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09 - Qui dit dogmes dit Contestation(s), et même Révolution(s) ! (5)

Publié le 22 juillet 2009 par Collectif Des 12 Singes

Qui dit dogmes dit Contestation(s), et même Révolution(s) !
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683 à 690 : Le premier grand Soulèvement d´esclaves et d´ouvriers agricoles arabes est écrasé à Koufa.

Al-Mukhtar ibn Abi Ubayd al Thaqafi fut le premier Révolutionnaire islamique qui a mené une Rébellion avortée contre les califes omeyyades, qui ont régné sur le monde musulman après le meurtre du quatrième calife Ali ibn Abu Talib.

Al-Mukhtar est né en 622, fils d'un martyr d'une des premières guerres islamiques et grandit à Médine, alors sous les ordres de Mohammed.
A l'instant de mourir, en 632, le prophète a achevé par les armes l'unification de la péninsule arabe. C'est un guerrier qui ne rechigne pas à donner la mort. Il aime les femmes et ne s'en cache pas. Mais bien qu'il ait eu neuf femmes légitimes, il ne laisse aucun fils survivant susceptible de lui succéder à la tête des croyants. Il se reconnaît faillible et ne se veut en rien différent des autres hommes. Il consacre par ailleurs beaucoup de temps à la prière et dédaigne les richesses de ce monde.

Le prophète n'ayant pas désigné de successeur, ce sont ses plus proches compagnons qui élurent le premier calife. Tout était confusion à Médine après la mort du prophète. Le lien qui unissait les compagnons était brisé, les partis rivaux cherchèrent à s'emparer du pouvoir. Ils étaient au nombre de trois : Ali et les siens comptaient sur leur proche parenté avec Mohammed ; les Médinois désiraient en finir avec la domination des étrangers, mais ils étaient divisés ; les intimes du prophète, le triumvirat d'Abu Bakr, Omar et Abu Ubayda, qui avaient déjà pris part au gouvernement n'entendaient pas l'abandonner.
Abu Bakr remplace le messager d'Allah au terme d'une brève lutte de succession. Il prend le nom de khalîfa (calife), d'un mot arabe qui veut dire lieutenant ou remplaçant. Ce premier calife a 59 ans. Il figure parmi les plus anciens compagnons de Mohammed. Il est aussi le père d'Aïcha, la femme préférée du prophète.
Abu Bakr n'appartient à aucune des grandes familles de La Mecque, ce qui lui vaut d'être accepté par toutes. Seul Ali, le gendre du prophète, déplore l'élection d'Abu Bakr. Ses ressentiments causeront plus tard la scission entre les musulmans orthodoxes de confession sunnite et ceux de confession chiite. Avec l'aide de l'énergique Khalid ibn al-Walid, Abu Bakr maintient l'unité de la communauté musulmane, menacée par les rivalités de clans et quelques faux prophètes.

Dès 633, un an après la mort de Mohammed, ses disciples ont déjà conquis et soumis la totalité de la péninsule arabe. Sous le règne du premier calife, quelques troupes de bédouins pillards entament des incursions hors de la péninsule arabe, en direction des empires perse et byzantin. Elles bénéficient de l'instabilité politique de l'empire perse (après la mort du roi Chosroès II en 628, pas moins de huit souverains se succèdent en l'espace de trois ans).
La conquête arabe prend tournure lorsqu'une troupe de cavaliers sous le commandement de Khalid ibn al-Walid pénètre en territoire perse et s'empare en 633 de la ville de Hira (Irak actuel). Khalid envoie une énorme quantité de butin au calife. Pour la première fois, les musulmans, jusque-là astreints à une relative austérité, entrevoient le profit à gagner des conquêtes lointaines. Le vieil Abu Bakr meurt cependant trop tôt pour en cueillir les fruits. Avant de rendre l'âme en 634, après deux ans de califat, il désigne Omar pour lui succéder. Sa fille Hafsa avait été l'une des épouses du prophète, ce qui fait qu'Omar était donc, comme Abu Bakr, beau-père du prophète.

Les rafidites furent qualifiés de râfida pour avoir rejeté la plupart des compagnons du prophète (le verbe rafada signifie refuser, rejeter), ainsi que l'imamat d'Abu Bakr et d'Omar.
Ils se sont subdivisés en quatorze sectes : la mouhammadiyya (ils prétendirent que celui qui était en charge du califat était Mouhammad Ibn ‘Abdoullah Ibn Al-Hasan Ibn Al-Husayn, qui avait demandé à ce que la succession soit pour Abu Mansûr – et non pas un homme de Banoû Hâshim – de même que Moïse avait recommandé Yoûsha' Ibn Noûn, au détriment de ses fils et de ceux de Aaron), la kaysâniyya (autour d'un certain Kaysân : espoir que le Mahdi annoncé par Al-Mukhtar n'était en réalité que soustrait aux yeux du monde et vivait caché ; dans un proche avenir, il sortirait triomphant de sa cachette, réunirait ses partisans, écraserait ses ennemis pour établir le pouvoir du véritable islam et « comblerait la terre de Justice et d'Equité » ; On voit ainsi véritablement pour la première fois prendre forme la notion d'attente du Mahdi, caractéristique du chiisme), la Oumayriyya, la housayniyya, la nâwasiyya, la ismâ'iliyya (secte d'« athées » qui se réclament des philosophes persans et croient en la prophétie de Zarathoustra et de Mazdak, issu d'Ismaïl ; « Les Épîtres des Frères de la pureté » était très consulté à cette époque et il servait d'encyclopédie de référence sur divers sujets, instituant des réformes économiques et sociales – des copies de cette encyclopédie furent brûlées par les docteurs sunnites – : l'idée centrale de cette encyclopédie était que l'être humain était perdu dans l'ignorance et qu'il fallait l'instruire par la philosophie et par une connaissance graduelle pour retrouver le Guide spirituel afin de cheminer sur le droit chemin, c'était aussi un hymne à la Tolérance, à l'union par des liens Fraternels, préconisant une pluralité de voies pour accéder au salut ; persécutés, les ismaéliens continueront à vénérer secrètement leur imam tout en déployant un prosélytisme – da'wa – très actif d'abord au Moyen-Orient puis à travers tout le monde musulman), la qarâmadiyya, la moubârakiyya, la choumaytiyya, la ‘ammâriyya, la mamtoûriyya, la moûsawiyya et la imâmiyya (imamites), la qat'iyya, la kouraybiyya.

Omar fut assassiné le 23 novembre 644 par un esclave chrétien du gouverneur de Bassora (en Irak), simple instrument d'une conspiration beaucoup plus large (les chiites lui reprochait d'avoir alloué aux épouses du prophète, en particulier à Aïcha et Hafsa, des subventions supérieures à leurs besoins). Selon la tradition, il eut le temps sur son lit de mort de nommer un conseil (chûrâ) composé de six membres, les six plus anciens compagnons du prophète encore en vie. Ce conseil désigna Othman comme successeur. Othman faisait partie de la grande famille mecquoise des Omeyyades (Omayya, grand-oncle de Mohammed, appartenait à la tribu des Quraychites, tribu dominante à La Mecque au temps du prophète ; après s'être opposé à celui-ci, il l'avait rejoint au dernier moment) qui prendra définitivement le pouvoir avec l'accession au califat du cinquième calife, Muawiya (avec lequel le califat devint héréditaire). Il fut le gendre de Mohammed, puisqu'il épousa deux de ses filles, Ruqayya et après la mort de celle-ci, Umm Kulthum.
Son califat fut une longue crise. On lui reprocha son népotisme (le fait de favoriser les siens et des proches) et le fait qu'il imposa sa recension coranique (compte-rendu critique d'une œuvre, ou édition critique d'un texte au cours de laquelle on étudie les éditions précédentes en discutant leurs variantes) souleva contre lui les lecteurs du Coran. C'est l'opposition chiite qui fut la plus virulente à son égard : pour le chiisme, le califat d'Othman n'est qu'une succession d'actes arbitraires : il fit interner à Rabadha, près de Médine, Abu Dharr (l'un des plus proches compagnons du prophète) à la demande de Muawiya, et sa gestion des biens publics a aussi été mise en cause (on lui reprocha d'avoir prélevé sur le trésor public des sommes considérables pour les distribuer à ses quatre gendres).

Les troubles qui conduisirent à son assassinat commencèrent à Koufa en 32-33 de l'hégire. Les manifestants obtinrent la déposition du gouverneur. L'Egypte entre également en Rébellion. Le calife accepte une entrevue avec les chefs des Insurgés égyptiens, et accède à toutes leurs demandes. Mais à El-'Arîch, sur le chemin du retour vers l'Egypte, les Insurgés interceptèrent un messager d'Othman portant une lettre demandant de liquider les chefs de l'Insurrection. Othman affirma que c'était un faux, mais les Insurgés assiégèrent la maison du calife à Médine. Ali garda une neutralité malveillante. Aïcha s'éclipsa sous prétexte d'un pèlerinage urgent à La Mecque. Dans les derniers jours de juin 656, des hommes pénétrèrent dans la maison du calife, dirigés par l'un des fils d'Abu Bakr, Mohammed ben Abî Bakr, qui assassina le calife, tandis que sa femme fut blessée. Son corps fut enterré avec la plus grande discrétion. Ce meurtre allait ouvrir, dans l'islam, un des schismes les plus redoutables de son histoire.
Quand celui-ci fut assassiné par des opposants qui portèrent au pouvoir Ali (coalition hétéroclite qui comprenait tous ceux qui à un titre ou à un autre étaient mécontents du califat précédent), cousin et gendre de Mohammed, tous ceux qui étaient liés à Othman crièrent vengeance, notamment l'Omeyyade Muawiya, qui était alors gouverneur de Syrie.
Le règne d'Ali (656-661) commença dans la confusion et se termina dans la confusion. À la suite de quelques combats, Ali fut écarté du pouvoir en Syrie par un arbitrage, et Muawiya fut proclamé calife par les Syriens en 661. La bataille qui se mit en place fut une double protestation contre un déni de justice. Pour les partisans de l'ancien calife, le meurtre d'Othman est un meurtre, et les assassins doivent être poursuivis. Pour les partisans d'Ali, le califat d'Ali est quelque chose qui lui revient de droit (en tant que gendre et cousin du prophète). C'est lui qui était en droit de se plaindre, puisqu'il a été longtemps lésé du califat.
La bataille du chameau est une des batailles entre les premiers musulmans, opposant le clan des Quraychites majoritaires à La Mecque aux fidèles d'Ali. Elle a lieu en décembre 656, près de Bassora. À l'issue de cette bataille, Ali est vivant et les deux chefs de l'insurrection morts. Mais personne n'est vraiment vainqueur : le côté légendaire du récit de cette bataille laisse entendre qu'Allah a soutenu Aïcha qui en sort confortée dans ses prétentions et son soutien à la famille Omeyyade.
Muawiya exigeait qu'on lui livre les meurtriers d'Othman en vertu du Coran 17.35 qui défend de tuer qui que ce soit, sauf à un juste motif, et dans le cas où quelqu'un est tué injustement, accorde le droit de vengeance à son plus proche parent. Ali répondit que Othman ayant été tué par le Peuple indigné de ses actes arbitraires, les assassins ne devaient pas être soumis à la loi du talion œil pour œil, dent pour dent). A Siffîn, après des semaines d'escarmouches en juin/juillet 657, Muawiya fit hisser des feuillets du Coran sur les lances de ses troupes, invitant ainsi à résoudre la question en consultant le Coran. On eut alors recours à la procédure de l'arbitrage pour résoudre le différend. Les arbitres devaient examiner si ce dont on avait accusé Othman était ou non des actes arbitraires en opposition avec la Loi divine.
Le verdict de Dûmat al Djandal fut qu'Othman n'avait pas commis de prévarication (manquement d'un responsable aux devoirs induits par sa fonction). Mais il ne fut pas promulgué officiellement. Il donnait raison à Muawiya. Ali protesta; proclamant que la sentence était contraire au Coran et à la Sunna et qu'il ne s'y soumettrait donc pas.
Des réactions face à ce conflit datent les grands clivages de l'islam. Les mu'tazilites se firent l'avocat de la neutralité et de l'abstentionnisme que tant de docteurs sunnites prônèrent par la suite comme la seule attitude possible en cas de guerre civile (fitna). Les chiites, eux, représentent l'aile modérée des partisans d'Ali. Les kharidjites (du verbe arabe kharadja, sortir) avaient suivi Ali dans son combat contre les partisans du précédent calife, Othman. Mais ils lui en avaient voulu d'avoir accepté un arbitrage avec ses ennemis au lieu de les combattre et de les écraser et s'étaient retournés contre lui. C'étaient des partisans extrêmes d'Ali, puis des opposants farouches. Ali avait dû les combattre sur les bords du Tigre, au nord de l'Irak.

Le 24 janvier 661, le calife Ali est assassiné par ces musulmans dissidents de la secte des kharidjites devant la mosquée de Koufa, en Mésopotamie. Avec le gendre du prophète disparaît le dernier des quatre califes dits orthodoxes, après Abu Bakr, Omar et Othman.
Pendant ce temps, son rival, le gouverneur de Damas, Muawiya, en avait profité pour soumettre l'Égypte, l'Irak et la péninsule arabe, soit la plus grande partie de l'empire musulman. A la mort d'Ali, Muawiya se voit confirmé comme nouveau calife. Ainsi, dans les vingt années qui ont suivi la mort de Mohammed, pas moins de cinq califes se sont succédé à la tête des musulmans dont trois ont été assassinés. Le quatrième, Ali, a suscité la scission des kharidjites, aujourd'hui marginale, et celle des chiites.
Ali ayant été assassiné par les Kharidjites, ses anciens partisans, plus rien ne s'opposa ensuite au règne des califes omeyyades.
Le cinquième calife, Muawiya, gouverne en se faisant assister par la shoûrâ, un conseil qui réunit les sheikhs ou princes arabes. Muawiya a eu le loisir, comme gouverneur de la Syrie, d'apprécier l'administration byzantine. Il abandonne donc les villes saintes de Médine et La Mecque, trop éloignées des riches régions conquises par les musulmans, et établit la capitale de l'empire arabe à Damas, capitale de la Syrie. A la différence des quatre premiers califes, peu sensibles au luxe des grandes villes hellénistiques, les Omeyyades profitent pleinement des richesses qui affluent de toutes les provinces conquises par les cavaliers musulmans : tributs des vaincus et lourdes taxes payées par les chrétiens au titre de la « protection » (dhimmi en arabe) que leur assurent les musulmans.

Vers 670 Muawiya Ier envisagea l'idée de désigner son fils Yazîd comme son successeur et fit avaliser sa décision par le conseil. Il institue de ce fait la dynastie héréditaire des Omeyyades, du nom de son aïeul Omeyya, lié à la famille du prophète. C'en est fini du principe électif qui avait présidé à la nomination des califes (cela vaut d'ailleurs aux Omeyyades de se voir contester, par certains historiens traditionalistes, la qualité de califes pour n'être considérés que comme des rois – malik en arabe).
C'est en 668 qu'il ordonna aux habitants de Damas de prêter serment de fidélité à Yazid. Seules quatre personnes se refusèrent à prêter ce serment, dont Al-Hussein, fils d'Ali.
Cependant, à partir des années 680, une série de troubles internes faillirent mettre fin à cette dynastie, mais elle réussit toujours à reprendre le dessus. Muawiya obtient du fils aîné d'Ali et de Fatima, la fille du prophète, qu'il renonce à ses droits, Al-Hassan s'exécute. Mais son frère cadet Al-Hussein persiste quant à lui à rejeter l'autorité de Muawiya.
Après la mort de son père et son accession au pouvoir, Yazid voulut forcer les quatre récalcitrants à lui prêter serment d'allégeance et de les faire tuer s'ils refusaient. Après avoir essuyé plusieurs refus Yazid envoie un détachement armé à La Mecque où résidaient ces quatre personnes. L'un d'eux Abd Allah ben az-Zubayr organisa une troupe de bédouins qui firent prisonnier l'envoyé de Yazid et le tuèrent. À la suite, Abd Allah se fit proclamer souverain de La Mecque. Hussein refusa de prêter serment à Abd Allah (680) sans doute à cause de sa participation aux côtés d'Aïcha dans le combat contre Ali lors de la Bataille du chameau.
En 680, à la mort de Muawiya, les notables de la ville chiite de Koufa, en Mésopotamie, voulurent mettre sur le trône Al-Hussein, second fils d'Ali. Ils furent écrasés à Karbala par une armée omeyyade. Les opposants à Yazid résidant à Koufa invitèrent Hussein à venir les rejoindre. Yazid envoya un de ses lieutenants pour réprimer la population de Koufa. Hussein qui ignorait cette répression partit de La Mecque vers Koufa. Sur le chemin, Hussein et sa famille firent halte à Karbala. Le lendemain ce fut la bataille de Karbala et la mort d'Hussein. Ils rencontrent l'armée du gouverneur omeyyade, ibn-Ziad. Ce dernier ne fait pas de quartier. Il attaque sans scrupule la troupe d'Al-Hussein, quoique celui-ci soit par sa mère Fatima le petit-fils du prophète.
Al-Hussein est tué. La mort du fils d'Ali (et petit-fils de Mohammed !) consomme la rupture entre musulmans sunnites et chiites. Les premiers se réfèrent à la sunna (mot arabe qui désigne la tradition musulmane), les seconds se définissent comme les partisans d'Ali, gendre du prophète, d'où leur nom, qui signifie partisan en arabe. Il n'est pas étonnant que cet événement soit le thème central et le point de départ du chiisme, ce mouvement qui cristallisera la Révolte contre le pouvoir au nom des idéaux coraniques. Au delà de la querelle dynastique dont il est à l'origine et de sa dimension ethnique, le chiisme portera toujours en son cœur cet idéal inaccessible de vertu et de justice. Toute son histoire sera une suite de variations sur le thème de l'idéal confronté aux vicissitudes du pouvoir.
Quand Yazid Ier, le deuxième calife omeyyade, pris le pouvoir en 680, un grand nombre de musulmans furent insatisfaits de son gouvernement, mais surtout ils refusaient cette succession héréditaire de mauvais musulmans et gouverneurs. Les adversaires du régime l'accusaient d'impiété pour diverses raisons, notamment les faits qu'il ait usurpé la place et versé le sang de la famille du prophète, qu'il ait été trop indifférent à l'Islam et à ses règles, notamment en négligeant de convertir les populations conquises. Il est vrai que les Omeyyades ont longtemps préféré faire payer aux non-musulmans des impôts (capitation et impôt foncier) plutôt que de les convertir. Soucieux de préserver leurs revenus, les califes se gardent d'encourager les conversions à l'islam ! Ils se montrent ouverts à l'égard de leurs sujets chrétiens et juifs. Cependant les successeurs d'Abd al-Malik choisirent une solution plus souple : on encouragea les conversions, et pour les convertis, la capitation (le jizya est levé sur les non-musulmans – dhimmis vivants en terre d'Islam, c'est-à-dire les « protégés » ou soumis, comprenant les juifs, les chrétiens, les zoroastriens, considérés par l'Islam comme les « Gens du livre » et qui étaient largement majoritaires dans les territoires nouvellement conquis par l'Islam ; cet impôt était relativement faible par rapport à l'impôt légal imposé aux musulmans seulement – au lieu du service militaire ; la pratique des premiers musulmans indiquent clairement qu'il s'agit d'une cotisation pour la protection des minorités, remboursable lorsque la protection ne pouvait être assurée) fut remplacée par l'aumône légale du croyant ; mais l'impôt foncier fut maintenu sur leurs terres (sous prétexte que celles-ci n'étaient pas converties).

En 683, le notable Quraychite Abd Allah, Souleva en Arabie les deux villes saintes de La Mecque et Médine, et étendit son pouvoir jusqu'à Bassora, en Irak. De plus, divers groupes kharidjites suscitaient des désordres en Arabie méridionale, en Iran central et en Haute-Mésopotamie, notamment par le biais de Soulèvements des Berbères contre la domination arabe.
En 685 une première Révolte fut acceptée par les Azraqites qui, après s'être séparé des Ibâdites restés dans la région de Bassora, allèrent dans le Fars iranien. Ils furent poursuivis par les armées du calife omeyyade Abd al-Malik sous les ordres de l'émir al-Hajjaj. Leur nouveau chef fut tué et les Azraqites disparurent (699).
Dès les débuts de la conquête musulmane du Maghreb, les Kharidjites avaient des représentants qui essayaient de se rallier les populations berbères. Les Berbères habitués à un système Communautaire et supportant mal la domination arabe, trouvaient dans le kharidjisme un cadre idéologique à leur Révolte, car, en effet, pour le kharidjisme, tous les humains sont Egaux (surtout devant Allah, donc il ne peut y avoir de calife et encore moins de malik/roi).
Une des tendances, l'ibadisme s'est beaucoup développée et existe encore actuellement en plusieurs variantes régionales. Fondée par Abd Allah ben Ibâd, elle garde un caractère d'intransigeance politique et de rigorisme moral. Toutefois, les Ibadites se montrent beaucoup plus souples dans les relations avec les autres musulmans. Par exemple il leur est interdit de les attaquer par surprise sans les avoir invités à se rallier. L'ibadisme est contre toute forme de violence, même s'il faut pour cela accepter un peu d'injustice.
Du point de vue politique, en Islam, selon les Ibadites, le pouvoir est Communautaire et exclut tout hégémonisme, et notamment celui qui consiste à dire que le pouvoir doit appartenir à la lignée du prophète. Le pouvoir en Islam est le rassemblement de toute l'Oumma (la nation musulmane). Les musulmans désignent ceux capables de les diriger, sans distinctions d'ethnie, de couleur, de rite ou de lignée. En Islam, c'est la Démocratie qui permet l'émergence. Les Ibadites, dans leur rapport avec le pouvoir, respectent l'ordre et l'obéissance, même si le pouvoir est injuste, à condition qu'il n'ordonne pas la non-croyance, ni l'interdiction de prier pas plus que l'obligation de boire du vin, car dans ces conditions, ils n'obéiraient pas. S'il est injuste d'une autre manière, les Ibadites se limitent aux conseils et à la prévention, sans faire de Révolution sanglante si celle-ci doit conduire au chaos ou à une guerre civile. Cependant, dans l'ibadisme, il y a eu deux Révolutions
« Blanches » sans effusion de sang, pour changer le régime. La première à Tripoli, pour destituer le gouverneur représentant les Abbassides. La seconde, la désignation légale et Pacifique d'Abdou Rahman Ibn Rostom, fondateur de la dynastie des Rustumides en Algérie, durant laquelle les différents courants de pensée ont cohabités en Paix.
Bassora et sa région connaissaient des troubles suscités par les kharidjites eux-mêmes en proie à des divisions internes. Koufa et le reste de l'Irak connaissaient aussi une situation perturbée.
En 685, Al-Mukhtar ibn Abî `Ubayd voulut venger la mort d'Hussein. Les nouveaux convertis à l'islam considérés comme des musulmans de seconde zone s'allièrent à ce mouvement, notamment des esclaves et des ouvriers agricoles arabes. Marwân (684-685) envoya une armée sous le commandement d'Ubayd Allah ben Ziyâd pour combattre Al-Mukhtar. Abd al-Malik (685-705) renouvela les ordres donnés par son père, mais l'armée resta un an bloquée en apprenant qu'Al-Mukhtar avait réussi à prendre le pouvoir dans tout l'Irak.
Heureusement pour les Omeyyades, les divers groupes Insurgés n'avaient aucune union entre eux. Abd Allah fut vaincu par le calife Abd al-Malik, tandis qu'Al-Mukhtar était écrasé en dehors de Koufa en avril 687 par les troupes omeyyades du frère d'Abd Allah, qui gouvernait Bassora.
Pour autant, en 695 éclatait une autre Révolte kharidjite. La tradition sunnite se plaît à souligner, comme un nouvel exemple de la fureur sanguinaire des kharidjites, la sauvagerie avec laquelle furent massacrés, dans la mosquée de Koufa, les musulmans. Toutes ces agitations kharidjites eurent pour conséquence d'affaiblir le califat omeyyade et de préparer le succès de ses adversaires abbassides. Considérés comme des Kharidjites modérés, les Ibadites (Ibadiyyun) n'en furent pas moins pourchassés par les califes Omeyyades puis par les Abbassides. Certains se réfugièrent au Maghreb où, loin de toute autorité centrale contraignante, ils purent fonder leurs propres royaumes (dont les cités-états du Mzab algérien sont une lointaine survivance). D'autres Ibadites se replièrent quant à eux dans les montagnes de l'Oman (le Djabal Akhdar), au Sud-est de la péninsule arabique. Leur histoire ancienne demeure en partie obscure, toujours est-il qu'ils parvinrent assez rapidement à constituer de solides états dans l'arrière-pays, depuis leur capitale de Nizwa (vers 750). Ils purent alors faire venir leurs coreligionnaires encore installés à Bassora en Irak, là où le mouvement avait été autrefois fondé.

L'avènement des Abbassides, descendants d'Abou al-Abbas, oncle du prophète Mohammed, fut l'aboutissement d'un complot rassemblant, au nom de la famille du prophète, de nombreux opposants à la dynastie des Omeyyades. Cependant, c'est Abou Mouslim, le chef d'une armée de nouveaux convertis de la région orientale de l'Iran nommée Khorasan, hostiles à l'aristocratie arabe, qui porta Abu al-Abbas as-Saffah au pouvoir. La décisive victoire du Grand Zab (nom d'un affluent du Tigre) en 750, suivie du massacre des Omeyyades, laissa aux Abbassides un empire immense, qui allait de l'Atlantique, à l'ouest, à l'Indus, à l'est.
Malgré les Révoltes que suscitèrent les anciens alliés favorables à des descendants d'Ali, frustrés de la victoire, l'empire abbasside connut très tôt son apogée. Les nouveaux califes, parmi lesquels se distinguent Haroun al-Rachid (786-809), le fastueux calife des Mille et Une Nuits, et surtout al-Mamoun (813-833), le promoteur des études scientifiques, autour de la maison de la Sagesse à Bagdad, se voulaient les chefs des croyants mais ils gouvernèrent en despotes. Ils s'appuyèrent sur l'armée khorasanienne et sur la caste des secrétaires persans, dirigée par le vizir et les docteurs de la Loi (fuqaha).

La vie économique était brillante. Le Moyen-Orient, au carrefour de trois continents, jouait pleinement son rôle de zone transitaire entre l'Extrême-Orient chinois et indien d'une part, les mondes byzantin et franc de l'autre. De nombreuses routes caravanières et fluviales ou maritimes sillonnaient l'empire et convergeaient vers Bagdad, apportant les soieries de Chine, les épices et le bois de l'Inde, les fourrures et les esclaves de l'Asie du Nord, les esclaves encore d'Afrique orientale et du monde slave (d'où le nom). Ces échanges, souvent aux mains de non-musulmans, reposaient sur un système bancaire très élaboré. L'artisanat, stimulé par la consommation des grandes villes, fournissait à son tour des produits pour l'exportation (tissus, papier).
Si le changement de califat avait apporté l'égalité ethnique, l'essor économique favorisa la constitution d'une nouvelle classe dirigeante qui supplanta la noblesse arabe devenue inutile par l'arrêt des conquêtes. Un fossé séparait du Peuple cette classe formée de propriétaires fonciers, de marchands, de secrétaires, de lettrés, de chefs militaires, et les mécontentements sociaux s'exprimèrent souvent par des oppositions religieuses : chiisme, zoroastrisme.
Le souverain et la cour vivaient loin du Peuple, dans le luxe et selon un cérémonial inspiré de l'étiquette sassanide. Aux côtés du calife, véritable monarque absolu, le vizir assurait la direction de l'administration. Celle-ci était devenue de plus en plus complexe : les directions administratives se multiplièrent, et un grand nombre de secrétaires, souvent d'origine iranienne, s'y affairaient. Ces derniers furent largement à l'origine de l'essor des lettres et des sciences, qu'encourageaient les grands califes Haroun al-Rachid et al-Mamoun. Pourtant, les campagnes étaient méprisées et dominées foncièrement et fiscalement par les villes, qu'animaient le commerce et l'artisanat.

Ainsi, le régime fut très tôt affaibli par des crises de succession (810-813; 861-870), par la grande Révolte de Babek, qui secoua tout l'ouest de l'Iran de 816 à 839, et par la volonté d'autonomie des provinces. En 813, une série de défaites (à Bassora et aux portes de Bagdad) des armées de Bagdad, de nouvelles mutineries dans la troupe, et une Révolte de la population de Bagdad ont obligé Al-Amîn à se replier dans les palais. Le 1er septembre 813, le palais fut pris d'assaut par les troupes de Al-Ma'mûn. Al-Amîn fut décapité, sa tête, le sceptre et le manteau du prophète ainsi que l'anneau du califat furent envoyés à Al-Ma'mûn.

Al-Mansûr pensait que le pouvoir des Abbassides ne devait pas être contesté. En cumulant les fonctions religieuses et royales, il reproduisait le schéma du pouvoir omeyyade s'aliénant ainsi les chiites qui avaient pourtant été les instruments de la prise de pouvoir par Abu al-Abbas et réclamaient le califat pour leurs imams.
En 755, Abû Muslim, qui avait été le fer de lance des abbassides pour leur prise de pouvoir, fut assassiné par Al-Mansûr. Les habitants du Khorasan en particulier ressentirent cet assassinat comme la négation de leur rôle dans le renversement des Omeyyades. Ceci provoqua de nombreuses Révoltes et en retour une répression de plus en plus dure. À Bagdad, une armée sous les ordres d'Ibrâhîm ben Al-Mahdî, fils du calife Al-Mahdî, s'empara de Koufa, une autre s'empara de Madayn aux portes de Bagdad. Dans le même temps un groupe de kharidjites mène une Révolte dans le Sawâd. Ibrâhîm voulut attaquer ces nouveaux adversaires, mais ses généraux sympathisaient avec eux et la troupe réclamait sa solde. Après avoir payé ses soldats sur les trésors de Bagdad, il s'est dirigé vers Wâsit qu'il a prise. La Révolte Kharidjite fut contenue.
Témoin des pressions que subissait son Peuple, Babak rejoignit le mouvement de la Khurramiya, incorporant les idées universelles de Liberté, d'Indépendance et d'Egalité. La Khurramiya (Révolte religieuse) était dirigée par le persan Babak, fils d'un marchand d'huile, au nom du mazdéisme et du mazdakisme. Il mit ainsi en pratique le partage des terres et le morcellement des grandes propriétés musulmanes, et enseigna une doctrine qui permettait le meurtre et le Libertinage. Ce mouvement était interethnique et était un mouvement de Contestation et de revendication pour la Liberté contre le pouvoir des califes. La présence de musulmans, à tendance chiite, dans ce mouvement confirme cette assertion.
Le calife Al-Mu'tasim désigna un général d'origine perse, nommé Afchîn, pour aller combattre contre Babak. Afchîn eut un premier succès contre une armée de Babak et il envoya les têtes de cent officiers ennemis au calife. Babak eut alors l'idée de demander le soutien de l'empereur de Byzance. Celui-ci entra en campagne en Cilicie et repris la ville de Tarse. Al-Mu'tasim fit alors appel aux villes de Mossoul, de Samarra, de Bagdad et de tout l'Irak, Il réunit une armée de cent mille hommes pour reprendre le territoire de Tarse. Malgré les risques, Afchîn remonta les défilés et parvint à mettre le siège devant la forteresse de Babak. Après de nombreuses escarmouches et tentatives d'assaut la forteresse tenait toujours. Babak finit cependant par demander à parler avec Afchîn. Lui laissant son fils comme otage il demanda à rester dans la forteresse jusqu'à ce que la grâce du calife lui soit accordée par une lettre scellée. Babak profita de la nuit pour s'enfuir avec quelques hommes. La grâce du calife arriva dix jours plus tard.
Dans sa fuite Babak a été trahi par un de ses anciens partisans. On alla chercher Babak et on l'amena au palais monté sur un éléphant, afin que le Peuple pût le voir. Le calife lui fit ensuite couper les mains et les pieds par des chirurgiens, ouvrir le ventre et couper la gorge. Le corps mutilé fut pendu au gibet, dans Samarra, et la tête, après avoir été promenée dans toutes les villes de l'Irak, envoyée dans le Khorasan, où `Abd Allah ben Tâhir la fit exposer également dans toutes les villes ; elle fut ensuite plantée sur un poteau, à Nichapour. Le frère de Babak, fut envoyé à Bagdad, où le gouverneur, le fit exécuter de la même manière. Cette période de 816 à 839, pendant laquelle Babak mena la Révolte, fut très importante pour la conservation de la langue et de la culture perse

869 / 883 : Rébellion des Zandj, mouvement communiste antireligieux écrasé en Arabie.
Avec le déclin de la puissance abbasside, à partir de la seconde moitié du IXè siècle, se multiplièrent les Révoltes politico-religieuses (celle des Zanj, des chiites et des qarmates), tandis que les régions périphériques échappaient progressivement au contrôle de Bagdad.
La Rébellion des Zandj est une Révolte d'esclaves noirs contre le pouvoir des Abbassides entre 869 et 883 dans le sud de l'Irak, dans la région de Bassora. Les contingents très importants de main-d'œuvre servile ont contribué à la stagnation économique et sociale du monde musulman. Ils ont causé aussi de nombreux troubles. C'est ainsi qu'à la fin du IXè siècle, la terrible Révolte des Zandj (ou Zenj, d'un mot arabe qui désigne les esclaves noirs, Zangi-bar – d'où Zanzibar – signifiant depuis l'Antiquité la « Côte des Noirs »), dans les marais du sud de l'Irak, a entraîné l'empire de Bagdad sur la voie de la ruine et de la décadence.

Beaucoup de propriétaires de la région avaient acheté des centaines d'esclaves noirs originaires de l'Est de l'Afrique, le Zandj (où on les avait capturés, achetés ou obtenus des états soumis, à titre de tribut), pour travailler à l'irrigation de leurs terres, en espérant que leur ignorance de la langue arabe les rendrait particulièrement dociles.
En Mésopotamie, furent déportés une masse considérable de captifs noirs, ceci dans le vaste cadre d'un trafic qui allait prospérer pendant plus d'un millénaire, du VIIème au XXème siècle. Ils étaient affectés à la construction de villes comme Bagdad et Basra. Arrivés en terres arabo-musulmanes, les captifs africains allaient se Révolter.
Les Zandj considérés comme des sous-humains par les Arabes, avaient la réputation, une fois réduits en esclavage, de se satisfaire assez rapidement de leur sort, donc particulièrement destinés au servage. Ainsi, l'essor de la traite transsaharienne et orientale fut aussi inséparable de celui du racisme. Les Arabes employaient le mot Zandj dans une nuance péjorative et méprisante : « Affamé, disaient-ils, le Zandj vole ; rassasié, le Zandj viole ». Dans ce pays les Noirs étaient affectés aux tâches les plus rebutantes. Parqués sur leur lieu de travail dans des conditions misérables, ils percevaient pour toute nourriture quelques poignées de semoule et des dattes. Les Africains laisseront éclater leur haine avec l'objectif de détruire Bagdad (Cité de la Paix en arabe), la cité symbole de tous les vices. Armés de simples gourdins ou de houes et formés en petites bandes, ils se Soulevèrent dès l'an 689. Cette première Insurrection se produisit au cours du gouvernement de Khâlid ibn Abdallah, successeur de Mus'ab ibn al-Zubayr. Cette Insurrection, de faible ampleur, menée par de petites bandes se livrant au pillage, est réprimé aisément par l'armée du gouvernement de Khalid ibn'Abdallah. Les prisonniers sont décapités et leurs cadavres pendus au gibet.

Ceci ne les dissuadera pas de fomenter une seconde Révolte mieux organisée. L'Histoire rappelle souvent que les conditions les plus brutales d'asservissements ne sont pas les plus propices à la Révolte. Particulièrement dans le cas d'esclaves, déracinés de leur terre, de leur culture, sans perspectives de fuite vers leur pays d'origine. Les Révoltes importantes ne se nourrissent pas que de désespoir, elles ont besoin de perspectives. Cette Insurrection eut lieu cinq ans plus tard, en 694. Elle fut plus importante que la première, et surtout mieux préparée. Les Zandj avaient un chef, un certain Rabâh (ou Riyâh ?), surnommé « Shîr Zandjî » (« le Lion des Zandj »), qui les travailla par une certaine propagande.
Cette fois, les Zandj furent rejoints par d'autres Noirs déserteurs des armées du calife, des esclaves gardiens de troupeaux venus du Sind en Inde et aussi d'autres originaires de l'intérieur du continent africain. Les Insurgés infligèrent dans un premier temps, une lourde défaite à l'armée du calife venue de Bagdad, avant d'être battus. Les armées arabes furent néanmoins obligées de s'y prendre à deux fois pour les écraser.

Quant à la troisième Révolte des Zandj, elle est la plus connue et la plus importante. Elle secoua très fortement le bas Irak et le Khûzistân, causant des dégâts matériels énormes et des dizaines (certaines sources parlent de centaines) de milliers de morts.
En septembre 869, sous les ordres d'un chef charismatique, Ali Ibn Mohammed surnommé « Sâhib al-Zandj » qui veut dire le « Maître des Zandj », prétendant descendre d'Ali, le quatrième calife, et de Fatima, la fille de Mohammed, plusieurs centaines d'esclaves se Soulevèrent contre le gouvernement central, basé à Samarra. L'homme était d'origines assez obscures, mais avait visiblement pu approcher les classes dirigeantes de son époque. Il était également un poète talentueux, instruit, versé dans les sciences occultes et socialement engagé dans des actions d'aide auprès des enfants. Il leur apprenait à lire et à se familiariser avec des matières comme la grammaire et l'astronomie. Ali Ibn Mohammed n'était pas zandj, mais allié providentiel des Africains. C'était un chef arabe qui réclamait l´Egalité de tous les humains, sans distinction de couleur. Cet ancien esclave blanc avait longtemps Fraternisé avec des asservis de toutes origines. Le discours d'Ali Ibn Mohammed, soulignant leur condition injuste et leur promettant la Liberté et la fortune, était renforcé par son adhésion à la secte des kharidijiques : il réclamait la suppression des barrières de classe, fondant un état communiste. Les conditions de vie abominables des esclaves les décidèrent à prendre parti pour la Révolte, que d'autres suivirent au nom d'un islam plus pur (une grande partie de l´armée, envoyée contre lui, ayant embrassée sa cause). Cette Rébellion sort donc du commun des Révoltes serviles. Elle a un chef instruit, un projet politique, un horizon social qui combine la Liberté, sous la bannière de l'Egalité.
Ali Ibn Mohammed avait déjà fomenté plusieurs Soulèvements dans d'autres régions du pays, avant de réussir, à la tête des Zandj, la plus grande Insurrection d'esclaves de l'histoire du monde musulman.
C'est donc sous son commandement, que les Zandj se Soulevèrent à nouveau lors de ce que la mémoire arabe retient comme étant la terrible guerre des Zandj.
On distingue nettement deux périodes dans cette Insurrection. La première (869-879) est la période de l'expansion et de la réussite pour les Insurgés, le pouvoir central n'étant pas en mesure, pour des raisons intérieures et extérieures, de les combattre efficacement.
A la tête d'une petite troupe, Ali avait investi un château. Là se trouvait des esclaves, il les emmena et dans les marais trouva encore une centaine d'autres esclaves. Les Révoltés s'organisent, se procurent des armes, et se fortifient dans des camps installés dans des endroits inaccessibles, d'où ils lancent des raids. Après un grand nombre d'embuscades et de batailles qui tournent à leur avantage (car les esclaves Libérés augmentent sans cesse l'armée des Insurgés), ils s'emparent temporairement des principales villes du bas Irak et du Khûzistân (al-Ubulla, Abbâdân, Basra, Wâsit, Djubba, Ahwâz etc.). Les troupes abbassides réoccupent sans mal ces villes que les Zandj ont prises, pillées et quittées. Mais elles sont incapables d'étouffer la Révolte, ou d'infliger une défaite décisive à un ennemi présent partout et nulle part. Une forte armée partie de Bagdad sous le commandement du général Abu Mansur, fut taillée en pièces par les Africains. Ces derniers vont également battre et mettre en fuite les quatre mille hommes de l'armée commandée par le général turc Abu Hilal. Un millier de ses soldats sera massacré tandis que de nombreux prisonniers ramenés par les Zandj seront à leur tour, mis à mort. Et comme le pouvoir de Bagdad eut d'autres problèmes plus urgents à résoudre, la question des Zandj pendant plusieurs années passa au second plan.
Les Insurgés s'emparèrent de 24 navires de haute mer qui remontaient vers Bassora. Cette Révolte avait fini par être populaire. Les Zandj réussirent à gagner la sympathie de nombreux paysans Libres et même de pèlerins de passage. Le Soulèvement prit rapidement de l'ampleur, les Bédouins et des mercenaires se joignant à la Révolte, et les Rebelles remportèrent des batailles contre les forces du calife. Ils bâtirent également une ville, Al-Mukhtarah, siège de leur commandement militaire et administratif, et prirent plusieurs autres villes importantes, notamment Al-Ubullah, port sur le Golfe Persique. Après s'être affranchis, ils organisèrent un embryon d'état avec une administration et des tribunaux. Dans cette nouvelle entité Autonome, ils appliquaient la loi du talion aux Arabes vaincus et aux soldats turcs, qui étaient réduits en esclavage et objet de trafic. Solidement installés, ils frappèrent leur propre monnaie, organisaient leur état tout en essayant de nouer des relations diplomatiques avec d'autres mouvements contemporains comme ceux des Qarmates de Hamdan Qarmat.
En fait la période était favorable à l'expansion et à la réussite pour les Insurgés. Bagdad la capitale était livrée à un indescriptible désordre, après le meurtre du calife Al-Mutawaki. Les officiers turcs de la garde prétorienne avaient imposé à sa suite, entre 870 et 874, quatre califes sans réel pouvoir et entièrement à leur merci. Dans de nombreuses provinces, les populations pauvres et souvent affamées défiaient épisodiquement l'autorité des gouverneurs. Quant aux régions situées sur les hauts plateaux du Kurdistan, sur les fars, au sud de l'Iran et le Sind au bord du golfe d'Oman, elles s'étaient tout simplement déclarées indépendantes du califat et dirigées par la dynastie de Ya qab al-Saffas (863 – 902). Il faut dire aussi que la zone des marais du bas-Irak, appelée le Khûzistân, était presque impénétrable. Ses nombreux canaux en interdisaient l'accès à de gros bâtiments capables de transporter des troupes. Cette région offrait également des refuges aux Révoltés, qui pouvaient apparaître aussi facilement qu'ils décrochaient devant un adversaire dérouté.

Les Zandj tiendront pendant près de 14 ans, avant d'être écrasés en 883, par une coalition de troupes envoyées par les califes locaux. Le nouveau calife Al-Mu'tamid confia à son frère, Al-Muwaffaq, une nouvelle armée qui fut défaite en avril 872.
Entre 872 et 879, alors qu'Al-Muwaffaq combattait l'expansion de la dynastie au pouvoir en Iran, les Rebelles prirent d'autres villes et s'établirent dans le Khuzestân.
La seconde période (879-883) n'est qu'une lente agonie avant l'écrasement final. À cette époque, les Zandj devinrent le principal souci du califat de Bagdad qui agit méthodiquement, nettoyant tout sur son passage, laissant les Zandj s'enfermer dans la région des canaux, où ils subirent un siège en règle. Une seconde offensive organisée en 879 aboutit à la reprise des villes conquises et en 883, grâce au renfort de troupes égyptiennes, Al-Muwaffaq écrasa cette Révolte. Malgré une Résistance acharnée pendant plus de deux ans de siège, l'ardeur des combattants africains devait progressivement retomber.
Ali Ibn Mohammed qui s'était proclamé Mahdi, descendant du prophète, avait fini par mettre en place des structures très hiérarchisées et particulièrement inégalitaires (principe de la trahison communiste, de ceux qui savent, et que les autres suivent les ordres). Rompant avec les principes qu'il affichait au départ de leur aventure, Ali Ibn Mohammed faisait des Noirs les principales victimes reléguées au bas de l'échelle sociale. Malgré ses intentions Egalitaires affichées au début de l'Insurrection, Ali fera que dans son organisation sociale, les richesses et les titres soient réservés à ses seuls compagnons blancs. Ceci explique que les Zandj finirent par ne plus savoir pourquoi (et finalement pour qui) ils se battaient. C'est l'exemple même de la trahison des idéaux, même chez les meilleurs, avec les plus bonnes intentions au départ : dès que le pouvoir est là et concentré, il fait tourner les têtes et corrompt les âmes les plus pures !
En face, les troupes adverses accueillaient les déserteurs à bras ouverts, avec honneur, en les comblant de cadeaux à la vue des assiégés. Et pour saper encore plus le moral des combattants, ils poussaient vers leurs défenses des embarcations remplies de têtes de leurs compagnons tués.
Finalement, Ali Ibn Mohammed fut tué et Al-Muwaffaq écrasa cette révolte et retourna à Bagdad avec la tête d'Ali.
Bien que la plupart des Résistants africains préféreront la mort les armes à la main plutôt que la reddition, ses plus proches compagnons et officiers seront faits prisonniers et transférés à Bagdad où ils seront décapités deux ans plus tard, alors que certains membres de sa famille finiront leurs jours en prison. Cependant, Al-Muffawaq frère du calife Al-Mutamid qui avait si longtemps combattu les Zandj, décida de gracier beaucoup d'entre eux qu'il incorporera dans les armées du calife, rendant ainsi hommage à la bravoure et à la combativité des Africains. Le résultat de ce conflit meurtrier fut la disparition des chantiers qui avaient vu le martyre des esclaves noirs, avec l'abandon des entreprises de dessalage des terres du marais. Et après cela il n'y eut presque plus jamais de culture de la canne à sucre dans cette région. En fait l'esclavage productif des Africains dans ce pays fut au demeurant un désastre. Par la suite, les esclaves noirs furent souvent remplacés par des esclaves slaves grâce au commerce des Radhanites.
Quant aux différentes Révoltes des Zandj, elles auront sonné le glas d'une manière générale, à l'exploitation massive de la main-d'œuvre noire dans le monde arabe. Ces Révoltes restent également dans la mémoire arabe, comme les évènements majeurs ayant sérieusement ébranlé les fondements mêmes de ce qui restait de l'empire de Mésopotamie et marqué le début de son déclin, bien avant le coup de grâce, qui sera porté par les envahisseurs mongols au XIIIème siècle. Si ce mouvement très particulier tient une place absolument à part, parmi les très nombreuses Insurrections dans l'histoire du Moyen Âge musulman, c'est parce qu'il a mis fin à l'unique essai dans le monde musulman, de transformation de l'esclavage familial en esclavage colonial.

899 : Révolution Arabe et formation de l´état communiste des Qarmates à al-Hasa.
Aux VIIIè et IXè siècles, de nombreuses Révoltes ont donc lieu en Iran et en Mésopotamie, se réclamant de l'héritage mazdakite et donc d'un Egalitarisme radical. Des Révoltes contre la misère causée par les impôts trop élevés ont également lieu en Arménie. Esclaves et parias de toutes sortes se Soulèvent aussi contre la misère dans les campagnes, c'est le mouvement des Zotts (Tsiganes) de Basse-Mésopotamie.
Le Xè siècle va fondre ces mouvements désordonnés, hétérogènes, en un vaste mouvement homogène : le Qarmatisme, qui se confondra à ses débuts avec le mouvement fâtimide, s'étendra de l'Iran et du Golfe persique, jusqu'à l'Égypte et à l'Afrique du nord, avec des ramifications jusqu'en Espagne. Tout le monde musulman s'en trouvera secoué. La prédication longtemps clandestine des Ismaéliens put se faire au grand jour dès lors que le califat abbasside perdit tout moyen de la réprimer. Des missionnaires (duat) syriens et irakiens jusqu'alors plutôt actifs dans les quartiers pauvres des grandes villes réussirent à obtenir la conversion de plusieurs tribus bédouines qui se mirent à leur service. Ainsi débuta le mouvement des Qarmates (vers 875).
Le fondateur de la dynastie fâtimide, Ubayd Allah al-Mahdi, était un imam chiite des Ismaéliens venu de Syrie qui se prétendait descendant du prophète Mahomet par sa fille Fâtima az-Zahrâ', et son gendre `Alî ibn Abî Tâlib, le quatrième calife renversé par les Omeyyades. Son surnom signifie « celui qui est guidé par dieu ». Ubayd Allâh al-Mahdî qui s'était installé au début à Kairouan, parvint à se rallier de nombreux partisans chez les Berbères et à étendre son autorité sur une grande partie du Maghreb, du Maroc à la Libye. Suffisamment puissant pour contester l'autorité du calife de Bagdad, il choisit une autre capitale en fondant la ville de Mahdiyya sur une presqu'île du Sahel tunisien il se proclama lui-même calife en 909. Ceci devait d'ailleurs encourager l'émir de Cordoue à faire de même en 929, établissant un califat omeyyade en Espagne.
À la différence des autres autorités musulmanes, les Fâtimides acceptèrent quiconque dans leur administration, non sur des critères d'appartenance tribale, ethnique ou même religieuse, mais principalement sur le mérite et la compétence. Les membres des autres obédiences de l'Islam étaient admis aux plus hautes fonctions, et cette Tolérance était même étendue aux Juifs et aux Chrétiens qui en étaient capables.
Toutefois, à la différence des Qarmates, ils semblent avoir assez rapidement abandonné leur discours Egalitaire pour une classique politique de puissance.

Mais c'est aussi une période où l'immense empire est secoué par une série incessante de Soulèvements, seules ses cinquante premières années ayant été relativement stables.
Sous les Abbâssides, les grands bénéficiaires de l'essor économique et social sont la classe des marchands et les milieux de la cour. Les marchands profitent de l'essor commercial dû au développement de grandes métropoles, de l'afflux d'or, de l'augmentation du crédit et de la hausse des prix. Les palatins ponctionnent les richesses par l'impôt et par leurs liens avec les banques. Mais alors que les villes voient se déployer des fastes inouïs, les masses populaires s'appauvrissent et les salaires sont loin de suivre la hausse des prix. Les écarts de revenus étaient considérables. Si on considère qu'au IXè siècle une somme de 360 dinars par an suffisait à faire vivre une famille, un soldat en touchait 500, un dignitaire religieux quelques milliers (avec lesquels il devait aussi payer son personnel) et un vizir plusieurs centaines de milliers. Mais au delà de cette inégalité, nombreux étaient ceux qui n'arrivaient pas à accéder au strict minimum (« Les simples ouvriers ou employés en tout cas étaient loin de toucher toujours pareilles sommes »).
Le sunnisme entame avec la période du califat abbasside la période de son organisation définitive. Dès le IXè siècle, on déclare « closes les portes de l'ijtihâd » (effort d'interprétation et d'élaboration de la loi) et on fait « de l'imitation fidèle (taqlîd) des anciens et des docteurs la base même de la foi ». Dès lors, le sunnisme tend à devenir une religion conservatrice alors que le chiisme dans sa version ismaélienne est une religion d'espoir et de Contestation, une idéologie apte à servir les intérêts des classes dominées.
Jusqu'au Xè siècle, les corporations d'artisans sont étroitement contrôlées par l'état, poursuivant le modèle instauré par l'empire byzantin (le ministerium, ou collegium). Mais peu à peu les corporations se détachent du pouvoir des gouverneurs et de leurs agents. Elles deviennent de véritables confréries disposant de leur propre organisation et tendant à s'opposer de plus en plus au pouvoir. Ces confréries ont des rites d'initiation, des serments secrets, des chefs élus (que l'on nomme « maîtres »), des conseils composés de ces chefs et une doctrine, aussi bien mystique que sociale.
Pour comprendre l'émergence du mouvement qarmate, il faut également le situer sur le plan religieux, ici étroitement entremêlé au plan social. Les Qarmates sont des chiites d'obédience ismaélienne. Les ismaéliens, parfois considérés comme des extrémistes (gholât) ont une lecture non littérale du Coran et considèrent que celui-ci a un sens caché qui ne peut être approché que par de longues études sous la tutelle d'un maître. Comme les autres chiites, ils croient également à l'existence d'un imâm caché (mahdi) La venue de celui-ci doit annoncer la fin des temps et l'avènement du royaume de dieu sur terre.
Dès 875, une propagande messianique annonçant la venue prochaine du mahdi se répand dans les milieux ruraux et bédouins. Le trait dominant de la propagande colportée par les missionnaires est la revendication de l'Egalité sociale (encore qu'on en exclut les esclaves) et d'une vie Fraternelle, avec communauté des biens. En 899, une crise doctrinale éclate chez les ismaéliens : ainsi naquit dans le Sawâd le mouvement qarmate, dont le chef sera Hamdân Qarmat Ibn al Ash'ath, secondé par son beau-frère Abdan. Hamdân Qarmat aurait été un laboureur vivant dans le Sawâd de Koufa (zone humide et irriguée de la Mésopotamie), Révolté contre les injustices sociales de l'empire abbasside, converti à l'ismaélisme en 874 par le dai (missionnaire) Hussain al-Ahwazi. À la mort de ce dernier, il reprend sa mission avec pour assistants son beau-frère Abdan bin al-Rabit, qui rédigera leurs premiers textes, et Zikrawayh bin Muhrawayh. Il prêche avec un succès certain dans la région de Koufa. Entre 886 et 894, il envoie Abû sa`yid al-Jannabi (???-913) en mission vers le Yemen et Bahreïn, futur siège de l'état qarmate.
Des ouvriers, des pâtres et des esclaves se Révoltent dans de nombreuses régions de l´Empire Arabe pour instaurer un régime communiste et mettent la doctrine de l'imâm caché au service d'une Révolution sociale. Ils s´emparent des idées de Qarmat qui avait fondé, en 890, en Mésopotamie, une communauté politique et religieuse, les Qarmates. Partie des régions pauvres du Golfe Persique, la Révolution triomphe dans l´Arabie Orientale et gagne de grandes parties de la Syrie, de la Mésopotamie et de l´Inde Septentrionale. Elle permet, en 899, aux Qarmates de fonder un état Autonome à al-Hasa, sur le Golfe Persique. Rassemblant les tendances Protestataires de ces IXè Xè siècles qui correspondent à un moment d'extrême développement commercial, industriel et urbain, regroupant en un mouvement d'ensemble les Grèves, les crises sociales et les Révoltes, le qarmatisme développe une doctrine originale, insistant sur la Liberté individuelle, le rejet de la loi formelle de l'Islam et l'affirmation du caractère relatif de tout système de relations humaines. Il se distingue aussi par son aspect moderne et novateur. Non seulement les idées qu'il défend sont contradictoires avec celles de la classe dirigeante mais elles se distinguent également d'une simple nostalgie d'un passé plus heureux. La conception de la religion des ismaéliens met en avant la dimension rationaliste de l'Islam. Par sa volonté, dieu s'est manifesté sous la forme de la Raison universelle véritable divinité des ismaéliens, dont l'attribut principal est la Science. Dès lors, l'âme s'efforce sans cesse d'acquérir la Science, afin de s'élever à la nature de la Raison. Sa transcription dans le champ politique par les Qarmates et la rencontre avec les Luttes des artisans ont donné lieu à la première idéologie socialiste.

Peu avant la mort de Qarmat, la Révolution est détournée par des dirigeants ambitieux (dont Al-Mahdi, qui fondera sa propre dynastie, les Fatimides, en Afrique du Nord) et des fanatiques religieux. Communiquant avec le centre du mouvement ismaélien uniquement par lettres, et du fait de la culture du secret entretenue par la crainte de la répression abbasside, c'est vers 890 seulement que Hamdân Qarmat a connaissance des prétentions d'al-Mahdi à l'imâmat (et à la création de la dynastie fâtimide), qu'il refuse d'accepter. Hamdân Qarmat disparait peu après lors d'un voyage vers Kalwadha près de Baghdad dont il ne revient pas. Son beau-frère Abdan est assassiné en 899 à l'instigation de Zikrawayh qui feint un temps la fidélité au premier des Fâtimides, avant de prendre contre lui la tête des troupes qarmates.

Abû Said al-Jannabi (???-913), né à Jannaba sur la côte de Fars (Iran), formé par Abdan, il est envoyé entre 886 et 894 au Yémen et dans la province de Bahreïn s'étendant le long de la côte occidentale du Golfe persique depuis Bassora jusqu'aux îles Awal (actuel Bahreïn), englobant le Koweït, Qatif et le Qatar. Soutenu par le clan de Rabi d'Abdul Qafs, il capture l'oasis de Qatif et arrive en 900 à Hajar (al-Hasa), siège du gouverneur abbasside. Après avoir repoussé les armées du calife, il prend enfin l'oasis en 903 et y installe son quartier général. Abû Said fonde alors un état (903-1077) aux prétentions Egalitaires – mais néanmoins esclavagiste – parfois qualifié de communiste, où il régna pendant une vingtaine d'années, assisté d'un conseil de direction composé de hauts fonctionnaires, état qui contrôla pendant un siècle la côte d'Oman. La communauté de Bahreïn se distinguait nettement par ses particularités. Au dualisme gnostique et à l'ésotérisme inspiré du néoplatonisme commun à tous les courants ismaéliens, ils joignent un programme social Révolutionnaire et Utopiste qui prône la redistribution des terres et la mise en commun des biens, répondant aux attentes de populations souffrant de l'inégalité économique qui s'est aggravée sous les Abbassides. Ils recueillent à cet égard aussi l'héritage du mazdakisme. Les influences persanes préislamiques ont pu comprendre une composante manichéiste. Abu Said est tué en 913 ; son fils Abul Kassim règne trois ans avant d'être assassiné par son jeune frère Abu Tâhir (907-944) en 916 lors d'une Révolte. Al-Hasa devient capitale de l'état qarmate en 926.
A la mort d'Abu Saïd en 913 et jusqu'au milieu du XIè siècle, l'Etat qarmate fut placé sous la direction d'un gouvernement collégial qui réunissait ses descendants ainsi que ceux de ses premiers partisans. La vitalité économique de cet état était assurée par les butins des campagnes militaires qarmates, par les droits de douane perçus sur tous les navires qui empruntaient les routes maritimes du golfe arabo-persique, ainsi que par les droits de protection payés par les caravanes du pèlerinage. L'excédent qui était dégagé de ces diverses opérations, ainsi que l'achat de plusieurs milliers d'esclaves noirs, permit l'épanouissement de cette société dont l'ordre et la justice suscitèrent l'admiration d'observateurs non-qarmates : les habitants, en effet, ne payaient ni impôts ni dîme, et toute personne qui s'était appauvrie ou endettée pouvait obtenir un prêt qu'elle pouvait rembourser lorsque sa situation s'était rétablie ; les prêts n'étaient jamais productifs d'intérêts, et toutes les transactions commerciales locales se faisaient au moyen d'une monnaie de plomb purement symbolique. La réparation des maisons était faite gratuitement par les esclaves des dirigeants, et des moulins étaient entretenus par le gouvernement pour moudre gratuitement le blé pour les habitants. Enfin, à partir de l'époque d'Abu Saïd, les prières, le jeûne et les autres pratiques musulmanes furent abolies, mais un marchand étranger fut autorisé à construire une mosquée à l'intention des visiteurs musulmans. Paradoxe à l'état pur, l'organisation sociale des Qarmates du Bahreïn était donc, pour résumer, une sorte de State esclavagiste, s'appuyant sur une économie parasitaire à l'extérieur et pratiquant à l'intérieur une forme de communisme, le tout sous les ordres d'une dynastie dont la doctrine religieuse avait pour conséquence la laïcisation de la société.

Les Qarmates n'ayant pas encore vu apparaître leur imam, ils semblent avoir été dans l'attente millénariste de la conjonction de Saturne et de Jupiter liée au cycle mazdéen, qui eut lieu le 27 octobre 928. Après une décennie de paix, Abu Tâhir va lancer des expéditions dévastatrices contre le Sud de l'Iraq et des attaques contre la caravane irakienne des pèlerins allant ou revenant de La Mecque. L'état qarmate du Bahreïn sera une menace constante pour le califat abbâsside et ses voies de communication vers le Sud. En 927, il menace même Baghdâd et parvient jusqu'en Djézireh, qu'il ravage. Deux ans plus tard, le 12 janvier 930, Abu Tâhir mène une expédition contre La Mecque ; il massacre les pèlerins, saccage la ville 17 jours durant, et emporte la Pierre Noire, arrachée à la Kaaba (qu'ils ne rendirent qu'en 951, brisée en sept morceaux : après la mort d'Abû Tâhir, les Qarmates du Bahreïn, après avoir rejeté des offres antérieures tant abbâssides que fâtimides, acceptèrent contre certains avantages et une importante somme versée par les Abbâssides de restituer la Pierre Noire à la Kaaba), afin de marquer de façon tangible la fin de l'ère musulmane et l'avènement de l'ère religieuse finale.
Peu après, les Qarmates reçurent leur mahdi en la personne d'un perse d'Ispahan, à qui Abu Tâhir aurait remis pour un temps le pouvoir. Il aurait proclamé l'abolition de la shariah (loi coranique) et ordonné de prier tourné vers le feu plutôt que vers La Mecque. De manière générale, ils semblent être allés loin dans l'abolition des rituels, comme le montre le peu de respect d'Abu Tâhir pour le hadj (« aller vers », pèlerinage : c'est pour les musulmans le pèlerinage aux lieux saints de la ville de La Mecque en Arabie saoudite). Les rites comme la prière du vendredi et les jeûnes n'étaient pas pratiqués à al-Hasa et toutes les mosquées avaient été fermées.
Le mouvement qarmate ne disparaîtra qu'au XIIè siècle. En tout état de cause, la doctrine qarmate reste assez largement méconnue, compte tenu du manque de sources et du caractère ésotérique de sa littérature (comme de toute la littérature issue de l'ismaélisme). Un fait est du moins certain : c'est l'intérêt porté par les auteurs de la secte aux classes artisanales et au monde du travail en général, à ses techniques et à son organisation. Ils exaltent la noblesse du métier manuel. La durée exceptionnelle de l'épisode qarmate montre qu'il n'était pas inéluctable que les classes dominantes l'emportent toujours. Il montre aussi que les aspirations Egalitaires et la volonté Révolutionnaire ne sauraient être considérées comme des produits de la Renaissance mais qu'ils sont constitutifs de l'Histoire des Peuples et présents dans toutes les civilisations.

Certains considèrent que des idées qarmates auraient indirectement influencé l'Occident, par exemple l'hérésie Cathare : le mouvement qarmate fait irrésistiblement songer aux mouvements millénaristes, communistes et Révolutionnaires qui sont apparus en Europe à la fin du Moyen-Age, et dont l'Anabaptisme est resté le plus célèbre (les adeptes refusent la soumission de la religion au prince : c'est à Zurich, dans l'entourage de Zwingli, que l'anabaptisme est né par rejet de l'église d'état et par envie d'Autonomie des sociétés. En effet, les anabaptistes veulent nommer eux-mêmes leur pasteur et se séparer institutionnellement du monde : le pasteur est élu Librement par la communauté et n'est pas investi du sacerdoce – fonction des augures, ces personnes qui étaient censées prédire l'avenir en interprétant notamment le vol des oiseaux, puis on est ensuite passé de ce sens à celui de fonction à caractère sacré ; on parle ainsi de sacerdoce d'un prêtre, ou encore de sacerdoce pontifical –, la séparation du monde est totale aussi bien religieusement que politiquement, un anabaptiste ne peut pas remplir de charge civile – droit de glaive –, il ne doit jamais prêter serment).
Depuis les croisades, le Haut-Languedoc était tourné vers l'Orient, et les comtes de Toulouse étaient comtes de Tripoli ; un commerce actif rapprochant par mer les trois croyances, chrétienne, juive, mahométane, il en résultait un syncrétisme de doctrines et de croyances ; enfin les mœurs et la foi équivoques des chrétiens en Terre Sainte, « corrompus » par le voisinage des « infidèles », avaient influé d'une manière notable sur les provinces du Midi. Pour d'autres, les grades d'initiations de ses confréries sont probablement à l'origine de la franc-maçonnerie occidentale. L'ismaélisme des Qarmates, influencé par le mazdakisme, se distingue par son messianisme, son millénarisme et le radicalisme de sa Contestation de l'inégalité sociale entre les humains Libres et de l'ordre religieux exotérique. On peut voir dans la propagande qarmate la source première du thème des trois imposteurs.

Cet ouvrage clandestin contre les religions officielles, qui jouit d'une grande popularité dans l'Europe du XVIIIè siècle, aurait parmi ses sources les plus anciennes des instructions concernant la propagande envoyée au début du Xè siècle à Abu Tâhir, lui expliquant comment réfuter Moïse, Jésus et Mahomet en montrant leurs contradictions.
Ce Traité des trois imposteurs ou Livre des trois imposteurs (Moïse, Jésus et Mahomet) est un ouvrage anonyme dénonçant la religion comme une tromperie ayant pour but le contrôle du Peuple et accusant les deux prophètes juif et musulman ainsi que le messie chrétien d'imposture délibérée. Il jouit d'une célébrité certaine dans l'Europe du XVIIIè siècle où plusieurs versions circulaient clandestinement, dont une rédigée en français, plus connue sous le nom de La Vie et l'esprit de M. Benoit Spinoza ou L'Esprit de Spinoza. Bien qu'une des versions porte la date de 1598 et que des rumeurs prétendent qu'un tel traité aurait existé dès le milieu du Moyen-Âge, le premier Traité des trois imposteurs pourrait n'être apparu qu'au XVIIè siècle. Il semble néanmoins certain qu'il repose sur des sources orales et écrites antérieures dont certaines sont très anciennes : Philon, Contra Celsum d'Origène, textes qarmates. La thèse des trois imposteurs, connue en Europe dès le XIIIè siècle, a été attribuée à diverses personnes suspectées d'athéisme ou accusées de blasphème ou d'hérésie. Parmi les noms proposés comme auteur de l'idée ou de l'ouvrage : Averroès, Frédéric II, Boccace, Pomponazzi, Machiavel, l'Arétin, Michel Servet, Jérôme Cardan, Giordano Bruno, Tommaso Campanella, Vanini, Hobbes, Spinoza, le baron d'Holbach, pour s'en tenir aux plus célèbres. Il a d'ailleurs été récemment démontré que ce Traité des trois imposteurs / Esprit de Spinoza était pour partie composé d'extraits traduits et juxtaposés provenant des Dialogues de Jules César Vanini, de l'Ethique et du Traité théologico-politique de Spinoza, du Léviathan de Hobbes, ainsi que d'autres ouvrages appartenant à la tradition intellectuelle du Libertinage érudit – tous ces fragments, qui sont bien sûr reproduits sans indication d'origine, formant un collage soigneux de textes allant dans le même sens. Beaucoup de spécialistes ont donc conclu à l'inexistence de ce livre, qui n'aurait été qu'une sorte de fantasme Collectif auquel le siècle des Libertins érudits, et lui seul, aurait prêté une réalité éditoriale. Notons que l'on trouve parmi les diatribes antireligieuses de Nietzsche ce passage qui est tout à fait dans l'esprit du Traité des trois imposteurs du XVIIIè siècle : « La “loi”, la “volonté de Dieu”, le “livre sacré”, l' “inspiration” – des mots qui ne désignent que les conditions qui permettent seules au prêtre d'arriver au pouvoir et de s'y maintenir –, ces idées se trouvent à la base de toutes les organisations sacerdotales, de tous les gouvernements ecclésiastiques et philosophico-ecclésiastiques. Ce “saint mensonge”, commun à Confucius, au livre de Manou, à Mahomet et à l'Eglise chrétienne, se retrouve chez Platon. “La vérité est là” : cela signifie partout où l'on entend ces mots, le prêtre ment… ».

Parmi ceux qui furent les premiers soupçonnés en Europe d'avoir tenu ces propos ou même de les avoir développés en un traité blasphématoire à l'égard des religions juive, chrétienne et musulmane, figure l'empereur du saint empire romain germanique et roi de Sicile Frédéric II Hohenstauffen (ou son secrétaire Pierre des Vignes). En 1239, il fut accusé par Grégoire IX (qui l'appela même l'Antéchrist ; il fut excommunié deux fois) d'en avoir exprimé l'idée blasphématoire en déclarant que Moïse, Jésus et Mahomet était les plus grands imposteurs de l'humanité. Par ses contemporains, il avait été surnommé stupor mundi (l'émerveillement du monde), au point qu'on attendait même son retour après sa mort (son personnage était alors confondu avec celui de son grand-père Frédéric Barberousse). En effet, il avait reçu une éducation multiculturelle et parlait neuf langues : le latin, le grec, le sicilien, l'arabe, le normand, l'allemand, l'hébreu, le yiddish et le slave. Il accueillait des savants du monde entier à sa cour et portait un grand intérêt aux sciences et aux arts. Athée notoire, fasciné par la culture arabe, l'empereur accueillait beaucoup de philosophes arabes à sa cour, qui était un centre actif de la Liberté de pensée, de la science rationnelle, de l'indifférence religieuse et de l'hostilité à la papauté (il arriva même à un partage équitable, avec son ami le sultan al-Kamel, de Jérusalem pour les trois religions du livre). Or le comparatisme religieux du Traité, qui condamne d'un même mouvement les religions juive, chrétienne et musulmane ainsi que l'esprit de libre examen hérité du rationalisme antique fait penser que le livre a une origine arabo-musulmane. Ainsi, l'ouvrage à l'époque de l'empereur fut attribué à Averroès, dont la philosophie rationaliste était faussement considérée comme athée. Si le XIIIè siècle a pu étudier sous le même rapport les trois monothéismes (et le mensonge qui leur est consubstantiel), c'est parce que l'apparition de l'islam en tant que dernière religion révélée imposait l'analyse comparée de ses dogmes et de ceux du christianisme et du judaïsme. Le mélange des trois monothéismes en Andalousie, du VIIIè au XIIIè siècle, est aussi une autre cause de cette facilité avec laquelle la comparaison des religions s'offre à l'esprit des musulmans. Aux yeux de l'Occident médiéval, c'est ce comparatisme, combiné sans doute avec l'esprit de libre examen des opinions hérité du rationalisme antique, qui a fait passer la philosophie arabe pour une philosophie athée. De là naquit en particulier la légende d'un Averroès incrédule, à qui l'on attribua le mot suivant, fort proche du thème du De tribus impostoribus : « Il y a trois religions […] dont l'une est impossible, c'est le christianisme ; une autre est une religion d'enfants, c'est le judaïsme ; la troisième est une religion de porcs, c'est l'islamisme ». En fait, comme l'affirme Renan, « chacun glosait à sa manière et faisait penser à Averroès ce qu'il n'osait dire en son propre nom ».
Le Traité est un exposé systématique d'irréligion, d'inspiration déiste. Il fait d'abord l'étiologie (école philosophique de l'Antiquité qui s'intéressait à l'étude des causes) de la religion, énumérant tous les motifs qui poussent les humains à s'écarter de la « droite raison » et dénonçant « ceux à qui il importait que le Peuple fut contenu et arrêté par de semblables rêveries ». Ensuite, il s'attaque aux trois supposés prophètes et aux textes sacrés. La Bible est critiquée comme un tissu de fragments cousus ensemble en divers temps, ramassés par diverses personnes et publiés de l'aveu des rabbins, qui ont décidé, suivant leur fantaisie, de ce qui devait être approuvé ou rejeté, selon qu'ils l'ont trouvé conforme ou opposé à la loi de Moïse.
Pour autant, on peut faire remonter l'origine du Traité à des arguments de propagande religieuse employés par Abu Tahir Al-Djannabi (907-944), troisième souverain du royaume qarmate de Bahreïn. Il aurait dit : « En ce monde, trois individus ont corrompu les humain : un berger (Moïse), un médecin (Jésus), et un chamelier (Mahomet). Et ce chamelier a été le pire escamoteur, le pire prestidigitateur des trois ». C'est la donnée même de la légende des « Trois Imposteurs », fixée ainsi vers 1080 au plus tard (soit au moins cent cinquante ans avant son apparition dans la Chrétienté occidentale).
Ce traité comporte un épisode de la vie de Mahomet qu'on retrouve dans plusieurs ouvrages du XVIIè siècle. Voici cet épisode : afin d'abuser le Peuple, Mahomet avait demandé à l'un de ses compagnons de se dissimuler dans une fosse, d'où l'homme parlerait, invisible, afin de faire croire au Peuple que la voix de dieu s'exprimait en faveur de Mahomet. Mais un jour, ce dernier, « se voyant suivi d'une foule imbécile qui le croyait un homme divin », et craignant que son complice ne révèle l'imposture, accabla celui-ci de promesses et « lui jura qu'il ne voulait devenir grand que pour partager avec lui son pouvoir, auquel il avait tant contribué ». A force d'arguments et de cajoleries, il finit par le persuader de se cacher à nouveau dans la fosse aux oracles. « Trompé par les caresses de ce perfide, son associé alla dans la fosse contrefaire l'oracle à son ordinaire ; Mahomet passant alors à la tête d'une multitude infatuée, on entendit une voix qui disait : “Moi, je suis votre dieu, je déclare que j'ai établi Mahomet pour être le prophète de toutes les nations ; ce sera de lui que vous apprendrez ma véritable loi, que les Juifs et les Chrétiens ont altérée.” Il y avait longtemps que cet homme jouait ce rôle, mais enfin il fut payé par la plus grande et la plus noire ingratitude. En effet, Mahomet, entendant la voix qui le proclamait un homme divin, se tournant vers le Peuple, lui commanda, au nom de ce dieu qui le reconnaissait pour son prophète, de combler de pierres cette fosse, d'où était sorti en sa faveur un témoignage si authentique, en mémoire de la pierre que Jacob éleva pour marquer le lieu où dieu lui était apparu. Ainsi périt le misérable qui avait contribué à l'élévation de Mahomet ; ce fut sur cet amas de pierres que le dernier des plus célèbres imposteurs a établi sa loi ». L'origine de cette histoire, qui constitue l'essentiel du passage consacré à Mahomet dans le Livre des trois imposteurs, est bien entendu d'origine arabe.
On trouve en effet un récit analogue dans l'Histoire générale du grand historien arabe Ibn al Athir (1160-1233). Des extraits de ses Annales ont été reproduits, en appendice, par le baron de Slane dans sa traduction de l'Histoire des Berbères d'Ibn Khaldoun (1332-1406) ; ces extraits racontent que « lors du siège de Tinmal par le réformateur marocain Ibn Tumart (1078-1130), qui se proclama le « Mehdi » [mahdi] des Almohades vers 1121, plusieurs milliers d'habitants périrent. Comme les principaux habitants voulurent un raccommodement avec l'émir des musulmans, le Mehdi prit des mesures contre eux et en 1125 il eut recours aux services d'un de ses agents nommé Bashir al Wansharisi. Ibn Tumart montra un feint étonnement et demanda à Bashir ce qui lui était arrivé. Dans une scène qui remplit d'admiration les assistants, celui-ci répondit […] que dieu lui avait communiqué une lumière par laquelle il pouvait distinguer les hommes prédestinés au paradis d'avec les réprouvés, gens voués à l'enfer. Bashir prétendit même que dieu avait ordonné à Ibn Tumart de faire mourir les réprouvés et que pour prouver la vérité de ses paroles, il avait fait descendre plusieurs anges dans le puits. Après avoir entendu ces paroles, tout le monde s'y rendit. Ibn Tumart fit alors une prière et prononça ces mots : “Anges de Dieu ! Bashir al Wansharisi dit-il la vérité ?” Des individus qu'il avait fait secrètement cacher dans le puits répondirent oui. Ayant reçu ce témoignage, Ibn Tumart se tourna vers le Peuple et lui dit : “Ce puits est pur et saint, car les anges y sont descendus ; aussi ferions-nous bien de le combler pour empêcher qu'il soit souillé par des ordures”. Alors tous les assistants s'empressèrent d'y jeter des pierres : le puits fut comblé. C'est là, d'après Ibn al Athir, une des façons dont Ibn Tumart raffermit complètement son autorité et se débarrassa de 7000 individus qui lui avaient donné ombrage ».
D'après Ibn al-Athir, à son époque (c'est-à-dire entre la fin du XIIè siècle et le début du XIIIè siècle), il circulait au Maghreb plusieurs versions de la même histoire. Par le jeu du changement continuel propre à la mémoire des récits, il est fort probable que l'imposture d'Ibn Tumart racontée dans le monde arabe soit devenue en Europe l'imposture de Mahomet lui-même, sans qu'on sache à quel moment précis le change s'est produit.
La translation géographique et narrative de cette anecdote livre donc aujourd'hui la dernière preuve de l'origine arabe de la légende De tribus impostoribus.

Jamais, sans doute, une légende n'aura eu une telle force pratique dans l'Histoire. En effet, le blasphème des Trois Imposteurs procédait pour la première fois à l'attaque du judaïsme, du christianisme et de l'islam sur un même front, autorisant par conséquent le passage de la critique des formes particulières de la religion au combat contre son essence universelle. La place de ce traité mythique dans l'histoire de la philosophie n'est donc pas univoque : il est certes le produit d'esprits qui aspiraient à s'affranchir du pouvoir temporel et spirituel des religions, mais il a aussi contribué, en tant que tel, à produire cette aspiration (et l'énergie qui fut dépensée à le rechercher n'est pas le moindre signe de ce besoin impérieux de Liberté). Il a ainsi ouvert la voie de l'athéisme véritable : non pas celui, trop timoré, d'un Diderot ou d'un La Mettrie, mais celui de Jean Meslier (1664-1729), auteur d'un formidable Mémoire tout entier consacré à la démolition des cultes, ou celui du marquis de Sade (1740-1814), dont la fureur antireligieuse a couvert tant de pages. Cet athéisme là portait en lui bien plus qu'un refus métaphysique des dogmes religieux : il était une égale et furieuse réprobation de tout ce qui se présente comme une entrave à la Liberté native de l'humain, qu'il s'agisse d'une tyrannie d'ordre religieux, politique ou intellectuel. En un mot, cet athéisme portait en lui la Révolution. Toujours est-il que c'est bien la civilisation arabe qui a fourni à l'athéisme européen cette arme cruciale, la première qui fut employée dans une guerre de plusieurs siècles contre les illusions et les infamies de la religion. Et il est plus que jamais nécessaire de le rappeler aujourd'hui, en un moment où les suppôts des imposteurs se disputent la direction des foules sur les lieux mêmes de leurs premiers forfaits.


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