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Pickpocket I

Publié le 12 mars 2010 par Dirrtyfrank
Pickpocket I

Quand Lulu flashe grave sur une fille dans le métro, il ne la regarde jamais dans les yeux, ne s'attarde jamais sur ses courbes généreuses ni même sur sa poitrine avantageuse. Non, Lulu, lui ce qu'il regarde en premier, ce sont les poches, les fermetures éclair, les vêtements qui baillent et les sacs qui ferment mal. Il vérifie simplement les chemins des possibles, les ouvertures sur d’autres mondes ou des canaux de distribution parallèles. C'est sa façon d'exprimer son intérêt pour les gens qui l’entourent. Mais ses intentions sont absolument claires. Il n'est pas de ceux qu'on peut qualifier de 'matérialiste'. Il ne court pas après l'argent pour s'enrichir mais il s’aide de petits larcins pour vivre décemment. On pourrait même le qualifier de voyou sentimental. Ses petites entreprises sont des actes d’amour, de simples odes au travail bien fait. En y mettant toute l'attention du monde, l’excitation de ses petites supercheries le rendait toujours un peu ému. Il y avait quelque chose de profondément romantique et humain en lui. Tout cela lui donnait toujours un petit pincement sympathique au cœur. Ce dernier battait toujours un peu plus vite et se réchauffait au contact de toutes ces personnes, même si l’approche s’établissait rapidement, quelque peu superficiellement. Lulu était, presque à chaque fois, sujet à de petits frissons de plaisir et ressentait toujours une petite excitation presque sensuelle et empruntée de mystère. Comme on peut le comprendre aisément, cela affaiblissait parfois son jugement et son agilité. Cela rendait l'exercice encore plus périlleux et désespérément fragile. L’art de la tromperie revêtait un côté très sensuel. Lulu, en quelques mots, c'était un vrai gars gravé dans le roc mais muni d'un petit cœur douillet.

Il nourrissait donc ses instincts et son estomac en partant à la conquête des trésors des dessous (chics) parisiens, des bijoux ostentatoires ou des petits billets dissimulés au fond des portefeuilles débordant de notes de frais jaunies et de tickets resto (de vraies saloperies, impossibles à monnayer). Il se mettait en tête de dénicher les montres avec un peu de cachet qu'il fourguait à un prix raisonnable à ses 'contacts' roumains de Montreuil et se spécialisait dans la haute technologie en portant un intérêt certain pour les nouveaux iPhone ou Nokia qui se vendaient aisément (même sans garantie). Il avait besoin de ses petits vols, de ses petits riens qui n'ont jamais fait de mal à personne mais qui pourrissaient un peu la vie des gens. Il se nourrissait du malheur des autres mais ça n'avait jamais tué personne.

Voilà une bonne paye que Lulu avait démarré son business. En tout, peut-être, une bonne vingtaine d'années sur la ligne 1 à Paname. Tout cela en comptant quelques mois parsemés en prison, mais cela faisait partie du folklore et de l’apprentissage. La meilleure école du monde pour devenir encore meilleur. A la grande époque, la ligne 1 était surnommée le ‘Collier de la Duchesse’, un fil doré passant par les endroits les plus en vue de la capitale avec comme point névralgique la Cour des Miracles de Châtelet. Tous ceux qui glandaient dans les couloirs dégoulinant de pisse lui vouaient une admiration vertigineuse, ceux qui n'hésitaient pas à prendre quelques risques pour l'adrénaline et la gamelle vide. Ils sont là, ceux que l’on ne voit jamais mais qui observent à longueur de journée.

Mais le métro parisien, c'est vraiment l’enfer, ou plutôt, c’est de la haute voltige sans filet aucun. Le métro parisien, c'est la Scala de la tchatche et de l’embrouille, c'est l'Empire State Building du tour de passe-passe, il faut être le Houdini du porte-monnaie Gucci et l’homme invisible de l’embrouille. En quelques années, les conditions étaient devenues vraiment déplorables pour les véritables amoureux de ce métier manuel. Beaucoup de nouveaux éléments étaient à prendre en compte et les difficultés pour l’auto entrepreneur du type de Lulu s’étaient multipliées. La sécurité et la surveillance s’étaient accrues terriblement (merci les terroristes pour vos coup d’éclats médiatiques – ça ne rapporte vraiment rien à personne, ce genre d’embrouille). Il faut maintenant se faufiler entre les policiers, les agents de sécurité et leurs chiens aux dents acérées, les employés de la RATP et les sempiternels militaires en permission. Sans compter les sauveteurs occasionnels qui se multiplient aussi avec l’émergence de Youtube et les émissions TV de merde. Les bons sentiments et la recherche de célébrité se rependaient comme la galle. Les gars sont maintenant devenus des connards héroïques. La mode et le retour agressif du célibat à Paris. De plus en plus de mecs se mettent dorénavant sur votre chemin pour vous empêcher de commettre l’irréparable et il faut savoir jouer des coudées franches pour les renverser du haut de leur petite fierté. Enfin si ça peut leur permettre de tirer leur coup. Mais franchement, j’en doute vraiment. Et c’était sans compter sur la concurrence accrue des petits nouveaux, les jeunes intrépides shootés au crack qui se croient capables de tout, malgré leur incapacité à aligner trois mots avec un verbe au milieu. Pour eux, c’était en vase clos. Leur vie de déchéance se dégradait dans les sous-sols lugubres. Les pigeons, les dealers et les RER sont tous parqués sur cette même ligne. Et on y trouvait le plus d'argent et de pièces de valeur, grâce aux quartiers chics et l'affluence des touristes qui viennent visiter le cœur de La Plus Belle Ville Du Monde.

Dorénavant la ligne 1 était devenu un vrai merdier pour un petit artisan comme Lulu. Bref, un vrai bordel à 20 pieds sous terre.

Un jour de 1991, il décida donc de déménager l’emplacement de sa petite entreprise. Il s'installa sur la ligne 2 (Nation - Porte Dauphine), un mélange savant de populaire et de friqué, une sorte de ligne bobo à la forme d’arc-en-ciel, un lien entre Barbès Rochechouart et Ternes, entre Belleville et Victor Hugo ; une ligne moins rémunératrice mais sur laquelle un professionnel comme Lulu pouvait se faire assez d’oseille tout en se faisant oublier un peu. En tout cas, ça lui suffisait amplement et il vivait parfaitement bien son nouveau côté métro-boulot-dodo. Il y avait bien ce nouvel outil de prévention de la RATP qui avait subitement commencé à émettre des messages pour avertir les gens de la présence d'une faune indésirable dans les labyrinthes du métropolitain. Bien au-delà de prévenir les gens qu'il fallait faire attention, ces messages répétitifs tentaient de décourager les jeunes générations et de mettre les plus âgées à la retraite. Lulu, lui, se la jouait obstinément sourdingue et téméraire. Parfait, le marché restait clairsemé. Il ne fallait pas le lui faire. Lulu, c’est un vrai de vrai.

Il arrivait sans difficulté à mettre de l'argent de côté sans trop forcer son art. Il s'était même donné le luxe de choisir ses victimes et il les choisissait de mieux en mieux, en tout cas selon ses propres critères. Il ne s’attaquait maintenant qu’aux têtes à claques, aux mal-baisés, aux vrais méchants. Question d’éthique. C’était presque un devoir de s’occuper personnellement des cons et des abrutis. Et elle, sans aucun doute, elle ne lui revenait pas. Mais alors pas du tout.


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