Scène IV
ÉVA – KOUGNONBAF – BIFENBAF
BIFENBAF
Marquis, c’est une honte, votre presse est en train d’éclabousser Lynda de calomnies injurieuses.
KOUGNONBAF
Ma presse, dites-vous ?
BIFENBAF
Regardez-moi ce titre, à la une d’Arklow Match.
KOUGNONBAF
« Lynda fréquente les dealers. »
BIFENBAF
Dis-leur de se taire !
KOUGNONBAF
Ils exagèrent.
ÉVA
Ottokar, j’espère que tu as une explication.
KOUGNONBAF
Je n’ai jamais validé la publication de cet article. C’est de la diffamation pure et simple. Il y des têtes qui vont tomber, chez Kougnonbaf-Presse.
BIFENBAF
Tu sais ce que fera Lynda quand elle sera de retour ? Elle va prendre tous tes torchons de papier, elle en fera une grosse boule d’un mètre de diamètre qu’elle t’enfoncera dans la gorge.
ÉVA
Je ne puis en supporter davantage. Pardonnez-moi, Messieurs, mais je préfère prendre congé.
Scène V
KOUGNONBAF – BIFENBAF
BIFENBAF
J’ai froissé ton journal et tu as froissé ta fiancée.
KOUGNONBAF
Je n’ai pas le choix, cela fait partie de mon plan.
BIFENBAF
Je n’ai jamais approuvé ton plan. Fallait-il pointer toute cette artillerie ? Non mais, regarde-moi ces titres : « La descente aux enfers de Lynda », « Lynda la débauchée », « la vie sulfureuse de Lynda », « La déchéance d’une reine. »
KOUGNONBAF
Votre chérie ne s’en relèvera pas.
BIFENBAF
Vous pouvez le dire ! « Syldurie-Soir » a publié l’évolution de sa cote d’amour : douze pour cent d’opinions favorables, contre quatre-vingt-six la semaine dernière.
KOUGNONBAF
Ma foi, je connais un autre petit roi que cela devrait consoler.
BIFENBAF
En revanche, la cote d’Éva crève le ciel. Le peuple va certainement la proclamer reine. Vous avez bien raison de vouloir l’épouser.
KOUGNONBAF
Je n’épouserai jamais cette grosse cloche en si bémol.
BIFENBAF
Comme il vous plaira. Il faut reconnaître que, pendant que sa sœur défraie la chronique, votre fiancée…
KOUGNONBAF
Cessez de dire : « Ma fiancée ». Ça m’agace. C’est un mariage de raison. Quand je serai au pouvoir, j’appliquerai la méthode Henri VIII : D’abord je la tue, ensuite je la répudie.
BIFENBAF
Donc, votre fiancée travaille de ses dix doigts. Elle a commencé à construire des villages écologiques et arborisés, et à détruire les favelles qui font la honte de notre capitale. Elle dépense allégrement, la petite, sans craindre de plumer l’état.
KOUGNONBAF
L’état, c’est moi.
BIFENBAF
Mais revenons à Lynda, cher Marquis. Je ne tiens pas particulièrement à ce que vous fassiez une crise d’apoplexie en regardant le journal de vingt heures. Edition spéciale : « La mort de Lynda. »
BIFENBAF
Quoi ?
KOUGNONBAF
Mais rassurez-vous, mon ami, « Kougnonbaf-Presse » sait très bien manipuler le mensonge. Je suis impatient qu’elle meure, car plus vite elle mourra, plus vite j’accéderai au pouvoir. Alors, en attendant, je l’assassine médiatiquement.
BIFENBAF
Vous m’avez fait peur.
KOUGNONBAF
Elvire, notre chasseresse, est parvenue à traquer notre gibier jusqu’au plus profond de son terrier. À présent, elle la tient à portée de son fusil, mais, eu égard de notre vielle amitié, je lui ai donné pour consigne de lui laisser la vie. Offrez à notre Elvire un petit cadeau dont elle vous fixera elle-même le prix, et elle vous livrera, pieds et mains liés, l’objet de votre convoitise.
BIFENBAF
Marquis de Kougnonbaf, vous êtes un génie.
KOUGNONBAF
Je le sais, je me le suis déjà dit.
BIFENBAF
Vous êtes le roi des filous.
KOUGNONBAF
En attendant mieux.
BIFENBAF
La victoire est à nous, Marquis.
KOUGNONBAF
Alors il faut la fêter.
BIFENBAF
Avec quoi, Marquis ?
KOUGNONBAF
Mais avec du champagne ! Je crois savoir que le vieux avait toujours quelques bonnes bouteilles en réserve. Tenez, la bibliothèque, derrière ces rayons, il y a un bar.
(Bifenbaf fait pivoter une partie de la bibliothèque, découvrant un bar.)
BIFENBAF
Le vieux coquin !
(Bifenbaf apporte une bouteille et deux flûtes, et s’apprête à servir.)
KOUGNONBAF
Voyons ! Quel cru prestigieux nous avez-vous déniché : Reims ou Épernay ?
(Il regarde l’étiquette.)
« Mousseux de la Maritza ».
BIFENBAF
J’avais oublié les royales restrictions budgétaires.
KOUGNONBAF
Au moins, cela encourage le marché des produits nationaux. À défaut de la Marne, contentons-nous de la Maritza.
BIFENBAF
Krieg ist krieg.
(Ils se versent à boire.)
KOUGNONBAF
À la santé de la Syldurie.
BIFENBAF
Vive la Syldurie !
KOUGNONBAF
Finalement, il n’est pas mauvais, ce mousseux de la Maritza.
BIFENBAF
Il est même très bon.
KOUGNONBAF
On s’en ressert un verre ?
BIFENBAF
Mais pourquoi pas ?
(Ils vident leur verre et se resservent, même jeu jusqu’à la fin de la scène.)
KOUGNONBAF
À la santé du roi.
BIFENBAF
Vive le roi.
KOUGNONBAF
À ta santé, Bifenbaf.
BIFENBAF
Vive Bifenbaf !
KOUGNONBAF
À la santé de ma fiancée.
BIFENBAF
Vive Éva ! Delavent. Eh ! eh ! eh ! Éva Delavent ! Elle est bonne !
KOUGNONBAF
À la santé de Sabine Mac Affrin, ma sorcière mal-aimée.
BIFENBAF
Vive Sabine ! J’aime sa trombine !
KOUGNONBAF
Quoi ? Déjà vide ?
BIFENBAF
On n’a même pas eu le temps d’y goûter.
KOUGNONBAF
Eh bien ? Bifenbaf, aller me chercher une autre bouteille de cet excellent Champaritza. Vous devriez déjà être revenu.
BIFENBAF
« La Maritza c’est ma rivière, - Comme la Seine est la tienne… »
KOUGNONBAF
À la santé de Mademoiselle Vartanova.
BIFENBAF
Vive Sylvie Vartanova !
KOUGNONBAF
À qui le tour ? C’est qu’il faut la finir cette bouteille.
BIFENBAF
Oui, avant d’en entamer une autre.
KOUGNONBAF
À la France, et à son grand Président.
BIFENBAF
Oh ! grand Président, il ne faut tout de même pas exagérer. Vive la France !
KOUGNONBAF
À nos amours.
BIFENBAF
Oui, à nos amours. Je t’aime, mon petit Ottokar.
KOUGNONBAF
Moi aussi, mon petit Miroslav. Je t’aime.
BIFENBAF
Embrasse-moi, Ottokar !
KOUGNONBAF
Épouse-moi, Miroslav !
BIFENBAF
Ah ! Non ! Tu as déjà une fiancée.
KOUGNONBAF
Qui ? Éva ? Cette gourde ?
BIFENBAF
Éva la cruche !
KOUGNONBAF
Éva la godiche !
BIFENBAF
Éva la gudule !
KOUGNONBAF
Éva la majorée… mijaurée !
BIFENBAF
Éva nu-pieds !
KOUGNONBAF
Éva t’en coller une !
BIFENBAF
Oui, encore une. J’ai soif.
(Il va chercher une troisième bouteille.)
Pour qui celle-ci ?
KOUGNONBAF
Pour qui ? Je te le demande ! Pour Lynda !
BIFENBAF
Vive Lynda !
KOUGNONBAF
Lynda est morte.
BIFENBAF
Meurt Lynda.
KOUGNONBAF
Noyons notre chagrin dans les flots de la Maritza.
BIFENBAF
Elle ne nous embêtera plus.
KOUGNONBAF – BIFENBAF
« Elle ne mettra plus de l’eau dedans mon verre – la guenon, la poison, elle est mo-o-rte. »
(La porte s’ouvre discrètement. Lynda apparaît à l’insu des deux buveurs.)