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Sylduria chapitre VIII

Publié le 24 septembre 2009 par Lilianof

Chapitre VIII
La rupture

Bien décidé à ne pas se laisser séduire, comme elle y parvenait si souvent, Waldemar donnait au ton de sa voix le plus d’autorité qu’il lui était donné d’en prendre.

« Lynda, qu’ai-je encore appris sur ton compte ? Non contente de molester ta sœur aînée, tu refuses d’étudier, tu manques de respect à ton précepteur, et pour comble d’insolence, tu profères contre lui des menaces. Quelles excuses vas-tu me trouver cette fois ?

– Je ne sais pas, moi. J’avais besoin de casser quelqu’un pour me défouler, répondit-elle avec un sourire effronté.

– C’est tout ce que tu trouves à dire ?

– Non je peux encore en ajouter. Eva m’énerve du matin jusqu’au soir, elle me traite comme une petite fille : « C’est à cette heure-ci que tu rentres ? Où est-ce que tu es allée traîner ? Et qu’est-ce que c’est que cette tenue ? »

– Elle a raison : Qu’est-ce que c’est que cette tenue ? On ne paraît pas à la cour de Syldurie vêtue comme une beatnik. Ce n’est pas convenable. Va te changer tout de suite. Non. Reste ici. Je veux entendre tes explications d’abord.

– Pour ma sœur, je te l’ai déjà dit : elle m’agace, elle m’énerve, elle m’horripile, elle m’exacerbe, C’est une petite grue, une sainte nitouche, une grenouille de bénitier, une dinde, une oie, une mijaurée, une cafteuse, une hypocrite, une grosse saucisse, une andouille, une cruche, une gourde. Et puis, ce ne sont pas trois gifles qui vont la tuer.

– Tu lui en as donné une bonne douzaine.

– Vingt sur vingt en arithmétique ! Même quand je la cogne, elle compte les coups. L’écolière modèle !

– Ça suffit ! Je vais perdre patience. Et pour ce qui concerne Wladimir ?

– Wladimir ! C’est un vieux croulant, un vieux fossile, un vieux schnock...

– Fais-moi grâce des titres de noblesse. Maître Wladimir est très mécontent de ton travail et de ta conduite. Il dit que tu es une fille perdue et que c’est le fruit de la mauvaise éducation que je t’ai donnée. Quelle humiliation pour ton vieux père !

– Si tu m’avais éduquée autrement je serais tout de même une fille perdue. Tu n’as pas à te sentir coupable.

– Est-il vrai que tu lui as manqué de respect ?

– Je l’ai juste un petit peu secoué. Cela ne peut lui être que bénéfique. Il ne bouge pas assez. Il s’encroûte.

– Est-il vrai que tu l’as agressé et que tu l’as menacé physiquement ?

– Oh ! Non ! Je ne l’ai pas menacé, encore moins agressé. Comprends-tu ? J’ai tellement envie de lui servir une tourlousine à ma façon que j’en rêve la nuit. Parfois même j’en rêve le jour et je parle en dormant. Alors, il m’a entendue parler au moment où je rêvais que je lui administrais la correction de sa vie. C’était une déculottée virtuelle. Il n’empêche que cela m’a bien amusée.

– Tes écarts de conduite n’amusent que toi. Tu mérites une sévère punition.

– Je ne recommencerai plus.

– Promesse d’ivrognesse. Tu me l’as déjà dit sept cent mille fois.

– Cette fois c’est promis.

– Je l’espère bien. Tu es allée trop loin dans ta rébellion.

– Je regrette.

– Cette fois-ci, je ne te céderai pas.

– Pardon père.

– Tu m’as poussé à bout.

– Je suis navrée.

– Tu nous presses tous comme des pamplemousses.

– Je suis confuse.

– Tu n’échapperas pas à la correction.

– Je me repens.

– Je vais te dresser.

– Père !

– Je vais te mater.

– Papa !

– Je vais te frotter les côtes.

– Mon petit papa !

– Je vais t’apprendre le respect.

– Mon petit papounet !

– Je vais te briser.

Lynda enroula ses bras autour du cou de son père, puis, plaça sa tête contre son épaule.

« Mon petit papa chéri ! »

« Petite rouée ! pensa Waldemar, elle va encore me faire fondre comme une livre de beurre. »

Puis, répondant à sa fille, s’efforçant de garder un ton autoritaire :

« Il n’y a pas de petit papa chéri qui tienne. Je suis très mécontent.

– Mon pauvre petit papa ! Je t’ai fait de la peine, une fois de plus et je le regrette sincèrement. J’irai présenter des excuses à Maître Wladimir, je t’en fais la promesse. Et puis j’irai demander pardon à Eva, et je lui demanderai de me rendre la douzaine de baffes que je lui ai collées. S’il te plaît papa, ne me punis pas cette fois-ci. Je sais que tu es un père juste et bon, que tu donnerais ton royaume et ta vie pour tes filles. Et moi je te rends mal ton amour : je réponds par la méchanceté. Ce n’est pas vraiment ma faute : c’est la vieille nature qui est en moi. Mon cœur n’est pas régénéré. Un jour, tu verras, je vais changer, et je deviendrai la gentille petite fille que tu voulais. »

Telle un petit enfant, Lynda s’était blottie contre son père son regard si souvent chargé de haine et de cruauté brillant maintenant d’une lueur de tendresse et de supplication.

« Cette fois encore, tu as vaincu ma colère. Je te pardonne.

– Ô merci, Père ! Je sauvais que tu le ferais. Tu me pardonnes toujours tout. Tu es vraiment un père adorable. Je t’aime papa, tu sais, je t’aime vraiment très fort.

Quand tu te frottes comme ça contre moi, c’est que tu as une faveur à me demander. Inutile de louvoyer. Dis- moi ce qui te ferait plaisir.

– Tu sais, dit-elle d’une voix tendre, tout en continuant de le caresser tendrement, je n’ai plus envie d’étudier. C’est pour cela que je me suis fâchée contre Maître Wladimir. Je ne serai jamais une helléniste. Pourquoi vouloir persévérer à pratiquer une discipline pour laquelle je n’ai reçu aucun don, alors que je pourrais mettre en valeur mon don naturel.

– Et qu’aimerais-tu faire ?

– Du cinéma, je veux devenir actrice. C’est le rêve de ma vie et je veux commencer maintenant. Je suis jeune, dans dix ans il sera trop tard. »

D’où lui était venu le désir de plonger dans la piscine du septième art ? C’est bien la première fois qu’elle en parlait. On dit que la jeunesse est souvent versatile. Ou bien avait-elle nourri ce choix dans son cœur et l’avait laissé mûrir jusqu’à maintenant. Ou peut-être encore imaginait-elle qu’un physique agréable était une garantie de réussite. Toujours est-il que le roi s’en trouvait aussi surpris que nous.

« Du cinéma ? Quelle étrange idée ! A-t-on déjà vu une princesse devenir actrice ?

– À Monaco, et aussi en France.

– C’est là que tu fais erreur, en France et à Monaco, ce sont des actrices qui sont devenues princesses. Mais si c’est ce que tu veux, je connais à Arklow un très bon professeur d’art dramatique.

– Oh ! Non ! Papa ! S’il te plaît ! Pas un nouveau Wladimir, j’ai eu ma dose. Ce que je veux c’est partir loin d’ici. Je veux aller à Paris, la ville lumière. Une carrière radieuse m’attend là-bas. Je le sais, je dois partir.

– À Paris ? Es-tu bien sûre ? La vie n’est pas si facile dans les grandes villes.

– La vie est difficile quand on n’a pas d’argent. Il m’en faudrait un petit peu... un peu... un grand peu… beaucoup, quoi…

– Eh bien je peux t’avancer dix mille couronnes. Tu me les rendras quand tu pourras. Cela te convient-il ?

– Non, Père, cela ne me convient pas.

– Comment ? »

Lynda avait brusquement cessé d’étreindre son père.

« Décidément, tu ne m’as pas comprise. C’est normal, tu ne me comprends jamais. Tu ne comprends jamais rien.

Je ne m’en vais pas visiter le musée du Louvre. Je m’en vais, je te quitte, je pars : P.A.R.S. Je ne remettrais plus jamais les sandales dans ce palais délabré. Tu m’entends ! J’en ai assez ! Assez de tes leçons de morale ! Assez de me faire belle le dimanche pour t’accompagner à la cathédrale ! Assez de cette monarchie poussiéreuse ! Assez des courbettes et des révérences, des « votre Altesse » par-ci et « votre Altesse » par-là ! Assez de l’extinction des feux à dix heures du soir. Moi je veux vivre ! Je veux aller danser autre chose que la valse et le menuet. Je veux aller dans les grands restaurants, je veux boire du champagne, et même du whisky. J’en suis saturé de tes bondieuseries ; tout ce que ta vielle foi chrétienne nous interdit, je veux m’en remplir jusqu’à satiété. Alors, je veux de l’argent pour vivre ma vie. Et de l’argent tu en as et tu ne sais pas quoi en faire.

– Arrête ! Arrête ! Tais-toi ! Tu me fais trop mal. Enfonce-moi une épée au travers du corps, cela me fera moins souffrir. »

Waldemar sentit ses jambes l’abandonner. Son cœur battait dans sa poitrine comme un marteau de forgeron. Il s’affaissa sur une chaise, resta prostré, tenant la tête dans ses mains, comme pour cacher son désespoir. Sa fille venait de l’assassiner de la façon la plus impitoyable et la plus sournoise. Tandis qu’une main le couvrait de caresses et que ses yeux lui manifestaient de l’amour, l’autre main serrait le couteau qu’elle lui plongea dans les entrailles.

Puis il redressa enfin son visage crispé par la douleur.

« Laisse-moi reprendre mes esprits. Bon, combien veux-tu ?

– J’ai fait un calcul, approximatif : sachant qu’un jour tu vas rejoindre « ta patrie céleste », comme tu le dis si bien, que ta chère fille Eva va recevoir le royaume en héritage et que moi, qui ne suis pas appelée à régner, – sauf s’il arrivait un malheur à ma grande sœur – je recevrais de grands biens en compensation, dont la valeur devrait s’estimer à environs deux milliards de couronnes syldures. Inutile d’attendre un hypothétique héritage : donne-les-moi maintenant.

– Tu n’es pas douée pour le grec, mais tu te rattrapes sur le calcul ! deux milliards ! Tu me tranches la gorge.

– Fermes et non négociables. »

Le cours de la couronne syldure n’est pas très élevé, mais tout de même ! Deux milliards ! Comme elle y allait !

« Deux milliards ! C’est donc le prix à payer pour te perdre ? As-tu bien réfléchi ? C’est là ton choix ?

– Oui Père.

– Viens, suis-moi. »

Tel un galérien entravé dans les chaînes, Waldemar, marchant à pas lents et le dos voûté, conduisit sa fille dans son bureau. Il sortit d’un tiroir un feuillet à en-tête de la couronne. Il écrivit quelques mots, puis le cacheta à la cire.

« Incroyable, pensait Lynda, il a signé ! Quel drôle de roi que ce roi-là. Mon père est vraiment un homme sans volonté. »

« Voilà ! lui dit le roi, présente-toi munie de ce document au trésorier royal. Il te remettra la somme que tu désires. »

Lynda lui arrache pratiquement des mains le précieux manuscrit.

« Enfin la liberté. »

Elle sortit de la pièce en courant.

« Pas un merci, pas un adieu, soupira le roi, cela pourrait érafler ton orgueil. »

Il resta longtemps seul, désemparé.

Copyright 2009 Lilianof


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