Ma première matinée dans une geôle, allait être très instructive, même plus que je ne l’avais pensé. Durant les deux jours que j’ai passés dans cet endroit, chaque fois que j’arrivais à un stade d’apprentissage, ou que j’assistais à une scène du genre à vous hérisser tous les poils, je pensais que j’avais atteint le summum, le fameux maximum de la montagne. Cependant, il y avait toujours du nouveau, et pour ne rien vous cacher, chaque geste même des plus normaux avait son pesant de significatif en pareil lieu…
Après avoir terminé la prière du fajr, nous avons regagné notre place en cellule, notre Imam et moi. Notre première remarque à tous les deux, fut l’odeur nauséabonde des toilettes ! C’était encore un tour que nous avaient joués nos sens, puisque lorsqu’on était dedans, on s’était accommodés, vite fait, des éléments qui nous entouraient, mais une fois éloignés de ce milieu, juste les quelques minutes qui nous ont servi de pause religieuse, nous avions repris une vie normale ! On devait encore, supporter quelques instants de souffrance olfactive, pour ne citer que cette référence, avant que nous entrions dans le jeu. Quelques minutes plus tard, je senti le vieux ronfler paisiblement sur mon épaule qui lui servait de coussin, et comme j’étais aussi exhaussé que lui, sinon plus, je fermai les yeux et m’abandonnai à un sommeil salvateur, me permettant de m’évader du lieu plus que d’autre chose. Il n’y avait que cela qui pouvait le faire. Le rêve !
Dans la geôle, il n’y pas de temps, et on ne peut pratiquement jamais savoir quel heure il est, sauf quand la garde est relevée. Et à 6h00 du matin, pendant que je commençais à peine à entamer un songe réparateur, les grilles ont entonné une mélodie stridente, telle une harpe mal accordée, accompagnées des voix de nos adorables gardiens, avec des paroles aussi belles que « Anod adak weld l’9… » ! Un réveil on ne peut mieux, dans un lieu où la violence verbale, les rapports de force et la virilité exacerbée sont une rigueur. Cela me rappelait un documentaire que j’avais regardé il y a quelques années, et qui démontrait comment les langues germaines étaient les meilleurs choix pour le dressage des molosses, car les mots étaient formés de peu de syllabes, une ou deux pas plus, mais aussi par les terminaisons sèches. Une phonétique de pointe, pour mater les toutous qui devaient savoir qui était le maître. Pour nous, les détenus, c’était la même chose. Les policiers, aussi frêles qu’ils pouvaient être, s’armaient de leur vocabulaire le plus ronce et leurs répliques étaient bizarrement toutes débitées sur le DO majeur, mais sans vibrato, ni mélodie, puisque les rimes étaient exclues.
J’aurais aimé lister les magnifiques phrases, toutes faites, que nous entendions, mais comme j’ai peur que l’on aille faire le lien entre cela et mes déboires avec le capitaine Hdidane, je préfère vous laisser improviser, munis de vos souvenirs et de vos connaissances du vocabulaire marocain avec une recommandation particulière pour une imagination débordante, toutes les insanités possibles à écouter dans pareils lieux, surtout si le parolier, avait la muse biaisée par un pouvoir absolu.
Une fois tous les fils de putes, que nous étions pour nos tuteurs improvisés, étaient réveillés et debout sur pieds, nous fûmes priés de nous aligner contre le mur pour l’appel. Ce dernier se faisait selon la date d’entrée, et celle de la sortie possible. Le premier tri, consistait à séparer les éléments qui devaient être déférés le matin même des autres. Ceux là, étaient répartis en fonction de « spécialité », les ivrognes d’un coté, les coups et blessures d’un autre, et plus loin les dealers, les voleurs et violeurs. Il y avait même un pyromane dans le coin, un gentil garçon qui avait mis le feu à tous son village, juste parce qu’il ne trouvait rien à faire, et que personne ne lui donnait plus de travail. Les bleus, comme moi, c’est-à-dire ceux qui devaient encore rester pour encore 24H, étaient laissés dans la cellule, et on leur distribuait du matériel sanitaire pour faire le ménage. Mais attention, là aussi, il faut savoir que c’est le rang que vous avez dans la hiérarchie locale qui fait de vous ce que vous êtes. Pour ne pas faire la « femme », et je m’excuse auprès de toutes les femmes pour cette allusion discriminatoire à mon sens, mais qui est hélas, très réelle dans un univers machiste comme la geôle, pour ne pas dire le Maroc en général ; il vous faut vraiment user de toute la testostérone que vous possédez ou de vos contacts et autres billets de banque, cigarettes et tout objet à valeur d’échange. L’humiliation et la soumission, ont un sens très profond en prison, et si vous ne savez pas gérer votre rang, vous placer parmi les plus forts, vous finirez par faire le sale travail.
Les gardiens distribuaient les ballets, les serpillières et les récipients d’eau au chef de chambre, et c’est ce dernier qui se chargeait de désigner les « femmes ». Commençait, alors, une véritable marrée de yeux doux, que tout le monde faisait au « chefchambré », pour rester fidèle à la dénomination, pour qu’il lui épargne la tare. Lui, avait l’obligation de corroborer son statu par une exécution rapide de la chose, et surtout l’occasion de se venger encore plus, de toute personne ayant osé froisser ses sentiments. Il tendit le matériel aux trois mastodontes qui lui avaient cherché la petite bête la veille, sans émotions et vida les lieux suivi de nous tous. Il faut que je vous dise, que tout le monde a baissé la tête, évidant de croiser le regard des élus, pour ne pas se voir imposer leur force, et hériter de leur fardeau. Personnellement, je ne risquais rien, puisque j’étais l’ami du chef, mais je pressai le pas, toutefois, pour augmenter mes chances de fuite. Les policiers, eux, se sentirent tout contents de voir les choses ainsi se passer, et eurent même le plaisir de rabaisser encore plus, les « femmes » en leur ordonnant de bien laver les toilettes et de faire briller le plancher.
On les regardait tous faire, et plus les remarques risibles des geôliers étaient acerbes, plus les trois mecs rougissaient de rage. De leur entrée musclée il ne restait plus que des chimères, vieux souvenir d’une suprématie qui leur semblait acquise. Maintenant ils faisaient plus pitié qu’autre chose, et pour moi, cela portait son lot d’émotions, car la leçon d’humilité était flagrante. Quelques minutes plus tard, quand le ménage fut fait, nous regagnâmes la cellule, tandis que des inspecteurs de police commençaient à investir les lieux pour emmener les détenus à déférer au tribunal. Ma surprise fût grande de voir Mou3awiya se faire héler, lui qui ne devait être présenté devant le procureur que Vendredi, comme moi, pour rejoindre le lot, avec sa petite armée de copains. Surpris, tout comme moi, au début, on lui fit comprendre que son père s’était arrangé pour lui faire quitter les lieux, et qu’il allait être libre dans pas longtemps.
En partant, Mou3awiya me fit les bises ainsi qu’à l’Imam, et me fit comprendre qu’il allait me rendre visite un de ces jours au bureau. Moi, je faisais mine de lui rendre les amabilités, mais en fait je ne pensais qu’à une chose, une remarque que peut être, j’étais le seul à faire. Dans le coin, les trois « femmes » nous regardaient avec un rictus aux allures peu rassurantes…