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Primaire II

Publié le 11 janvier 2010 par Dirrtyfrank
Primaire II Forte tête, mais pas fort en thème, loin de là, même si il prenait une application toute particulière à se faire une tronche de premier de la classe. En fait, ces notes tournaient presque toujours autour de 10 ou 11, un niveau passable quand il ne faisait pas exprès de se flanquer d’un magnifique 0 pointé. Résultat souvent dû à son insolence et sa visible fainéantise au moment des travaux collectifs. L’idée de groupe en elle-même lui donnait la gerbe, un haut le cœur incontrôlable. Cette attitude faisait de lui un jeune homme peu sollicité, plutôt transparent (il aurait trouvé marrant d’être le 11ème homme de l’équipe de foot du collège mais personne ne le considérait comme une option valable). Il y avait bien une poignée de cabochards qui lui cherchaient régulièrement des noises pour s’amuser, mais Alain n’y prenait pas garde. Il passait des heures à admirer son nombril tout rond en se demandant si ce n’était pas le centre de l’univers. Il méditait sur un monde plus simple, plus évident où il aurait une place bien déterminée : Sa Place, 1ère rangée, 1er rang, VIP d’un carré vide…
Sans le savoir, il s’était créé un monde insolite, bien loin des affres de la société dans laquelle il évoluait. Mais bon, que celui qui n’a jamais eu de petites phobies lève le doigt - et un seul par pitié.
Après une première année mitigée à Paris I Sorbonne, où il avait trouvé le réconfort de se faire traiter de nul à longueur de journées par ses profs, il décida de se prendre en main et se découvrit une passion pour la presse. Pas celle qui emmène votre plume malhabile dans des pays lointains où la complexité des situations économiques et politiques vous stimule puis vous dépasse. Il avait nourri une passion pour la presse informatique et réussit à être pris comme pigiste junior chez 01 Informatique.
Simplicité est mère de sécurité. Il avait sûrement sauvé la Second Life de nombreuses personnes grâce à sa jeune érudition sur le langage binaire ; un dégout lui prenait la bouche quand il s’en rendait compte mais il fallait bien la nourrir. Il était plutôt professionnel et apprécié, une sorte de phare malingre pour pas mal de navigateurs Internet, au point même d’être devenu indispensable pour pas mal de geeks en mal de sociabilité offline. Contre toute attente, après 1 seule année d’expérience, il décrocha le management du département consommateur du grand opérateur informatique ‘This is IT’. Un peu loin du monde du grand journalisme, mais qu’investiguer de toute façon. Tout était déjà là. Comme une évidence. Il avait donc décidé d’avancer dans une direction un peu différente. Ce qui, bizarrement, ne faisait pas l’unanimité. En plus des sarcasmes sur son jeune âge, il s’amusait à exaspérer tout le monde quand un problème atteignait son niveau hiérarchique ou son n-1. Il avait la fâcheuse habitude de répéter machinalement « hein…hein » aux gars dans la panade (toujours accompagné d’un petit hochement de tête sympathiquement dégoûté envers son interlocuteur). Une protection, une envie de dégueuler ce monde de communication verbale…
Puis un jour, il a voulu franchir un nouveau cap, devenir businessman ou en tout cas ceux qui ne se préoccupent que de leur succès personnel – ceux qui ne parlent plus, ceux qui se taisent mais qui écrivent pleins de zéros sur leurs chèques à la fin du mois. Il intégra donc une équipe de têtes brûlées, de millionnaires en puissance, en gros des jeunes informaticiens boutonneux encore vierges en mal de reconnaissance. Il était devenu l’un des responsables d’une start-up qui devait « révolutionner le monde ». Bref, la fameuse image d’Epinal du garage pourri et de la fortune dans la foulée. Programmateur dans cette jeune pousse en pleine expansion, notre graine de star passait son temps à caresser les 0 et les 1 sur l’écran de son ‘grand ordinateur’. Ne demandez pas ce que cette start-up faisait exactement, question opaque pour le commun des mortels, mais en gros, ils brassaient du système binaire afin de brasser des milliards.
Mais pour l’instant, ils brassaient surtout du vent devant les actionnaires, les banques, les proprios, les parents, les voisins…Nombreuses start-up ont plumé leurs actionnaires et du coup, ont été déplumées rapidement. Pourquoi en serait-il autrement pour notre jeune Alain. L’aventure fut de courte durée et la pause laboriale s’annonçait rude. Alain, du jour au lendemain se retrouvait avec son ordinateur portable dans un minuscule appartement 1 pièce, dans le Sentier qui était loin d’être lumineux à cette époque. Il fallait qu’il reprenne le dessus, s’en sortir, à tout prix et si possible suivant ses principes rigoureux. Il décida de reprendre des études scientifiques (il n’avait que 22 ans après tout, l’âge où sa mère était devenu mère). Son talent inéluctable, sa persévérance calculée, son intérêt pour les calculs à 10 inconnues mais aussi sa volonté d’écorché vif lui firent entrer, à coups de bec, dans le monde mystérieux de la recherche mathématique de niveau international. Il commença à côtoyer de nombreuses sommités inconnues du grand public, les Number One de la recherche que personne ne comprend. Finalement des gens aussi barrés que lui mais plus vieux, plus puants.
Toutes les idées développées par ces maîtres à penser, avaient eu une influence incroyable sur le candide mais talentueux Alain. Les gourous de l’immensité intellectuelle avaient eu raison de sa jeunesse et de son insouciance. C’est vrai que leur réflexion n’était pas dénuée de sens, bien au contraire. Leur persuasion et leur verve oratoire de première classe avaient une certaine classe. Il participait alors à de grands débats qui avaient pour but de démontrer que l’univers entier était conditionné par le système binaire. Il vit passer, devant ses yeux, un véritable Big Band de sommités qui voulaient révolutionner la théorie du Big Bang : dans leur propre rôle, des cerveaux dopés comme Stephen Wolfram (père de la « règle 110 »), Edward Fredkin ou Seth Lloyd. Ils allaient remplacer progressivement le père absent qu’il n’avait jamais pu emmerder.
(© Photo: Franck Vinchon)

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