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Ceux qui sont un peu fatigués

Publié le 11 mars 2010 par Jlk

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Celui qui a pris toutes ses précautions au niveau gestion des maîtresses et qui apprend que sa femme en a aussi plusieurs dont un Congolaise alors là ça la fout mal / Celle qui s’est toujours sentie un peu russe depuis qu’elle a lu La Dame au petit chien sur la terrasse de l’ancien sana de Silvaplana où ses parents l’envoyaient se refaire une santé / Ceux qui se défient de l’affectivité slave dont ils savent les débordements réversibles comme les sourires carnassiers de Iossip Djougachvili / Celui qui n’oubliera jamais le goût de la confiture de mirabelles de sa mère et donc de sa grand-mère puisque la recette venait de celle-ci ou plus précisément de la bisaïeule de celle-ci dont le prénom s’est perdu avec le temps / Celle qui s’enfonce dans les arborescences de la généalogie avec une soudaine ferveur / Ceux qui n’ont aucune idée du bonheur d’écrire et qui te demandent d’un air agressivement apitoyé : « Alors toujours dans les écritures ? » / Celui qui aime aimer point barre / Celle qu’aucun homme n’a jamais fait vraiment jouir autant que son jouet chinois et qui s’en trouve plus libre d’esprit pour s’adonner à sa passion de la numismatique égyptienne / Ceux qui ont l’air d’être choqués d’apprendre que leurs parents ont encore une vie sexuelle et non moins choqués d’apprendre le contraire / Celui que met en joie un rayon de soleil matinal qui tourne dans la chambre avant de se poser sur le guéridon style Armée du Salut / Celle que visitent les images d’une transmutation affective et spirituelle qu’on peut dire « de tous les jours » sans exagérer / Ceux auprès desquels on se sent bien / Celui qui reste baba devant cette phrase inattendue de la part d’une romancière sexagénaire d’apparence si rangée, comme quoi « les faux-semblants abondent, la bande des faux-semblants sévit dans les gares souterraines, voilà le hic » / Celle qui campe à la lisière du Bois de la Folle sous une tente phosphorescente à fermeture-éclair qu’un tank écraserait comme un oiselet tombé du lit / Ceux que le mot ENFANT écrit en violet à la machine Olivetti de leur jeunesse sur un petit carré de papier de soie a protégés jusqu’aujourd’hui comme un talisman / Celui qui se sent ce matin tout proche des Haïtiens alors qu’ils se trouve bien au chaud dans sa datcha / Celle qui sanglote encore dans les abris de fortune / Ceux qui s’accrochent plus que jamais à cette vie de merde, etc.
Image : Philip Seelen


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