ACTE III
Même décor.
Scène première
KOUGNONBAF – SABINE
KOUGNONBAF
Pour une fois, vous êtes ponctuelle.
SABINE
Avez-vous apporté ma génisse ?
KOUGNONBAF
Elle vous sera livrée chez vous. Imaginez le scandale que ferait ma fiancée si l’animal venait à bouser sur ce royal tapis du XVIe siècle.
SABINE
Je comprends la situation. Mais ne tardez pas trop.
KOUGNONBAF
Avez-vous du nouveau concernant notre affaire ?
SABINE
Bien sûr. J’ai d’excellentes nouvelles pour vous. Notre Elvire nationale remplit très bien sa mission. Elle m’apporte de précieux renseignements ; Une véritable Mata Hari !
KOUGNONBAF
À quoi donc vous sert votre boule de cristal ?
SABINE
Pour le moment ? À rien. Elvire la remplace avantageusement.
KOUGNONBAF
Et que voyez-vous dans votre Elvire ?
SABINE
Des choses qui vous réjouiront. Vous ne regretterez pas d’être passé à l’étape bovine.
KOUGNONBAF
Mais encore ?
SABINE
Notre chère Lynda est décidément une pauvre fille bien naïve. Elle est allée se jeter sans pagaie dans les chutes du Niagara.
KOUGNONBAF
Voilà qui me réjouit. Mais j’aimerais un peu plus de détails.
SABINE
Lynda s’est acoquinée avec des voyous de la pire espèce : des trafiquants de drogue, des contrefacteurs, et j’en passe. Sous prétexte de vouloir les convertir à la foi chrétienne, elle s’est convertie à la mafia parisienne.
KOUGNONBAF
Mais c’est merveilleux. Sabine, nous la tenons.
SABINE
Mais ce n’est pas tout. Cette folle s’est mis dans la tête de protéger des immigrants clandestins : de ces Africains qui parasitent la France comme des courtilières.
KOUGNONBAF
Diable !
SABINE
Elle a même tourné la tête d’un commissaire corrompu dont elle a fait son complice.
KOUGNONBAF
Trop fort.
SABINE
Elle a mis son commissariat à feu et à sang.
KOUGNONBAF
C’est ma pire ennemie, mais je l’admire.
SABINE
C’est Nénesse qui ne va pas apprécier !
KOUGNONBAF
Nénesse ?
SABINE
« Nén » comme Nicolas, et « Nesse » comme qui vous savez.
KOUGNONBAF
Nestor ?
SABINE
C’est cela ! Bon ! Et c’est à ce stade de l’action que notre Elvire intervient. Elle use en virtuose de la science diabolique que j’ai mise à sa disposition.
KOUGNONBAF
Que fait-elle ?
SABINE
Lynda et sa bande sont allés se cacher dans une ferme isolée à cent cinquante kilomètres de Paris. Mais Elvire a retrouvé leur repère, et elle l’a signalée aux autorités comme une redoutable terroriste. L’élite de la police française est à ses trousses. D’ici quelques jours, que dis-je, quelques heures, vous pourrez annoncer dans votre presse minable qui empoisonne le pays, que Lynda est morte, le corps transpercé par une cinquantaine de balles.
KOUGNONBAF
Encore heureux que la Syldurie n’est qu’un tout petit pion sur l’échiquier international. Vous imaginez un peu si elle était présidente des Etats-Unis !
SABINE
Cette bonne nouvelle mérite bien un taureau, camarguais de préférence.
KOUGNONBAF
Vous aurez votre taureau, avec l’arène et le matador qui se placent autour.
SABINE
La Toute-puissance récompensera votre générosité.
KOUGNONBAF
Vivre la Syldurie ! Vive le roi ! Vive Ottokar Premier ! Euh… Pas un mot de tout cela à Éva, bien entendu. Elle me prend toujours pour le charmant prince.
SABINE
Vous pouvez compter sur ma discrétion.
KOUGNONBAF
Merci. Mais je ne vais pas vous prendre davantage de votre temps. Il me reste des tas de détails à régler. Plus tôt je serai intronisé roi, et plus tôt je serai satisfait.
(Il sort.)
Scène II
SABINE
« Vive Ottokar Premier » ! Pauvre imbécile ! Sombre andouille ! Lamentable crétin ! Crois-tu qu’on se serve de la Toute-puissance comme d’un outil ou comme d’un larbin ? T’imagines-tu, pauvre bougre, que quelques poulets et quelques cochons suffisent à calmer son appétit ? Le prix à payer est bien trop élevé pour toi mon petit bonhomme ! La Toute-puissance te réclamera ton âme et ton sang. Et d’ailleurs, cela me fend le cœur de m’imaginer que je vais, moi seul, fournir tout le travail, affronter la colère de la famille royale au péril de ma vie, ou du moins de ma liberté, pour que toi, prétentieux marquis, tu te repaisses des marrons que je t’aurai tirés du feu. Tu ne connais donc pas la puissance que tu as invoquée pour te vautrer sur le pouvoir. Ah ! çà non mon ami ! J’ai donné à la Toute-puissance ce que je possédais de plus précieux : la place qui m’était réservée dans les lieux célestes. Je me suis totalement soumise à mon maître, et ce n’est pas gracieusement. Espères-tu, Marquis, que je me contente d’être rétablie dons mon rôle de « Grande Astrologue Royale » ? j’en désire beaucoup plus, et je maîtrise des pouvoirs qui te sont étrangers. Mi grat aou ti boi, ou sou la coup la bebet. Attends un peu, mon petit marquis, tu n’es rien d’autre qu’un moineau dans ma main. Je te caresse les plumes, ça te réchauffe, c’est agréable et doux, mais au moment choisi, mes doigts vont se refermer sur toi, tu seras prisonnier dans mon poing comme dans une cage dont les barreaux de fer vont te broyer. Quand j’ouvrirai à nouveau la main, tu ne seras plus qu’une boule de chair et d’os que je jetterai à terre avec répugnance et que je chasserai loin de moi à coup de pied. Adieu, marquis, oublie tes insolents rêves de pouvoir. La Syldurie devra courber l’épaule sous le joug d’une reine impitoyable : moi, Sabine Première. Lynda voulait faire de ce pays un royaume chrétien, Ottokar un royaume athée, moi, Sabine, je placerai ce pays sous la lumière des ténèbres. Malheur à quiconque refusera de servir la Toute-puissance ? Mais voici Éva. Elle fera moins la fière quand je l’écraserai sous mes bottes. En attendant c’est elle la patronne. Mieux vaut partir.
(Elle sort par une porte, Éva entre par l’autre.)
Scène III
ÉVA – puis KOUGNONBAF
ÉVA
J’ai dans le cœur un sinistre pressentiment. J’ai de la crainte, j’ai de l’angoisse. L’absence de Lynda me pèse cruellement. Je n’ai ni sa détermination, ni sa force. Je me sens terriblement mal à l’aise. Et je sens tout autour de moi la présence de Sabine Mac Affrin, cette redoutable magicienne. Lynda avait beau me prêcher que je suis couverte par le sang de Christ et que les forces des ténèbres ne peuvent rien contre moi… Souvent je sens les mains de Sabine serrer mon cou. Ah ! Lynda ! Lynda ! Reviens vite, je t’en supplie. Il n’y a que toi qui possèdes l’autorité sur les forces de ténèbres qui m’entourent. Heureusement, Otto, mon fiancé, me soutient par sa présence, et son amour me réconforte. Pourtant Lynda m’avait préconisé de me méfier de lui. Je crois qu’elle s’est trompée. Ottokar est si doux, si bon envers moi ! Que ferrais-je sans lui ? Mais le voici justement.
(Entre Kougnonbaf.)
KOUGNONBAF
Éva, ma princesse, mon amour.
ÉVA
Ottokar, mon bien aimé, te voici enfin ! Où étais-tu donc ?
KOUGNONBAF
Je suis à la fois désolé et ravi de t’avoir manqué. J’ai été retardé par une conférence de presse. La Syldurie est dans une situation délicate, très délicate. Je ne sais pas si je dois t’en parler. Ta sœur Lynda…
ÉVA
Otto, je suis inquiète, j’entends des bruits de cour. Lynda serait en grande difficulté, on dit même qu’elle serait…
KOUGNONBAF
Ma pauvre chérie, je sais que c’est très dur pour toi. Je connais l’amour que tu portes à ta sœur, mais il vaut mieux que tu saches maintenant la vérité, Lynda…
ÉVA
Elle est morte ?
KOUGNONBAF
Lynda a été très imprudente, elle a voulu refaire sa révolution française avant de la faire chez nous. Pourquoi à t-elle fait cela ? Elle a mené un combat qui n’était pas le sien. Elle s’est mise hors la loi.
ÉVA
Est-elle morte ?
KOUGNONBAF
J’en suis désolé, ma chère petite Éva. Elle a provoqué les autorités de ce pays et elle a été abattue par les forces de l’ordre.
ÉVA
Ce n’est pas vrai ! Dis-moi que ce n’est pas vrai ! tout cela n’est que rumeur.
KOUGNONBAF
Hélas, non. Nous le savons de source officielle. Dès ce soir, ma presse annoncera la fin tragique de notre souveraine.
ÉVA
Ottokar, c’est épouvantable.
KOUGNONBAF
Il faut être courageuse. À présent, tout le poids de la Syldurie repose sur tes frêles épaules. Te voilà reine, et moi, je suis ton Prince consort, (à part) en attendant d’être ton roi et ton maître, petite grue.
(Entre Bifenbaf, tenant à la main plusieurs journaux.)
Je vais te jeter un sort et tu seras sous la coupe de diable.