
Debout près de la fenêtre, Sabrine observait avec admiration la nouvelle voiture grise de sa colocataire, garée juste en dessous de l’immeuble. Quant à Ranime, portant ses lunettes, était assise sur son bureau faisant semblant de bosser, alors qu’elle se brûlait dans une avalanche de frustration et d’inquiétude ; surtout qu’elle n’eut plus de possibilité de mentir concernant sa soirée chez sa deuxième maman, avec une voiture qu’elle ne sût où cacher des yeux de sa maman adoptive, ou d’expliquer pourquoi elle n’était pas rentrée chez elle, à Sousse, pour fêter son anniversaire avec ses parents.
Sabrine, quitta un petit moment la voiture de ses yeux et se déplaça vers sa colocataire en la contournant de ses bras.
- T’es vraiment chanceuse d’avoir une voiture ! et d’excitation de jeunesse, maintenant tu peux aller où bon te sembles !
Le visage tout triste, comme ayant des remords, Ranime murmurait.
- Je n’aurai pas dû y aller …
Sabrine, saisissait une chaise, près de sa colocataire et dit en lui caressant la frimousse.
- Oh ! arrête, t’as une 206 nouveau modèle ! tu peux te la péter maintenant.
Ranime leva sur elle une expression de colère et répondit.
- Je ne suis pas du genre frimeur !
Laissant sa main se balader dans ses cheveux, Sabrine reprit.
- Moi, à ta place je le ferai, surtout devant les gens qui me sous-estiment.
- Heureusement que je ne suis pas toi !puis en enterrant son joli visage sous ses mains, je suis dans un sale pétrin !
Et en poussant un souffle volumineux.
- Comment je vais faire avec la voiture ?
Sabrine voulant ricaner reprit.
- Dis lui un cadeau de ton petit ami.
- Ma mère n’est pas aussi stupide ! puis poussa sa chaise et se leva les mains derrière la tête, je n’aurai pas dû accepter le cadeau, et en s’approchant de la fenêtre, je vais remettre la voiture à ma tante.
Sabrine se mit debout à son tour, se pencha vers elle et dit.
- Ce n’est pas gentil de rendre un cadeau !
- Et ce n’est pas bien non plus de décevoir maman. S’écria Ranime en jouant avec les clés de la voiture sous ses doigts. Et en soupirant, je n’ai jamais menti à ma mère.
Sabrine, posant sa main sur l’épaule de sa colocataire.
- Il y a un début à tout. Puis tirant Ranime de son bras, allons faire un petit tour !
- Je n’ai pas envie.
- Allez ! disait Sabrine en la suppliant comme une gamine.
Elle la regarda avec des yeux tristes puis s’enveloppa de son manteau noir, et quitta avec sa colocataire l’appartement. Une fois engouffrées dans la petite voiture, Sabrine disait en ouvrant la radio.
- J’adore les nouvelles voitures !
Ranime démarra la voiture, puis en tournant le volant, bégayait.
- Alors comment ça se fait que ton patron t’accorde un congé le dimanche ?
Elle croisa les bras puis en souriant.
- Mon patron ne me refuse rien, il me gâte bien ! puis d’un air sérieux, il ne vient presque jamais ces jours-ci, il passe plus de temps avec sa femme.
- Hum, je vois ! disait Ranime en dépassant un camion. Il l’aime beaucoup !
Elle se mit à rire et dénia.
- Pas du tout ! il a de la pitié pour elle !
Ranime s’arrêta au feu rouge et s’interrogeait intéressée.
- Comment ça de la pitié ? c’est une belle femme de bonne famille.
- Elle a un cancer !
Ranime se redressa sur son siège et répliqua d’une voix émue.
- La pauvre ! il devrait être très amoureux pour épouser une femme qui ne partagera de sa vie que quelques années.
Sabrine, se rappelant de la vidéo, qu’elle a enregistrée sur son cellulaire, répondit avec beaucoup d’ironie.
- Oui, tout à fait ! l’incarnation de Roméo ! et en riant, je l’envie d’avoir épousé un homme comme lui !
Ranime se rappelant de son regard perçant murmura.
- Peut être ! puis en ingurgitant sa salive, alors où veux-tu qu’on aille ?
Elle secoua les épaules comme n’ayant pas d’idée précise et proposa.
- Ben faire un petit tour en centre ville ! puis en jetant un coup d’œil sur sa montre qui indiquait 18h, dis , tu peux me faire un service ?
- Oui, bien sûr !
Elle s’accouda sur la fenêtre et dit doucement.
- Je veux que tu passes prendre Amine de la maison de Sayda !
- La baby-sitter ? mais je ne connais pas où elle habite.
Sabrine sourit et dit.
- Elle habite au lac, elle est populaire, tout le monde la connait.
Ranime la dévisagea d’un regard inquiet puis balbutia.
- Ok ! puis emportée par sa curiosité, et je peux savoir pourquoi tu ne passeras pas le prendre ?
Une lueur de mystère s’échappa de son regard, en disant.
- Je vais voir un ami à Hammamet !
- Le soir ?
En laissant sa main jouant avec une chevelure.
- Oui, le soir !
Elle dessina un petit sourire et poursuivait.
- C’est ton nouveau copain ?
Sabrine lança un rire intriguant et murmura.
- Pas vraiment !
Ranime, très concentrée, se mettait à klaxonner puisqu’elle n’arrivait plus à bouger la voiture, tellement la ruelle était bouchée par une dizaine de voitures. Puis s’écria en colère.
- Merde ! ça fait un quart d’heure qu’on est bloqué aussi !
Sabrine sortit sa tête de la fenêtre comme une girafe, puis en fronçant les sourcils.
- Apparemment une semi-remorque est tombée en panne au rond point !
Tapotant le volant nerveusement, Ranime s’écria.
- C’est la meilleure !
- Drôle de balade ! rajouta Sabrine en riant.
Mais le chauffeur de la voiture derrière elles, ne cessait de klaxonner ce qui énervait Ranime davantage et s’écria en regardant dans le rétroviseur.
- Mais qu’est ce qu’il veut ce connard ?
L’homme furieux sortait sa tête de la fenêtre et s’écria d’un ton sacripant.
- Mais avancez, putain !
Sabrine, qui s’énervait si vite, répliqua en sortant sa tête.
- Tu veux qu’on vole connard ?
Puis s’allongeait de nouveau sur son piège en s’écriant.
- Ça m’énerve les gens comme lui.
Souriante, Ranime sortit sa tête de la fenêtre et dit.
- Ben, voilà, la police arrive !
- Heureusement ! dit Sabrine en croisant les bras.
Elles se taisaient un long moment. Sabrine se mettait à fredonner et Ranime, avait la tête un peu ailleurs, bloquée encore au niveau de la soirée inoubliable de vendredi. Puis en tournant la tête par la fenêtre, elle voyait deux voyous, assis sur un banc, à l’autre bout de la route, qui ne cessaient de les guetter, et l’un deux se mit debout d’un bond, et s’approcha de leur voiture.
Ranime eut peur, et voulait avancer la voiture, mais elle ne put le faire puisque la voiture juste en avant, ne bougea point.
C’était un homme, de peau très mate, longiligne, attrapant de sa main gauche une bouteille de vodka, avec ses yeux rouges d’ivresse, il chercherait à identifier plutôt Sabrine, puisqu’il s’éloigna de Ranime et s’arrêta en face de la voiture, puis en tapant si fort avec sa main le capot de la 206.
- Hey, je te connais toi !
- Qu’est ce qu’il veut ce connard ! s’écria Sabrine, en enlevant ses lunettes de soleil.
Une fois enlevée, il se déplaça de l’avant de la voiture et s’arrêta au niveau de la fenêtre de Sabrine en baissant sa nuque pour mieux voir.
- On sait déjà vu.
Sabrine, le cerna d’un regard de mépris et disait.
- Moi et toi ? puis en se moquant, tu t’es pas regardé dans un miroir.
Il prit une bonne gorgée de sa bouteille et parla.
- T’es la copine de Mimoun ?
Là, elle devenait de toutes les couleurs, et d’une voix perturbée.
- Je ne connais aucun Mimoun !
Il introduisait sa tête dans la petite fenêtre et son odeur puante, envahissait la voiture. Sabrine, mettant sa main sur son nez écœurée, s’écria.
- Casse-toi, sale ordure !
L’homme s’arrêta sur place, ses pieds semblaient aussi solides, sa grosse tête chevelue s’enfonçait encore à travers la fenêtre, puis un sourire malin illumina son visage et dit.
- Voilà, je me rappelle de toi maintenant. Et en caressant sa joue, t’es Sabrine, c’est ça ?
Elle expédia sa lourde main d’un geste violent et s’écria.
- Ne me touche pas sale pourriture, sinon j’appellerai la police !
Le mot police, provoqua chez lui un immense rire puis en posant les deux mains sur la fenêtre.
- J’ai purgé deux ans de prison ! et en la pointant d’un doigt, c’est ton tour maintenant ! et en riant, la police n’est pas venue te chercher ?
Ranime, resta stupéfaite tandis que Sabrine se rappela le jour où la police l'a ramassé de la boutique et se demanda à demi voix.
- Tu les as parlés de moi pourriture ?
- Je voulais sauver ma peau ! et en frottant son nez, je suis en liberté conditionnelle, pour les aider à trouver Mimoun !
Elle sourit et dit d’un air mystérieux.
- Quand vous le trouviez, tiens-moi au courant !
Puis les voitures commencèrent à bouger alors Sabrine mit sa main sur celle de Ranime et disait.
- Vas-y, avance !
Le mec se recula de deux pas, et sans la quitter de son regard désagréable.
- On se verra un jour !
- Oui dans tes rêves ! s’écria Sabrine en fermant le vitre.
Ranime dépassa une voiture et se demanda en changeant de vitesse.
- C’est qui Mimoun ?
- Personne ! s’écria Sabrine, sur les nerfs.
Emportée par une vague d’énervement, Ranime gara la voiture, puis en la fixant d’un regard suspect.
- Je ne bouge pas d’ici que si tu me parles de lui ?
Les yeux rouges de colère et de frustration, Sabrine répondait.
- Un vieux pote, que je n’ai pas vu il y a belle lurette ! et en la dardant d’un regard scrutateur, c’était un méchant homme dès que je l’ai su, j’ai coupé les ponts avec lui !
Non convaincue, Ranime persista.
- Pourquoi tu ne m’as pas parlé de la police qui est venue te chercher…
Elle lui coupa la parole en poussant la porte, nerveusement.
- Parce que ce n’était pas si important, ils voulaient juste me poser quelques questions sur lui, puisqu’ils le cherchaient depuis des années.
Ranime la tint de son bras furibonde et continua.
- Attends, tu ne pars pas d’ici avant de me dire tout !
Sabrine se débarrassa de sa main , sauta de son siège et dit en fermant la porte fortement.
- C’est tout ce que j’ai à te dire !
Puis courut un peu sur le trottoir, arrêta un taxi et disparaissait dans la circulation. Ranime resta un long moment, comme immobilisée sur son siège. Au fond d’elle-même, elle savait que sa colocataire lui cachait pire que ça. Tourmentée par cette scène en plein rue et par le weekend qu’elle ait passé en compagnie de ses parents biologiques, elle resta un bon quart d’heure, les yeux fixant le volant puis démarra sa voiture et se dirigea vers le lac.
Une dizaine de minutes plus tard, elle se trouvait dans la citée. Elle ne trouva point de difficultés à repérer la maison de Sayda. Une fois, qu’elle fait monter le petit à l’arrière de la voiture, tout en lui mettant la ceinture, elle faisait demi-tour pour rentrer à rue Algazela. En s’arrêtant à un feu rouge à l’entrée de la citée, elle leva les yeux au rétroviseur et regarda, un homme serrant si fort une femme dans les bras puis lui faisant la bise passionnément sur son cou comme un amoureux, privé de sa bien aimée, une longue période.
Lorsque l’homme se recula d’un pas, elle voyait finalement le visage de la femme. Elle se rappelait de ce beau visage, et de ces jolis cheveux de couleur châtaigne. En essayant de la dévisager dans le noir, elle arrivait finalement à identifier qu’elle était la sœur de son copain Akram. Elle les suivait de regard, faisant de la marche tranquille dans cette ruelle, où ils étaient presque les seuls passants, à une heure plus au moins tardive, jusqu’à ce qu’ils disparaissaient dans une belle villa, de style américain, au coin de la rue, face à une école primaire privée.
