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Primaire IV

Publié le 18 janvier 2010 par Dirrtyfrank
Primaire IV

Les jours qui suivirent devinrent vite un calvaire pour Alain. Les pensées négatives envahissaient son esprit, sans que lui-même n’y comprenne quelque chose. Il ne pouvait saisir toutes les théories avancées par les plus éminents spécialistes des conflits internationaux. Malgré la volonté du président américain de faire subir à ces terroristes de l’ombre l’« Impunité Zéro », cela ne réglait pas le problème d’Alain qui était complètement désarçonné. Il fallut 10 mois à Alain pour se remettre les idées en place et se rendre compte qu’il fallait agir, qu’il fallait se battre jusqu’au bout, qu’il fallait déboulonner son honneur de sa torpeur. Ce qui l’avait décidé, pas grand chose. Tout ce qu’on a pu dire dans les média, dans les bistrots, dans le métro ou dans les couloirs de l’ANPE.

La date anniversaire de la catastrophe allait sonner le glas de son désespoir. Il était maintenant bien remonté et son ambition était de rendre à ses deux chiffres chéris leur lettre de noblesse. Et mal lui en a pris car les forces en présence étaient bien plus dangereuses de ce qu’on pouvait croire. Les vrais ennemis étaient dans sa tête, ces petits démons qui le démangeaient et qui ne lui avaient pas fait grand mal jusqu’à aujourd’hui. Maintenant ils se réveillaient. Il avait 99 problèmes mais sa conscience n’en était pas un. Maintenant, il en était sûr et certain. il fallait préparer un plan d’action… mais il ne savait pas trop comment s’y prendre. Plusieurs idées commencèrent à germer dans son esprit épuisé. Plusieurs idées qu’il fallaient sélectionner pour ne pas se disperser. Il fallait une idée pour sauver le monde, une seule.

Il était convaincu qu’il fallait premièrement s’attaquer aux médias pour contrôler l’information et ses répercutions sur les masses ignorantes: une alerte à la bombe chez France 2, l’enlèvement d’un journaliste de M6 originaire des Deux-Sèvres, une panne électrique durant le bouclage de Télé 7 Jours ou le brouillage des ondes d’Europe 2. Il fallait peut-être voir plus grand, un truc vraiment médiatique pour marquer le coup, pour marquer les gens au fer rouge. Un autodafé de grand ampleur des DVD de ‘Blanche Neige et les 7 Nains’ ou de ‘99 F’ pour que Beigbeder soit obligé de le passer à 100 balles. Charogne de capitalisme…pour une fois qu’on te supplie de te faire plus de fric. L’émeute urbaine pouvait être une autre solution pour que l’opinion publique soit sensibilisée. Fallait-il mettre à sac tous les « 5 à sec » de la capitale, brûler les stations de métro George V ou faire exploser le Pont Neuf ? A moins qu’il ne décide de se lancer dans une guerre plus psychologique… Intercepter tous les colis venant des 3 Suisses ou bien emmerder à longueur de journées les propriétaires de 4x4. On commençait à entrevoir un bout d’idée.Tout ce remue-méninge commençait à avoir de la gueule mais cela demandait de l’argent et du matériel, ce qu‘ il n’avait pas. Il décida donc d’initier son offensive avec une idée qui alerterait l’opinion publique et qui médiatiseraient sa lutte pour le 0 et le 1…et ce à moindre frais.

Son plus grand projet était une véritable opération de guérilla urbaine. Il avait décidé, dans un élan de désespoir de maculer les costumes de scène de chaque membre du groupe L5 avec les symboles 0 et 1. Et même si ce projet était loin de faire réagir la majorité des français, il ferait au moins du tort à M6 et aux fans de « Fan 2 ». Voilà un projet bien motivant et qui demandait plus d’investissement personnel que pécuniaires…Il se décida d’approcher les starlettes de la Real TV par quelque moyen que ce soit. Le rendez-vous de ce tour de force était fixé au Zénith de Paris. Un Zénith qui pourrait bien devenir le sien si tout se passait comme il l’avait prévu. Un suicide télévisuel, une apogée dévastatrice…Le back stage était une forteresse imprenable, protégé de molosses aux allures peu sympathiques. En plus, Alain n’était pas tout seul. Des hordes de fans et d’amoureux transis pré-pubères criaient pour accrocher un regard vitreux de ces esclaves jetables du show business. A priori, Alain était le seul à avoir de mauvaises attentions, ça crevait les yeux. Il s’approcha discrètement des barrières de sécurité, en évitant de se faire crever également les tympans par l’une des énervées qui le bousculaient. Les L5 étaient maintenant à quelques mètres de lui. Dans son sac à dos, une bombe aérosol et une seule. Il ne fallait pas se louper. Il bondit hors de la foule et devint, en un instant et bien malgré lui cette fois-ci, une cible isolée et du coup facilement repérable. Il n’eût même pas le temps de dégainer que 3 sacs de purs pectorauxl’avaient jeté par terre, lui écrasant le visage contre le bitume, les 2 mains derrière le dos, sa bombe aérosol à quelques mètres de lui. De l’air, de l’air, c’était juste une question de survie. Ce petit jeu lui valut une bonne raclée et une nuit au poste…cellule 11 au fond du couloir d’un commissariat du XXe arrondissement. A chaque peine son petit bonheur.

Durant son sommeil, la cellule, portant les chiffres symboliques de sa lutte, lui remonta un peu le moral. Elle communiqua avec lui, tout pouvait être tellement plus simple. Il était devenu le chantre d’une nouvelle façon d’exister: il ne pouvait se permettre de baisser ne serait-ce qu’un bras. Cette cellule 11 avait été construite pour lui et elle lui avait donné un moral d’acier. Il sortit le lendemain, de ce que la plupart des adeptes nocturnes de 1664 et de Pastis 51 appelaient « l’enfer ». Lui, il était regonflé à bloc. Dans sa tête, il était déjà en route vers le Stade de France, l’endroit idéal pour faire revivre l’espoir d’un peuple en dérive.

Il se rendait à un match du XV de France. L’idée lui était venue pendant sa nuit d’incarcération et d’introspection : courir nu à travers le terrain, son corps peinturluré d’un O et d’un 1, d’une couleur vibrante d’espoir, utilisant les techniques des trickers anglais. Objectif principal, augmenter la visibilité de l’effort en courant le plus vite possible. La médiatisation de cet événement était internationale. Le 0 et le 1 étaient parfaitement dessinés sur son corps tremblant de froid. Il s’élança de la tribune Est et courut vers le centre du terrain alors que le présentateur hurlait le nom des joueurs durant la présentation des armoires du Sud-Ouest. Au bout de 5 minutes à peine, il se retrouva dans la même situation que le jour précédent : les deux mains écrasés derrière le dos, position fœtale écrasée peu photogénique pour Paris Première. Même un gazon plus tendre n’allait aider son visage à cicatriser plus vite. Encore une nuit au poste l’attendait mais il savait que cela ne pourrait que le renforcer et lui confirmer que sa cause était juste.

Il atterrit en cellule, numéro 38 sur la plaque rouillée du poste dans le 93, avec 2 gars puants, symboles d’un monde en décrépitude. L’un était clochard schizophrène, oscillant comme un pendule entre Napoléon et Dalida. L’autre était un taré à tendance pédo-zoophile et a compté les chèvres grecques mineures pour essayer de s’endormir. Autant vous dire qu’il était difficile pour Alain de se concentrer sur son projet et sur ses voix intérieures qui voulaient le guider. Toute la nuit, il avait été le spectateur effrayé d’une version remixée façon militaire d’ « Il venait d’avoir 18 ans » et un nombre incalculable de chiffres bêlants et touffus. Comme on pouvait s’y attendre, Alain a complètement craqué, la pression était d’un autre niveau. Peut-être que les gens avaient raison. Pourquoi se prendre la tête avec le système binaire ? Le monde était tellement abject qu’il ne fallait peut-être plus s’en préoccuper. (© Photo: Franck Vinchon)

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