Scène IV
LYNDA – JULIEN – ÉVA
ELVIRE et SABINE (cachées)
LYNDA
J’espère que tu as aimé notre excursion, mon cher.
ELVIRE
Julien ! Qu’est-ce qu’il vient faire ici, celui-là ?
JULIEN
Le décor est tel que tu me l’avais décrit, un endroit charmant pour un beau roman d’amour.
ELVIRE
Mais ma parole, il lui tient la main ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
LYNDA
Es-tu toujours fâchée contre moi, ma petite Éva ? Tu ne dis rien, tu m’en veux donc encore.
ELVIRE
Maîtresse, il faut que vous m’expliquiez quelque chose : Tous les dieux de l’univers sont prosternés devant vous, mais nous devons fuir comme des damnées dès que cette pimperouée pointe le bout de son museau.
SABINE
Tu comprendras plus tard, quand tu seras grande et quand je t’aurai initiée.
ELVIRE
Il ne manquerait plus qu’elle me découvre ici à quatre pattes ! Vous imaginez la honte !
SABINE
Si tu veux le savoir, je possède la toute-puissance d’en bas et elle la toute-puissance d’en haut.
ELVIRE
Je comprends déjà mieux. Elle m’a donné l’autre jour un bel aperçu de sa puissance d’en haut.
LYNDA
Je regrette sincèrement la peine que je t’ai causée. J’ai eu envers toi des paroles très dures, mais je ne les pensais pas vraiment. Je t’en demande pardon. J’étais dans une telle colère ! Ma langue a couru plus vite que mon cœur. Quand je t’ai vue me quitter en sanglots, j’ai compris à quel point je t’avais blessée.
SABINE
On dirait qu’il y a de l’eau dans le gaz chez les Sassouschnikof.
ÉVA
Tu as encore réussi à te faire pardonner. D’ailleurs, tu as eu raison de me secouer les plumes. Je me suis comportée comme une petite sotte. J’ai bu comme de la limonade les mensonges de ce maudit marquis.
ELVIRE
Et voilà le clan Soussaschnick réconcilié !
SABINE
Dommage !
ÉVA
Quand je pense qu’il m’a dit qu’il m’aimait et que je l’ai cru ! Comme je suis malheureuse !
SABINE
Pauvre chérie !
LYNDA
Console-toi vite ! Tu n’auras pas de peine à trouver un meilleur parti que ce fou royal.
SABINE
Ce triste cavalier est peut-être ton fou, mais il est avant tout mon pion avec lequel je ferai dégringoler ta tour de marbre. Échec et mat, ma jolie !
ÉVA
Tu parles avec sagesse. J’aurai bientôt oublié ce sinistre individu. Quelque chose même me dit que je trouverai bientôt le véritable amour. Quelque chose me dit aussi que tu l’as déjà trouvé.
LYNDA
Pourquoi te le cacher ? Il y a bien longtemps que nous nous sommes côtoyés sans comprendre que nous nous aimions, et nous avons décidé de nous marier bientôt. N’est-ce pas mon petit Julien ?
ELVIRE
La vache ! Elle me souffle Julien ! Je m’en vais te la décoiffer, moi, cette greluche !
SABINE
Tu restes ici, tu te calmes et tu te tais.
ELVIRE
Oui, Maîtresse.
SABINE
Bon !
LYNDA
Nous aurons l’occasion de reparler de nos histoires d’amour, il faut aussi parler travail. Ton action progresse, m’a-t-on dit.
ÉVA
En effet ! Si tu savais comme nous sommes encouragés, mon équipe et moi ! Nous avons installé dans les nouveaux quartiers des panneaux solaires qui vont chauffer les maisons sans autre coût que celui du matériel. Les pauvres n’auront pas à se soucier de leur facture de gaz. Il reste encore quelques familles dans les favelles. Je leur rends régulièrement visite. Les enfants ont une telle joie de me voir ! Et puis j’ai ouvert cinq classes d’alphabétisation. J’y enseigne aussi quelquefois. Ils ont une grande soif d’instruction. Peut-être allons nous trouver dans ces taudis un futur Premier ministre, ou un académicien.
LYNDA
Je ne suis pas resté inactive, moi non plus. Je suis entrée en contact avec notre ambassadeur à Ankara. Il est intervenu avec zèle. Youssouf Ozdenir sera ici demain, au premier avion.
ÉVA
Comme Valérie va être heureuse !
SABINE
Et c’est parti comme au quatorzième ! Les Turcs envahissent les Balkans.
ÉVA
Et pour tes deux amis du métro ? As-tu des nouvelles ?
LYNDA
Oui. Je suis déçue. J’ai plaidé aussi bien que j’ai pu. Eux aussi seront déçus. Je leur ai promis une peine indulgente et je crains que le juge et la cour en décident autrement.
(Mohammed et Mamadou entrent timidement, bien habillés, costume cravate.)
Scène V
LYNDA – JULIEN – ÉVA – MOHAMMED – MAMADOU
ELVIRE et SABINE (cachées)
MOHAMMED
On ne dérange pas ? On peut entrer ?
MAMADOU
Juste pour dire un petit bonjour.
LYNDA
Mohammed ! Mamadou ! Quel bonheur ! vous voilà donc sortis de prison !
ELVIRE
Même en tôle ils n’en veulent pas ! Pour cette racaille je ne vois que la corde.
MOHAMMED
Ils nous ont relâchés.
MAMADOU
Grâce à toi.
MOHAMMED
Tu nous as très bien défendus.
LYNDA
Vraiment ?
MAMADOU
Vraiment. Tu leur as tous dit. Notre rencontre à la station Barbès…
MOHAMMED
Tout de même, étais-tu obligée de leur raconter comment je t’ai agressée et comment tu m’as maîtrisé ? À moi la honte !
LYNDA
C’était pour ton bien. Il ne faut jamais rien cacher au juge.
MAMADOU
En effet, tu n’as rien caché : La montre que je t’ai donnée, la drogue qu’on t’a fait respirer.
MOHAMMED
Et puis, tu lui as parlé de ce fameux repas chinois, de notre désir de quitter la délinquance et de notre peur du Commissaire divisionnaire.
MAMADOU
La misère et la crainte de l’avenir qui conduit souvent la jeunesse sur un chemin obscur.
MOHAMMED
Enfin, notre souhait d’être jugé par la justice de ton pays. Tu nous as sauvés.
LYNDA
Et pourtant, au moment où j’ai quitté le tribunal, j’avais le terrible sentiment d’avoir échoué et de vous avoir nourri de faux espoirs.
MOHAMMED
Quand tu as quitté le tribunal et que la séance a été levée, le magistrat nous a convoqués chacun son tour dans son bureau. Nous avions la peur aux boyaux. Ce masque d’extrême sévérité cachait en définitive beaucoup de compréhension.
MAMADOU
Nous avons été, au bout du compte, condamnés à trois ans d’incarcération avec sursis.
LYNDA
Je suppose qu’il vous a été demandé une contrepartie.
MAMADOU
Nous devrons prouver que notre repentir n’est pas une comédie. Nous serons surveillés de près. Et nous devrons avoir une activité lucrative respectable.
MOHAMMED
Nous avons déjà des idées. Nous aimerions ouvrir un petit commerce.
MAMADOU
Une horlogerie-bijouterie. J’ai déjà un peu d’expérience dans le métier.
MOHAMMED.
Notre seul problème, c’est que pour acheter une boutique, il faut des sous.
MAMADOU.
Et les sous, ça…
MOHAMMED.
C’est le souci.
LYNDA.
Ne vous en inquiétez pas. Il existe quantité de bâtiments appartenant à la couronne qui ne servent à rien. Oui, c’est cela ! J’en vois un sur l’avenue Wenceslas III qui conviendra parfai-tement. Juste un petit coup de peinture à donner. Cette boutique, les garçons, je vous l’offre.
MAMADOU
Oh ! Lynda ! Il faut que je t’embrasse.
MOHAMMED
Et moi alors ?
(bises fraternelles)
ELVIRE
Et vas-y que je te piaute !
SABINE
Mais voilà que toute la détresse d’Afrique va débarquer ici !
ELVIRE
Ça me rappelle mon pays. Il faudra t’y habituer.
SABINE
Il faudra vous y habituer, Maîtresse.
ELVIRE
Oh ! Pardon.
SABINE
Pardon mon chien ?
ELVIRE
Pardon, Maîtresse.
(Entre Bifenbaf.)