Ce qui m’a toujours paru le plus dangereux, c’est de ne pas avoir une vie normale. Peut être que pour vous aussi c’est le cas, je n’en sais rien, mais pour moi, ceci est une affaire qui a toujours eu la plus grande emprise sur mes réflexions les plus profondes. Mon père est mort à 33 ans, et j’ai toujours cru que moi aussi j’allais m’éteindre aussi jeune que lui, vu que je lui ressemble beaucoup, presque comme deux gouttes d’eau, à la seule différence, que lui était un beau gosse qui volait aux commandes de son avion, et moi juste un mec ordinaire qui ne sait pas faire grand-chose, à part couiner ses jérémiades , à l’heure ou tout homme sensé avoir de la foi et surtout de la force, saurait aller de l’avant et chercher le bout de lumière dans la noirceur du tunnel…
Je ne suis pas le vrai coupable de ma situation, et je ne me considère pas comme une victime, non plus. Cela ne me sied pas, d’abord parce que je suis trop orgueilleux et puis parce que j’ai toujours eu la conscience parfaite de mes gestes, même si je savais que c’étaient des erreurs fatales et donc, conduisant inexorablement à l’impasse !
Ceci est mon paradoxe, une double vie et un double discours qui me font tanguer, à tel point qu’aucune personne, jusque là, n’a pu comprendre qui j’étais, et pourquoi je l’étais. Je suis un être tellement sensible, que je peux m’émouvoir d’un américain qui se brosse les dents sans la musique qui va avec, et en même temps, un forçat de mes autres maux faisant de moi, une brute qui n’a pas de cœur ni de foi, un danger capable de souffler tout sur son passage.
Je suis un homme qui ne sait pas ce qu’il veut, ni ne sait ce qui il est, non parce qu’il n’a jamais rencontré son prisme, mais parce que ce dernier ne lui ressemble jamais deux fois de suite. Je suis un être tellement fatal à moi-même, que je n’ai jamais eu besoin que quelqu’un pense à me détruire, pour que ma vie se fasse, lugubre telles des ruines, ou inachevée comme ce chantier éternel.
Mon père écrivait très bien, et avait un réel don pour les rimes et la musique aussi. Il était un homme très élégant et toute chose lui ayant appartenu, ou de son oeuvre, semblait être un prolongement de son style, porter quelque signature unique…Lorsque très tôt, dans mon enfance, j’ai commencé à lires les lettres qu’il envoyait à ma mère depuis la 4ème BAFRA de LAAYOUNE, où était garé l’ensemble des forces royales air pour faire face à l’ennemi, des lettres que j’avais volées dans la boite de pandore de maman, j’ai appris à faire connaissance avec cet homme, qui parlait de moi dans des textes où il y avait un flux tangible et très délicat de sentiments, variant entre la tendresse que soulignaient les phrases parlant d’un Riad, et le torride de paroles adressées à une femme qui occupait la plus part des pensées de ce poète parti faire la guerre. Il y avait dans l’odeur de ces lettres, quelque chose qui m’enivrait, quelque chose qui me secouait trop fort, quelque chose qui avait un goût ni doux ni amer, un amalgame de saveurs…
Pour le garçonnet que j’étais, cela était une expérience très douloureuse, mais à la fois très bénéfique, car approcher la souffrance, profonde et singulière en si bas âge, était pour moi une forme d’éducation, celle que je ne pouvais avoir autrement qu’en faisant face à la réalité. Une réalité dont le sens est accru, si l’on mesure la perte, aux vestiges qui se dressent fièrement, résistant à l’épreuve du temps. J’ai très tôt compris que je devais grandir sans cet homme, qui s’il avait été là à mes cotés, j’aurais été un autre individu que celui que vous avez eu à connaître…
Un enfant a besoin d’un modèle à singer. Je dis singer et non pas imiter, car c’est le style qui fait l’homme, si j’ose citer Hassan II. Au passage, je ne manquerai jamais de dire, que j’ai à défaut de vivre ma vie d’orphelin et me catapulter par la motivation de la scission, essayé de répercuter cette image de père, sur tous les hommes qui ont marqué ma vie, le défunt roi étant le premier sujet à cet exercice que je n’aurais jamais dû pratiquer, puisque même une parfaite adaptation des images que j’avais de mon géniteur, aux esquisses paternelles que j’avais le long de ma croissance, dessinées n’avait guère dépassé le stade d’une icône décousue, n’arrivant pas à combler ma carence et du même biais, perdant son sens originel…
Je n’ai jamais compris le rôle d’un père, ni son poids dans une famille. Je n’ai jamais su ce qu’un homme avait comme sens, ni dans sa nature masculine, ni plus loin dans sa définition parentale, puisque je vivais, tant bien que mal chapeauté par une mère au tempérament fort, dépassant celui de certains papas que je connaissais, à travers mes amis, et un oncle maternel qui n’a pas manqué son coup, pour me signifier toute la brutalité que peut avoir un mâle dominant.
C’est entre ses méandres, trop tumultueuses que j’ai perdu le fil conducteur, et que j’ai appris à oublier mon père, à tel point que j’ai mis beaucoup de temps à me souvenir de lui, lorsque j’ai décidé un jour d’écrire pour raconter ma vie !
Je n’ai jamais pleuré mon père étant enfant, je n’ai jamais pleuré ma différence, ni considéré mon statut d’orphelin comme une estropie, non ! J’ai vécu mes années d’enfance, avec un esprit pragmatique, un peu trop précoce pour un bambin, sensé jouir de ses pensées immaculées et rêver d’un lendemain où il serait médecin, avocat et plein d’autres personnages dont tout gosse pourrait vous chanter les louanges…
J’avais choisi de faire ma vie autrement, dans un grand mensonge biaisé par l’ignorance de ma mère, et l’indifférence de tous mes proches, qui avaient plus la hantise de me voir échouer. J’ai croisé le fer avec mon prisme, tellement fort que j’ai réussi à le plier sous le poids de mes tares, lesquelles ont pris un coup de sérieux, lorsque ce lundi, à peine mes onze années entamées, j’ai eu à faire face à ma plus grande douleur…
J’ai tellement souffert ce jour là, tant par la perte du dernier repère que j’avais, que par mon incapacité d’y changer quelque chose, moi qui n’ai jamais compté que sur moi-même pour me frayer un chemin, bien que ma force soit si chétive comparée aux mastodontes que j’avais en face, tel ce cours d’eau, qui tentait tant bien que mal de creuser son sillon dans une terre impitoyablement rude, au reliefs ardus et scléreux.
Ce jour là, j’ai appris à troquer mon honnêteté conte une hypocrisie, plus marchande, plus salvatrice, devenue naturelle, avec le temps. J’ai appris que la trahison était un pêché mignon, et que dès lors que l’on avait un alibi au tendre d’un cœur d’artichaut, on pouvait commettre des crimes, et pleurer ensuite avec les victimes. J’ai appris que la vie n’avait plus rien à me prendre que ce qu’elle m’avait déjà pris, et que désormais, je ne devais plus me faire d’illusions !
Après ce jour là, plus rien n’avait du sens pour moi, plus rien ne valait vraiment sa peine, à tel point que même mon statut de premier de la classe, qui était la seule fierté que je possédais, devenait une habitude, une norme plus que ce n’était un exploit louable, une suite fade et dénuée de toute valeur, à part celle des félicitations que je n’ai jamais eues, ni de ma mère, ni de mon oncle ni de toute autre personne dont mon cœur réclamait une attention salvatrice…
Lorsque j’ai grandi, et que je suis devenu un homme, j’ai essayé de comprendre mes dissimilitudes, ce qui faisait de moi ce que j’étais. J’ai essayé de croire en la possibilité de tourner la page et de puiser dans le candide de la feuille blanche, ce qu’il me fallait d’innocence pour l’aimer elle…Et je l’ai aimée !
J’ai effacé toutes mes souffrances et oublié mes angoisses, lorsque j’ai rencontré la profondeur de ses yeux qui m’ont, tout de suite, bercé d’un semblant de béatitude. J’ai appris à rêver avec elle, à travers elle. J’ai vu, en elle, la promesse d’une vie meilleure, d’un destin meilleur. J’ai enfin commencé à croire en la sainte miséricorde, et en l’amour que Dieu avait pour moi et j’ai promis…
J’ai promis à mon cœur de lui rendre la liberté de battre à toutes les mesures que je lui avais interdites. J’ai promis à mon âme le repos qu’elle peinait à trouver. J’ai promis à mes maux, un élixir qui les résorberait à tout jamais. J’ai promis à mes mots, de ne plus être que des verbes au suave d’un nectar d’eden. J’ai promis à ma vie, un rendez-vous avec l’amour, une quintessence de bonheur. J’ai promis, monts et merveilles à mon prisme que j’avais ployé un jour sous ma tyrannie mensongère, j’ai promis de rendre sa liberté à Joe le romantique et de vivre en paix avec Hulk, dès lors qu’elle décida d’enfanter docteurho.
Elle, c’est la joie que je n’ai jamais eue, l’innocence que j’ai perdue, la foi que je ne pouvais avoir, la paix que je méconnaissais, la tendresse qui me manquait, le bonheur qui ne m’a jamais taquiné…Elle !
Elle a transformé ma vie en une fresque aux couleurs chatoyantes, au bleu du ciel éclaircit où ne trônaient plus les nuages gris d’antan, blanc chaste de son teint qui éblouissait ma vue et ma vie d’une lumière salutaire à même de chasser mes démons, au rose de ce sang qu’elle a répandu sur mes draps, lorsqu’elle m’a fait la plus belle des offrandes…Elle…Elle est l’amour que j’ai érigé en religion. Elle est le sanctuaire où j’ai fait mon baptême du cœur…Elle !
Elle était si belle, si tendre, si féminine, que je n’avais plus besoin de muse pour biaiser les flots d’émois qui animaient mon cœur. A elle seule, elle faisait jaillir mes talents tel des geysers puissants et torrides, et je me réjouissais de cela, je me sentais pour une fois, complet !
Mais comme toute les belles choses que j’ai eu à vivre, tout cela a fini par disparaître du jour au lendemain, sans laisser de traces, hormis la déchirure dans mon cœur, et une foule de souvenirs latents dans ma mémoire qui refuse de céder à mes tentatives de l’effacer, encore en eus-je exprimé la volonté. Je n’ai pas envie d’oublier, car j’ai besoin de cette souffrance, j’ai besoin de faire ma pénitence, pour qu’un jour cela serve de leçon à quelqu’un, pour que cela soit un tribut à une vie meilleure, la mienne ou celle d’un inconnu qui s’arrêterait sur mes vestiges…
Mon bonheur a succombé à l’irréalité des sentiments, et au sens de l’amour qu’on a de soi et des autres. Mon aimée, a tellement piétiné l’enfant en moi, qu’elle m’a éloigné d’elle pendant un moment. Elle ne le faisait pas de sa propre conscience. Elle ne le savait pas, parce qu’elle ne le voyait pas, parce que dans son cœur, parce que dans son regard il n’y avait aucun moyen pour voir et ouïr l’appel au secours que je criais tous les jours, dès lors que j’ai entamé ma rechute vers mes abîmes, dès lors que je commençais à être un homme ordinaire dans ses yeux, et que je n’y voyais que l’admiration inébranlable pour son père, ses oncles et autres hommes de son ancienne vie…
Je l’ai trompée, jamais avec le regard, ni avec le corps, mais avec un cœur d’enfant cherchant une admiration, une félicitation dans les yeux et les paroles d’une femme. Je ne cherche point d’excuse, ni ne justifie mon méfait, je sais que j’aurais dû lui dire la vérité et insister là-dessus, même au pris d’autres souffrances, mais que ce soit à ses côtés. J’ai lutté pour mon amour, et je l’ai protégé pendant cinq merveilleuses années, à coups de refoulement et de prises sur moi-même, croyant bien faire, sauf qu’à la fin, le seul modèle que j’ai singé, le perfide de mon mentor a fini par l’emporter sur toutes les vertus que j’ai essayé de planter dans un champs de sables mouvants…
Je lui disais plein de fois que j’avais besoin de voir son amour, de sentir sa fierté de toucher son bonheur de me voir accomplir mes exploits. Je voulais qu’elle soit la seule personne qui pense à moi en tant que cet individu normal qui a touché les étoiles, et non cet homme brillant qui n’avait aucune peine à en décrocher une au besoin…J’aurais préféré être un homme sans ressources et avoir la reconnaissance de mes proches, de celle que j’ai aimée à me surpasser pour eux, que le fer de lance rouillé que je suis devenu à force de ne plus savoir user de mes forces que pour enfoncer le glaive dans ma propre chair…
Je me meurs, jour après jour, pourtant personne ne voit ma course vers ma fin, personne ne sent que je cours vers une issue noir, personne ne sent que je ne suis plus qu’une illusion de moi-même. Je l’aime, mais elle ne me croit pas, elle ne veut pas me croire, ni croire que j’ai fait ce que j’ai fait sous l’emprise de mon mal silencieux qui m’a coûté plus cher que ce qu’elle ne pense…Je l’aime et je crierai cet amour tant bien que mal jusqu’à la dernière goûte de sang qui coulera dans mes veines…Je t’aime Nawal !