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Pavés

Publié le 14 septembre 2009 par Zoridae
Il sont quatre et leurs mouvements furtifs dans le renfoncement d'une entrée de boutique attirent mon attention. Ils se serrent les uns contre les autres, le regard dissimulé par des capuches ; je distingue seulement la bouche de l'un d'eux, hilare, le rougeoiement de la cigarette d'un autre. Ils se penchent avec des mines de comploteurs, leurs têtes se heurtent. Entre leurs mains, ils tiennent des brassées de livres. Ils les comptent et les manipulent sans tendresse. Où les ont-ils trouvé? Je me dis que ce sont peut-être leurs livres de cours mais ce n'est guère plausible, car les volumes ont la taille de romans plutôt que de manuels scolaires, des couvertures colorées qui se retirent et qui bientôt planent au-dessus de leurs têtes.
Au même moment, ils entreprennent d'ouvrir un livre, circonspects, presque méfiants ; celui qui souriait prend un air dégouté, et tandis qu'ils les saisissent, le reste des livres mal calé sous leurs bras tombe sans qu'aucun ne fasse mine de les ramasser. La poussière des travaux qui s'élève m'évoque des paroles bibliques, je pouffe puis je cesse de pouffer, honteuse.
Après une seconde, celui qui souriait éclate de rire et referme son roman, il se cogne contre les murs et se bat les cuisses, satisfait de rire. Un petit, dont les bourrelets ondulent sous le tee-shirt, rapproche une page de son visage jusqu'à la toucher du bout du nez. Entre ses mains l'ouvrage semble fragile, sa tranche plie et cède. Il fait très sombre de leur côté de la rue car les lampadaires tout neufs ne fonctionnent pas encore.
C'est alors que les choses dégénèrent. Le petit gros reçoit le roman de celui qui souriait sur le coin du menton. Aussitôt le désir de vengeance supplante la curiosité qui lui faisait cligner des yeux dans l'obscurité. Prenant appui sur une barrière des travaux, il bascule de l'autre côté, poursuivant l'autre péniblement. Son livre l'atteint à la nuque et il devient bientôt aussi hilare que son comparse. Et tandis que leur deux collègues, indifférents à la scène partagent une cigarette, surprenant les passants qui ne les découvrent qu'au dernier moment, immobiles, silencieux dans leur renfoncement, ils continuent à se jeter ces pavés sans révolution...

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