Scène VI
KOUGNONBAF – ÉVA – MAMADOU – MOHAMMED – JULIEN – SABINE
SABINE
Elle a réussi ! Grâce au pouvoir que je lui ai donné, cette petite Parisienne a réussi sa mission. Je viens d’entendre la balle qui a tué mon gibier. À présent le règne est à moi. Il ne peut pas m’échapper. J’ai payé plein tarif à la Toute-puissance. Lynda est morte, me voici reine de Syldurie. Que tous les manants se prosternent devant Sabine première, la Grande.
KOUGNONBAF
Pardon. Ce n’était pas dans le contrat. Je t’ai payé assez cher pour la réussite de mon plan. Le roi se Syldurie, c’est moi : Ottokar premier, le Grand.
SABINE
Misérable ver de terre, punaise, mollusque, protozoaire ! Tu croyais vraiment pouvoir te servir de la grande Sabine Mac Affrin, celle qui possède la toute-puissance des lieux obscurs ? Tremble misérable mortel, devant celle qui détient le salut ou la perdition de ton âme entre ses mains.
KOUGNONBAF
Mais enfin, Sabine ? Qu’est-ce que c’est que ce délire ?
SABINE
Que les cent mille démons t’entraînent dans les abysses de l’enfer.
(Elle fait le geste d’étrangler quelqu’un.)
KOUGNONBAF
Je ne peux plus respirer. Pitié, Sabine !
SABINE
Pas de pitié pour les vaincus.
(Elle étrangle à nouveau, Kougnonbaf s’écroule. Entrent Lynda et Elvire. Cette fois, c’est Lynda qui tient Elvire en respect. Sabine a un mouvement de recul, Kougnonbaf est brusquement soulagé.)
Scène VII
KOUGNONBAF – ÉVA – MAMADOU – MOHAMMED – JULIEN – SABINE – LYNDA – ELVIRE
JULIEN
Lynda !
LYNDA
Je t’avais bien dit de ne pas t’en faire, mon gros lapin.
SABINE
Par la queue fourchue de Belzébuth ! Elle est vivante.
ELVIRE
Elle m’a encore eue.
KOUGNONBAF
Quelle gourde ! Mais quelle gourde ! Elle raterait un cachalot à bout portant.
JULIEN
Et dire que je n’ai pas levé le petit doigt pour te sauver ! Comment as-tu échappé à cette furie ?
LYNDA
Raconte lui, ma douce Elvire. Ce récit nous amusera tous.
ELVIRE
Va-t’en au diable !
LYNDA
Je ne sais pas qui t’a appris à tirer, ma charmante Elvire, mais c’était un piètre professeur. Donc, Elvire m’a conduite, sous la menace de cette arme, dans la galerie des rois. Elle a visé mon front, elle a tiré. Cette godiche n’avait jamais entendu parler du recul. Sa main a dévié et la balle m’a dépeigné le sommet du crâne. En revanche, elle n’a pas raté Stanislas XII : dans le mille entre les deux yeux. Profitant de sa surprise, je te l’ai anesthésiée d’un solide uppercut. Elle est restée un bon moment étalée. Quand elle est sortie du cirage, elle se trouvait du mauvais côté du canon.
ELVIRE
Faites quelque chose, Maîtresse. Elle va me tuer.
LYNDA
Je ne suis pas une criminelle.
SABINE
Je te maudis par tous les dieux de Canaan. Que Moloch brûle ton premier-né dans ses entrailles !
(Elle fait à nouveau le geste d’étrangler, sans résultat.)
Que Baal-Peor te dévore toute vive !
(même jeu)
LYNDA
Tu auras peut-être plus de chance avec les dieux babyloniens.
SABINE
Par Dagon, dieu des philistins ! La Toute-puissance m’abandonne. Elle me livre à la merci de celle que j’exècre. Je suis trahie ! Trahie.
LYNDA
Elvire et Ottokar, placez-vous tous les deux face contre ce mur.
SABINE
Je ne me sens pas bien du tout. Un poids terrible me presse. C’est la puissance de lumière. Je ne puis la supporter. Il faut que je sorte d’ici.
LYNDA
Éva, place-toi vite devant la petite porte. Moi, je m’occupe de la grande.
SABINE
Je me sens de plus en plus mal. Je dois partir. Ôtez-vous de là, Lynda, que je m’en aille.
LYNDA
Pourquoi vouloir nous quitter, Sabine Mac Affrin ? Nous avons tant de choses intéressantes à nous dire.
SABINE
Je souffre. C’est le feu de l’enfer que j’ai invoqué. Une dernière fois, Lynda, ôtez-vous de mon chemin.
LYNDA
Non.
SABINE
Ça me brûle. Lynda, je vous en conjure, laissez-moi sortir.
LYNDA
Vous ne sortirez pas.
SABINE
Éva, je vous en supplie, laissez-moi sortir, je serai votre esclave. Ayez pitié de moi.
ÉVA
Allons-nous prolonger longtemps ce jeu cruel ?
LYNDA
Jusqu’à ce qu’elle ait demandé pardon au Crucifié.
SABINE
Çà ! Jamais ! Jamais ! Jamais !
(Elle se précipite à travers la verrière en poussant un grand cri.)
Scène VIII
KOUGNONBAF – ÉVA – MAMADOU – MOHAMMED – JULIEN – LYNDA – ELVIRE
(Tous se précipitent vers la verrière.)
JULIEN
Elle a fait une chute de deux mètres.
MOHAMMED
Elle est blessée. Elle se relève.
MAMADOU
Elle s’enfuit en claudiquant.
ÉVA
Cette fois nous ne la reverrons plus.
ELVIRE
Je ne sais pas ce qui se passe. Je me sens bien. Vraiment bien. C’est comme si mon cœur avait été serré dans un étau de haine. Une force miraculeuse vient de le briser. Je me sens libre. Lynda, je t’ai si souvent menti que tu n’es pas obligée de me croire, mais maintenant j’ai une folle envie de t’aimer. Je te demande pardon.
LYNDA
Moi aussi, j’ai envie de t’aimer. Tu as été manipulée par cette femme, et la voilà vaincue avec ses maléfices. Il est temps pour toi de laisser l’amour du Sauveur envahir ta vie.
ELVIRE
Je veux le recevoir.
(Lynda embrasse Elvire, puis elle enlève le chargeur du revolver et le lui rend.)
LYNDA
Ainsi, tu ne risques plus de blesser quelqu’un.
ELVIRE
Merci. Rendons à César ce qui revient à César, et cet objet à son propriétaire.
(Elle rend l’arme à Kougnonbaf.)
KOUGNONBAF
Je… Je suis un misérable et un lâche. Traite-moi comme je le mérite. J’ai chargé Elvire de te tuer parce que je n’avais même pas le courage de le faire moi-même. J’ai toujours été orgueilleux et ambitieux. J’ai convoité le pouvoir. J’ai haï le Roi ton père, et je t’ai haï. Je me suis laissé aveugler. J’ai acheté les services de cette sorcière.
LYNDA
Elle t’a trahi. Elle se serait elle-même emparée de la couronne et elle t’aurait ensuite éliminée.
KOUGNONBAF
Comme j’ai honte ! J’ai honte ! Je n’ose pas te demander pardon. Je ne le mérite pas.
LYNDA
Tu as raison, le pardon ne se mérite pas. Un homme avait une dette de dix mille talents. Dix mille talents, ce ne sont pas dix mille dollars : Ce sont dix mille tonneaux remplis de pièces d’or. Sachant qu’il lui était impossible de rembourser une telle somme, le créancier lui a remis sa dette. Je suis ce débiteur. N’aurais-je aucune compassion pour celui qui me devrait trois mois de son salaire. Tu te souviens certainement de mon passé et du mal que j’ai fait à mon père. S’il m’a été beaucoup pardonné, je me dois de pardonner à mon tour. À toi maintenant de saisir cette occasion de recommencer ta vie comme j’ai recommencé la mienne.
KOUGNONBAF
Je remettrai ma vie en question.
ÉVA
Et Sabine ? crois-tu qu’elle trouvera un jour la grâce et le pardon.
LYNDA
Rien n’est impossible à Dieu. Mais avec elle, il aura du travail !
MAMADOU
Voilà une aventure qui se conclut dans la joie ? Chère Lynda, je voulais te faire un petit cadeau, mais je n’ai pas la patience d’attendre le jour de ton mariage.
(Il lui donne un paquet.)
LYNDA
Qu’est-ce que c’est ?
MAMADOU
Ouvre-le !
LYNDA
Une montre !
MAMADOU
Elle vient de ma boutique.
LYNDA
Mamadou, tu es un amour.
MAMADOU
As-tu regardé la marque ? C’est une Cartier. Une vraie. Pas QU comme un quartier d’orange. C comme… comme Cartier.
LYNDA
Tu as fait des progrès en orthographe.
MAMADOU
C’est de la tocante. C’est pas du toc.