(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
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Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.
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CHAPITRE 14
LA NUIT DU VINGT AU VINGT-ET-UN JUILLET DIX-NEUF CENT SOIXANTE-NEUF ...
et l’exceptionnel sang-froid d’un homme qui réussit cette manœuvre d’alunissage au jugé, sachant qu’il ne lui restait plus que quelques secondes de propergol disponible dans le réservoir avant de se crasher lamentablement dans la poussière sélénite.
Tony estima la porte d’entrée dans les vibrations d’une idée de meurtre accompagnée d’une plage sonore dans les tons graves. Une musique sourde, composée par la cavalcade de Marie, pieds nus dans la cage d’escaliers ses talons aiguilles à la main, le gémissement rauque de sa robe légère dans l’air suffocant. Tony hésita quelques secondes, entre le petit Jules qui dormait à poings fermés sous l’écran de télévision acheté à crédit chez le marchand de la rue Émile Zola, et l’effet du retour plateau au terme de la séquence d’alunissage de l’Aigle américain dans un fondu au noir parfait.
« Engine arm is off... Houston. Tranquility Base here. The Eagle has landed ».
Finalement —dans une sorte de grand vide mental— Tony pris la résolution de se jeter à son tour dans une descente effrénée du module d’exploration familial avec l’intention de filer au train de sa petite salope de bonnetière jusqu’à sa destination présumée. Six heures et même un peu plus allaient alors s’écouler jusqu’à la première sortie officielle d’un l’astronaute américain sur la surface grise et inerte de la lune. Le temps qu’il faudrait au centre de contrôle à Huston pour checker à distance toutes les procédures de sortie de l’équipage et celles du retour du LEM vers son module de service resté en orbite 15 kilomètres au-dessus de la surface du satellite naturel de la terre. Le temps qu’il suffirait à Jules pour me livrer quelques affinités intellectuelles qu’il avait toujours nourries à propos des passions amoureuses et de l’intérêt qu’elles représentaient dans le grand équilibre des forces en présence. L’idéalisme comme on disait. L’idéalisme comme on dit encore aujourd’hui sous le travestissement d’idées creuses et administratives. C’est comme ça qu’on est venu à Schopenhauer je crois. Une opposition de principe avec Hegel et une franche attirance, l’un comme l’autre pour les poètes latins. Les satyres allusives d’Horace. Horace, l’éclectique, le contorsionniste. Ce commandant de légion, guerrier de la république reconverti dans l’écriture à plusieurs niveaux de lecture. Au fait, qui parle dans les Odes ? peut-être Auguste, Auguste lui-même, certainement. Auguste, et ça change tout.
C’est Jules, sourcils relevés, ses yeux bleus rentrés, qui se lança le premier.
« Ça vous ennuie si je mets du Bach pendant qu’on discute ?...
-Non, Bach, très bien.
-Les variations Goldberg ne vous incommodent pas ?
-Parfait.
-Le génie de l’homme », commença Jules, s’asseyant à nouveau sur une chaise Palissy Gilles Nouhaillac™ recouverte d’un très élégant velours rose pâle (mais à y réfléchir, peut-être était-ce également un tissu satiné bleu turquoise sur un fauteuil à médaillon réhabilité par le même tapissier très en vogue dans les dernières éditions du Figaro madame... Je dis ça à cause de l’angle dont je me souviens que faisait son bras lorsqu’il parlait, et qui reposait forcément sur quelque chose, comme la manchette capitonnée d’un accotoir. Ma mémoire est assez imprécise dans le cas d’un mobilier moderne combiné à partir des grands styles classiques). Bref ! Je le vis, plaçant subtilement ses mains l’une au-dessus de l’autre contre sa bouche dans une position de total relâchement. « Le génie de l’homme, comme l’affirme la théorie schopenhauerienne de l’évolution, consiste à nous masquer le véritable but de nos inclinations amoureuses en ce qu’elles instrumentent nos choix et nos combinaisons psychiques et sensorielles dans le seul dessein de mieux nous perpétuer dans l’existence. Un simple masque posé sur cet instinct sexuel dédié au programme de survie de l’espèce. Voilà la seule, l’unique vérité rigoureuse face à ce que nous croyons si souvent reconnaître de sublime, de consubstantiel et d’épuré dans l’acte d’amour parfait : le système de moralité individuelle idéal qui oriente l’être dans son besoin d’indéterminisme et de liberté. L’amour comme une belle et tragique aberration dont l’homme se rend lui-même esclave par sa propre volonté d’insoumission à la cause générale. Comprenez bien. De la sorte et convaincu de spéculer pour son seul intérêt, sa jouissance narcissique, l’égoïste en réalité —puisque qu’il faut bien d’une certaine manière nommer cet être-là, tout à fait individualiste—, tombe ainsi à genou sans le savoir devant le programme général le plus élémentaire, celui, primitif de la perpétration. Un parti commun, universel, ancré au plus profond des êtres depuis le commencement, et qui accouche en l’être moderne du plus subtil subterfuge romanesque, du plus raffiné des théâtres pour arriver à ses fins. Toute cause privée satisfait en réalité un intérêt qui la dépasse de beaucoup. C’est en tout cas l’esprit de la conclusion apportée par le philosophe allemand sur le sujet principal de la volonté. Où le vaniteux... —et pardonnez-moi cette légère digression— dont il faudrait aussi beaucoup parlé, ne se rend pas compte de l’état de subordination dans lequel il se trouve plongé, alors qu’il baigne justement dans l’illusion de son total libre-arbitre. Dans sa métaphysique de l’amour, Schopenhauer écrit : « Aucun thème ne peut égaler celui-là en intérêt, parce qu’il concerne le bonheur et le malheur de l’espèce, et par suite se rapporte à tous les autres […] »
- Quant à l’amour, je vous suis parfaitement, mais ça ne remet pas forcément en cause ce postulat dont nous parlions juste à l’instant, et qui visait d’abord à constater les nombreuses incongruités relevées dans l’expédition américaine sur la lune de juillet soixante-neuf.
-Non, pas d’emblée. Ou plutôt si justement, si l’on accepte ce génie qui nous occupe ici, cette disposition physiologique initiale... comme une tare naturelle propre à nous mystifier en toutes circonstances ».
Je n’en revenais pas. Je demandai alors à mon interlocuteur s’il acceptait de pousser un peu plus loin cet exercice d’élucubration intellectuelle à propos de la mission Apollo 11 et du corpus d’informations disponibles concernant l’ensemble des voyages lunaires effectués par la NASA au cours du début des années soixante-dix. Jules acquiesça, certainement à cause de son penchant pour toutes les discussions théoriques. « Par pur esprit de contradiction » rajouta le fils Chaumont.
« Croyeriez-vous donc ! » décochais-je alors dans une sorte de provocation calculée « comme seuls quelques fous tentent de nous en convaincre depuis ce Bill Kaysing et ses spéculations notoirement farfelues, que cette formidable aventure humaine pu être aussi une... escroquerie ?
-La plus grande escroquerie qu’il puisse s’imaginer, me répondit-il sans se défaire le moins du monde. Oui, l’arnaque des arnaques. Et si vous y teniez, je saurais vous en donner la preuve à l’instant même. »
-Soit ! » lui répondis-je, non sans une certaine grimace de jubilation. « Je suis vraiment curieux d’entendre ça ». Jules... (qui avouait encore il y a un instant en marmonnant : ne même plus réussir à se souvenir du nom exact de tous les protagonistes, de cette ballade historique aux confins possibles de notre monde en proie aux pires obsessions !!!...) « Et bien allons-y, poursuivis-je. Tiens, commençons alors par la séquence d’alunissage à proprement parlé ; la descente du LEM et la sortie de l’équipage sur la mer de la tranquillité... Vous voulez donc dire que tout ça n’a jamais eu lieu, que tout le monde a rêvé ? qu’environ un demi milliard de téléspectateurs à l’époque, auraient toutes été victimes d’une gigantesque hallucination collective ? » J’avais d’emblée saisi l’opportunité d’interroger Jules sur le point capital de ces six heures et vingt minutes de pause dans la retransmission en direct de la mission lunaire... envisageant que mon témoin privilégié se souviendrait peut-être de quelques détails, non pas de son propre souvenir, mais dans l’espoir que Tony lui-même, sa mère ou n’importe qui aurait pu le renseigner à posteriori sur les événements qui s’étaient déroulés cette fameuse nuit du 20 au 21 juillet 1969, entre le moment où le module d’exploration s’était posé et l’image historique de Neil Amstrong posant le pied pour la première fois sur le sol lunaire.
(À SUIVRE)