Magazine Nouvelles

Quelque chose en plus

Publié le 21 septembre 2009 par Zoridae
Quelque chose en plusJe me réjouis d'avoir changé de dentiste. Celle-ci m'a bien expliqué ce qu'elle allait faire et de telle façon qu'il m'a semblé le comprendre mieux qu'elle même. J'avais vu dans la salle d'attente qu'elle avait obtenu son diplôme de chirurgien-dentiste à New-York et j'ai tout de suite pensé qu'on leur apprenait à donner un sentiment de toute-puissance à leurs patients comme les auteurs de polars qui veillent à laisser deviner le dénouement à leurs lecteurs passionnés. Tenant comme un trésor les schémas qu'elle avait griffonnés sur du papier vélin, je me suis allongée et elle a prononcé une formule magique "ça ne fait pas mal". Au cas où j'ai quand même serré les fesses - mais moins fermement que chez mon dentiste précédent - et j'ai fermé les yeux afin d'éviter les débris de dents qu'une roulette à jet propulsait sur mon visage. J'avais une serviette en papier rose sous le menton pour essuyer ma bave et je me sentais parfaitement en confiance, choyée, et certaine que pour une fois les choses allaient être faites correctement lors du plus grand chantier lancé dans ma bouche.
Couvrant le son de la roulette, la dentiste et son assistante se sont alors mises à échanger des anecdotes d'une façon enjouée tout à fait charmante. Je me suis demandée si cela faisait partie du cursus américain de distraire le patient de l'action en cours, en tous cas c'était très réussi. Pendant que je suivais attentivement l'échange de sms de ma dentiste et de son collègue ce week-end je ne pensais plus à la photo sanguinolente entrevue juste avant et prise à l'intérieur de ma bouche. Au contraire, je me suis très vite persuadée qu'il y avait une idylle naissante entre ma dentiste et son collègue et que ma mission dans ce cabinet était, notamment, de mener l'enquête sur des sentiments que les principaux intéressés ignoraient peut-être encore. Ensuite, je pourrais décider, en mon âme et conscience, de les en informer ou de les laisser passer à côté d'un bonheur susceptible de faire des ravages (car je sais que ma dentiste est pourvue d'un mari et de plusieurs enfants)...
Les fautes de conditionnel de l'assistante ont eues aussi leur intérêt (les assistantes suivent-elles des formations à New-York ?) car je les ai perçues au moment où je me demandais combien allait me coûter la destruction puis la reconstruction de ma dent. Allons, il y a des choses plus graves que d'être ruinée, me suis-je reprise alors, de ma bouche en putréfaction émerge un langage plus châtié que de celle, rutilante de l'assistante en talons aiguilles, ceci n'est-il pas plus important que cela ? Mais je suis restée véritablement bouche bée lorsque ma dentiste a commencé à prier à haute voix : "j'aimerais tellement sauver cette dent ! L'espoir est mince, je ne sais pas s'il y a un espoir, mais je voudrais tellement y arriver." Là j'ai su que j'étais au bon endroit et une larme a dévalé ma joue. Jamais personne n'avait pris soin de moi de cette façon... J'aurais envie de dire qu'il y a eu du suspense mais j'attendais seulement de savoir de quelle façon elle allait m'annoncer la bonne nouvelle et elle l'a fait avec une grâce stupéfiante. Ma dentiste est tellement adorable ! Dire qu'avant de la connaître je mégotais pour savoir s'il fallait choisir une couronne en céramique ou en métal... Mais ce qui compte, n'était-ce pas le bien-être de ma dentiste ? Comment va-t-elle partir en vacances et payer ses employés de maison si tout le monde régit comme moi ?
Dans le métro, je ne me lassais pas d'explorer, du bout de la langue, le trou creusé par ma dentiste. Il me manque maintenant une dent juste au fond à gauche, je croyais que cela serait terrifiant, mais c'était juste bizarre, d'une bizarrerie sympathique. Ce faisant je pensais à ma dentiste et aux miracles en général. En face de moi, un homme s'est levé. Je croyais qu'il allait descendre du wagon mais il est venu s'asseoir en face de moi. Il clignait d'un œil sauvagement. Il m'a fallu quelques minutes pour comprendre ce qui arrivait, quand un troisième homme s'est assis près de moi, l'air lubrique. D'aucuns diraient que c'est la nouvelle position de ma langue, arc-boutée vers le fond de ma mâchoire qui me confère de l'attrait, je crois pour ma part que ma dentiste, en m'ôtant une dent m'a donné un petit quelque chose...

Illustration : Kelly Thomson


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazines