriez que je lui concocte un bouillon d’onze heures à ma façon.

BIFENBAF

Non. Je l’aime.

SABINE

Vous l’aimez ? Vous ?

BIFENBAF

C’est défendu ?

SABINE

Non, mais ça m’étonne ?

BIFENBAF

Vous êtes une drôle de Miroska.

SABINE

Si ou moukat amoin, mi kounich aou.

BIFENBAF

Qu’est ce qu’elle baragouine ? « Ama-michaou » ?

SABINE

Baragouine, c’est du pain et du vin en breton. Moi je vous parle créole réunionnais.

BIFENBAF

Et ça veut dire ?

SABINE

Si vous vous payez ma fiole, je vous casse la vôtre.

BIFENBAF

Je n’oserai pas.

SABINE

Qu’attendez-vous de moi ?

BIFENBAF

Que vous me prépariez une de vos potions magiques, afin qu’à son retour… Car vous savez, j’espère, que Lynda est à Paris.

SABINE

Évidemment, je le sais ! Me prenez-vous pour une godiche ?

BIFENBAF

Afin qu’à son retour, elle tombe éperdument amoureuse de moi et qu’elle désire m’épouser.

SABINE (sifflant)

Pfui !

BIFENBAF

Quoi ? Pfui ?

SABINE

Je l’aurais deviné.

BIFENBAF

La recette est-elle dans vos cordes ?

SABINE

Non.

BIFENBAF

Comment, non ?

SABINE

Pas Lynda.

BIFENBAF

C’est la meilleure !

SABINE

Demandez-moi de vous faire aimer par n’importe quelle femme, mais pas Lynda.

BIFENBAF

Paméla Empersonne ?

SABINE

Il ne faut tout de même pas exagérer.

BIFENBAF

Mais j’aime Lynda ! Donnez-la-moi.

SABINE

Non.

BIFENBAF

Mais pourquoi ?

SABINE

J’ai déjà expliqué la raison à votre collègue marquis de Kougnonbaf, il va falloir que je récidive.

BIFENBAF

Parce que ce grand escogriffe de Kougnonbaf est aussi sur l’affaire ! Ah ! Le traître ! Ah ! Le forban ! Ah ! Le scélérat !

SABINE

On se calme ! Kougnonbaf ne désire pas épouser Lynda, il voulait seulement que je la lui fasse griller à petit feu.

BIFENBAF

Et vous avez refusé.

SABINE

J’ai refusé.

BIFENBAF

Vous avez eu raison. L’ignoble individu ! Vouloir être roi à la place de la reine, cela le regarde, mais comploter contre elle ! Ah ! l’infâme !

SABINE

Croyez bien qu’il ne s’agit pas d’une question de personne. Si l’affaire dépendait de moi, j’aurais mis tout le monde d’accord. D’abord j’aurais étripé la petite peste, ensuite je l’aurais contrainte de vous épouser. Ça lui aurait fait les pieds. Mais votre ennemi intime, le marquis de Kougnonbaf vous expliquera très bien pourquoi je ne puis ni l’un ni l’autre.

BIFENBAF

Comme c’est fâcheux. Vous n’avez donc aucune solution, en définitive.

SABINE

J’ai une solution.

BIFENBAF

Me voilà rassuré.

SABINE

Si vous voulez plaire à Lynda, cessez de fumer, cessez de boire. Mangez moins de cochonneries et faites un peu de sport, pour vous débarrasser de ce gros ventre mou. Donnez-vous un coup de peigne dans les cheveux de temps en temps. Et puis lisez un bouquin ou deux. Les femmes intelligentes aiment les hommes qui ont un peu de culture, hormis celle de la betterave, bien entendu.

BIFENBAF

Il n’est pas nécessaire d’être Grande Astrologue Royale pour me dire ça.

SABINE

D’avoir été. Ce sera dix mille couronnes.

BIFENBAF

Quoi ?

SABINE

Ne vous plaignez pas, c’est un prix d’ami.

BIFENBAF

Mais vous êtes de moins en moins efficace et de plus en plus chère.

SABINE

C’est normal. Depuis que notre bon roi Waldemar m’a congédiée, je cours de grands risques en venant traîner ici. Pour peu que le sergent Borowitch me jette dehors à coup de hallebarde ! Vous pouvez par ailleurs reprendre votre volatile. Il ne me sera finalement d’aucune utilité, et je suppose que votre cuisine est plus ragoûtante que la mienne.

BIFENBAF

Allez au diable !

SABINE

J’y suis déjà.

(Sabine sort, Kougnonbaf entre avec une chèvre)

Scène III

BIFENBAF – KOUGNONBAF

KOUGNONBAF

Vous n’auriez pas vu Sabine ?

BIFENBAF

Vous voulez parler de la pythie dépitée, la voyante aux yeux obscurcis, l’extra-lucide aux visions opaques ?

KOUGNONBAF

Je vous parle de l’oracle illuminée, la prophétesse clairvoyante. Sabine, enfin ! Sabine Mac Affrin ! Je n’en connais qu’une.

BIFENBAF

Ah ! Sabine ? Celle qui voit tout, entend tout mais ne sait rien ? Elle vient juste de partir. Mais dites-moi, cher Marquis, pourquoi donc avez-vous amené cet animal qui sent si mauvais ? La grande Sabine Mac Affrin aurait-elle une fois de plus augmenté ses tarifs ?

KOUGNONBAF

Et vous-même ? Que faites-vous ici avec cette bête à plume ? Avez-vous l’intention de vous reconvertir dans l’élevage ?

BIFENBAF

Marquis, je vous ai posé une question, j’attends une réponse, et non une autre question.

KOUGNONBAF

Que voulez-vous ? J’ai été élevé chez les jésuites.

BIFENBAF

Répondez, Marquis !

KOUGNONBAF

Eh bien ! oui. Sabine m’a d’abord demandé un poulet, et maintenant il lui faut une bique pour aller plus vite et plus loin.

BIFENBAF

Elle n’y va pas de main-morte !

KOUGNONBAF

Et vous-même, à ce que je vois, vous faites aussi partie de sa clientèle.

BIFENBAF

Et j’ai cru comprendre à quel sujet vous l’avez consulté.

KOUGNONBAF

À quel sujet ?

BIFENBAF

Au sujet de Lynda.

KOUGNONBAF

Comment savez-vous cela ?

BIFENBAF

Je pourrais lui racheter sa boutique. Je sais aussi, misérable traître, que vous attendiez de Sabine qu’elle lui gratte un petit bout de bois.

KOUGNONBAF

Je ne comprends pas.

BIFENBAF

Vous lui avez demandé la tête de Lynda dans une soupière.

KOUGNONBAF

Mais jamais de la vie, cher Marquis ! Qu’allez-vous vous imaginer ! La mort de Lynda ne servirait ni vos intérêts ni les miens. D’ailleurs, Sabine a refusé.

BIFENBAF

Refusé quoi ?

KOUGNONBAF

Euh… Je… Bon ! Je disais… Non, croyez-moi, j’ai des méthodes biens plus astucieuses. Comme vous le savez, l’objet de tout votre amour et de toute ma haine s’en est allée à paris jouer les Jeanne d’Arc, et tout comme elle, elle a entendu la voix de Dieu. Elle a l’intention de revenir dans sa belle armure pour délivrer la Syldurie.

BIFENBAF

Ah ! Lynda… Reviens-moi vite !

KOUGNONBAF

Elle ne reviendra jamais à Arklow.

BIFENBAF

Vous allez la tuer, Assassin !

KOUGNONBAF

Allons, allons, calmez-vous. J’ai dit qu’elle ne reviendra pas à Arklow. Libre à vous d’allez la rejoindre à Paris, de lui déclarer votre flamme, de l’épouser et de lui faire des tas de petits bifembafs.

BIFENBAF

Qu’allez-vous faire ?

KOUGNONBAF

Sabine m’a trouvé un complice, ou plutôt une complice : une amie parisienne de Lynda. Cette fille est une virtuose dans l’art de la trahison. Une véritable judelle.

BIFENBAF

Une judelle ?

KOUGNONBAF

Judas n’a pas de féminin, il m’a fallu en trouver un ?

BIFENBAF

Et qui est cette judelle redoutable ?

KOUGNONBAF

Elvire Saccuti.

BIFENBAF

Et qu’allez-vous faire avec cette Saccuti ?

KOUGNONBAF

J’en saurai plus long sur la façon de cuisiner Lynda quand Sabine aura cuisiné la chèvre.

BIFENBAF

Ça ne me plaît pas du tout.

KOUGNONBAF

Je ne sais pas à quel jeu joue la fiancée dans tes rêves, mais il me paraît peu protocolaire, et très dangereux. Malheur à elle si elle joue une fausse note dans sa partition ! Si cette oie nous fait un canard, elle est farcie. Nous lui entraverons les jambes et elle s’étalera sur le pavé. Ce sera la fin de sa royauté. Elle abdiquera, fuyant la honte et le déshonneur, elle ira se cacher dans les souterrains parisiens qu’elle connaît si bien. À ce moment, vous lui tendrez la main pour l’extraire de la fange dans laquelle elle se sera vautrée. Vous pourrez lui demander sa main, si toutefois elle vous plaît toujours. Elle fera moins la difficile. Et tout cela grâce à qui ?

BIFENBAF

Mais, Marquis !

KOUGNONBAF

Quant à moi, l’illustre marquis de Kougnonbaf. Je n’aurai plus rien à craindre de cette chipie. Je n’aurais qu’à caler mes augustes fesses sur ce trône qu’elle m’aura si gentiment laissé vacant.

BIFENBAF

Mais, Marquis !

KOUGNONBAF

Ottokar premier, dit « Ottokar le grand » !

BIFENBAF

Mais, Marquis !

KOUGNONBAF

On m’appellera « le roi Lune » ! Avec moi, les aveugles vont voir, les paralysés vont marcher. Tous les morts ressusciteront. Tous. Tous. Sans exception.

BIFENBAF

Mais ! Marquis !

KOUGNONBAF

Et si par malheur la ruse de cette Elvire Saccuti échouait, je tournerai contre elle le canon de mon arme secrète.

BIFENBAF

Mais, Marquis !

KOUGNONBAF

Comme vous le savez, je suis le grand patron du groupe « Kougnonbaf-Presse ».

BIFENBAF

Mais, Marquis !

KOUGNONBAF

Je tiens donc en main tous les moyens d’information du pays, et surtout les moyens de désinformation.

BIFENBAF

Mais, Marquis !

KOUGNONBAF

« Arklow Match », « Syldurie Soir », « Ici Arklow », « Syldurie Dimanche », et toute la presse à histoires, sans oublier la chaîne de télévision la plus populaire : « TS-crét1 » ; tout cela, c’est moi, et rien que moi.

BIFENBAF

Mais, Marquis.

KOUGNONBAF

À partir d’aujourd’hui, toute la presse tiendra le pays au courant des faits et gestes de leur reine. Elle qui prétendait que son départ passerait inaperçu !

BIFENBAF

Mais, Marquis !

KOUGNONBAF

L’encre d’imprimerie est un poison mortel que je lui ferai avaler. Je la briserai, je la calomnierai, je la piétinerai, je froisserai son honneur, je la livrerai à la haine de son peuple. Ah ! Lynda ! Maudite Lynda ! Toi que j’exècre ! Quel plaisir je prendrai à savourer ma délicieuse vengeance !

BIFENBAF

Il suffit, Marquis ! J’aime Lynda et je ne vous permettrai pas de lui faire le moindre mal.

KOUGNONBAF

Entre Lynda et le pouvoir, c’est le pouvoir que j’ai choisi d’aimer.

BIFENBAF

Écoutez-moi bien, marquis : Si pour votre malheur vous effleurez seulement sa peau du bout des doigts, je vous tuerai.

KOUGNONBAF

Quand je rencontre un obstacle entre le pouvoir et moi, je n’essaie pas de le contourner, ni de l’escalader. Je le détruis.

BIFENBAF

C’est moi qui vous détruirai.

KOUGNONBAF

Vous ? Vous êtes trop mou et trop grassouillard.

BIFENBAF

Ah ! Çà ! Marquis ! Vous n’êtes qu’un paltoquet.

KOUGNONBAF

Et vous un cuistre.

BIFENBAF

Un maraud.

KOUGNONBAF

Un faquin.

BIFENBAF

Un bélître.

KOUGNONBAF

Un gueux à nazarde.

BIFENBAF

Non satisfait d’offenser votre reine, vous, m’offensez, moi Miroslav de Bifenbaf. J’en demande réparation sur le champ.

KOUGNONBAF

Eh ! bien ! Ne tardons pas, Monsieur. Sortons et réglons tout de suite ce différend.

BIFENBAF

Morbleu ! Je vous découperai les oreilles. Je vous amputerai, je vous étriperai.

KOUGNONBAF

Palsambleu ! Marquis ! Dans votre gros ventre chargé de graisse, je signerai mon nom à la pointe de l’épée : d’un K qui veut dire « Kougnonbaf » !

(entre Éva.)

Ce monument de mégalomanie est dû à la verve de Nénesse. Mais personne n’y a prêté attention.


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