Scène III
ELVIRE – SABINE
ELVIRE
Ne perds pas de temps, ma petite Elvire.
(Entre Sabine.)
SABINE
Soyez la bienvenue en Syldurie, Mademoiselle Saccuti. Voilà longtemps que je souhaitais vous rencontrer.
ELVIRE
Qui êtes-vous ?
SABINE
Qui je suis ? Je suis Sabine Mac Affrin, Sabine la grande, Sabine l’excellente, Sabine la toute-puissante, celle qui possède la sagesse de l’égarement et la lumière des ténèbres. Je suis Sabine, celle qui voit tout, qui entend tout et qui sait tout. Je suis celle qui donne des ordres aux fleuves et aux océans, celle qui noya toute l’armée ottomane dans les flots du Danube. Je suis celle qui aplatit les montagnes et qui élève les vallées. Je suis celle qui éteint les étoiles et qui en allume de nouvelles. Je suis Sabine enfin, la grande, l’immense, la titanesque, celle qui fait trembler les dieux de l’Olympe et ceux du Walhall.
ELVIRE
En voilà une délabrée de la casquette !
SABINE
Oui, je suis Sabine devant laquelle viendront bientôt se prosterner les rois et les princes, Satan et ses démons, Jéhovah et ses anges.
ELVIRE
Vous ne seriez pas un petit peu fêlée ?
SABINE
Quoi ? Misérable mortelle ! Ver de terre ! Cloporte ! Paramécie ! Comment oses-tu blasphémer contre celle qui possède la Toute-puissance ? Mais que les entrailles de la terre t’engloutissent ! Que les termites de Belzébuth rongent tes os de l’intérieur ! Que les insectes dévorent ta chair ! Que les pustules rendent ton visage hideux !
ELVIRE
Vous êtes vraiment folle à lier. Vous me faites peur. Ne m’approchez pas ! Ne me touchez pas !
(Elle pointe son revolver sur Sabine.)
SABINE
C’est avec ce petit bout de fer que vous comptez m’effrayer.
ELVIRE
Les mains en l’air ! La face contre le mur ! Et vite !
SABINE
Il faudrait déjà que tu enlèves la sécurité, pauvre cloche !
(Elvire enlève la sécurité.)
ELVIRE
Reculez ! Reculez ! Mains en l’air, ou je tire !
SABINE
Voilà pour t’apprendre à menacer l’impératrice du monde.
ELVIRE
Ah ! Ça brûle !
(Elle lâche son arme.)
SABINE
Ça brûlera encore plus quand je t’aurais expédiée en enfer.
ELVIRE
Qu’est-ce que vous me voulez ?
SABINE
Écoute-moi attentivement, petite sotte ! J’aurais pu châtier ton insolence en te foudroyant sur place, mais dans mon immense magnanimité, j’ai décidé de te faire grâce.
ELVIRE
Merci, Madame.
SABINE
Appelez-moi : « Maîtresse ».
ELVIRE
Merci, Maîtresse.
SABINE
Je t’accorde mon absolution, à la seule condition que tu t’agenouilles à mes pieds et que tu me demandes pardon.
ELVIRE
Pardon, Maîtresse.
SABINE
Tu te relèveras quand je t’y autoriserai.
ELVIRE
Oui, Maîtresse.
SABINE
Parfait ! Maintenant que tu as compris qui de nous deux est le chien et qui est le maître, nous allons parler un peu.
ELVIRE
Je vous écoute, Maîtresse.
SABINE
Ottokar de Kougnonbaf vous a fait une proposition.
ELVIRE
En effet, Maîtresse. Il m’a chargé d’assassiner la Reine de Syldurie.
SABINE
Est-ce tout ce qu’il vous a dit ?
ELVIRE
Non, Maîtresse. Il m’a promis, quand il se serait emparé du pouvoir, que je serai reine si je consentais à l’épouser.
SABINE (éclatant de rire)
Et qu’avez-vous répondu ?
ELVIRE
Que j’abattrai Lynda, mais pour ce qui est de l’épouser, j’allais y réfléchir.
SABINE
Ottokar n’en fera jamais d’autres. Il a déjà demandé dix-sept filles en mariage depuis le début de l’année. Ce polichinelle me croit à son service alors que je le tiens en laisse. Quand il s’emparera de la couronne, je me jetterai sur lui telle une harpie, et je le déchiquetterai. C’est à moi qu’appartient le pouvoir et je le prendrai. Je ferai jeter ce ridicule marquis dans une de nos vielles oubliettes où les rats le grignoteront. C’est moi qui serai reine, mais je ne me contenterai pas de la Syldurie. Grâce à mes immenses pouvoirs, j’assujettirai l’Europe, puis je soumettrai le monde.
ELVIRE
Et moi, dans tout ça ?
SABINE
Toi, tu vas tuer Lynda, puisque cela te ferait tant plaisir. Mais attention, n’agis que quand je t’en donnerai l’ordre. Tu feras autant de trous que tu voudras dans la peau de cette petite teigne, mais garde deux balles au fond du chargeur : une pour Éva et l’autre pour Ottokar. As-tu bien compris mes ordres ?
ELVIRE
Oui, Maîtresse.
SABINE
Si tu me sers fidèlement, je ne serai pas ingrate. Quand je posséderai le pouvoir, je ne le partagerai avec personne, sauf avec toi. Je te rendrai puissante et redoutable. Tous trembleront en entendant prononcer ton nom. Je serai la seule à te donner des ordres.
ELVIRE
J’espère que ce n’est pas à condition que je vous épouse.
SABINE
Je ne te permets pas de badiner.
ELVIRE
Pardon, Maîtresse.
SABINE
Tu peux te relever, et n’oublie pas de ramasser ton hochet. Il a eu le temps de refroidir.
ELVIRE
Merci.
SABINE
Merci qui ?
ELVIRE
Merci, Maîtresse.
(Elvire se relève et ramasse son pistolet. Sabine ouvre une porte, puis la referme.)
SABINE
J’aperçois Éva dans les parages. Soyons discrets. Sortons par cette petite porte.
(Elle ouvre l’autre porte, et la referme précipitamment.)
Lynda ! Planquons-nous !
ELVIRE
Plaît-il ?
SABINE
Là ! Sous la table ! Vite ! Elle arrive !
(Elles se précipitent sous la table, entre Lynda, accompagnée de Julien et d’Eva.)