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La Musique Adoucit la Mort I

Publié le 04 mai 2010 par Dirrtyfrank
La Musique Adoucit la Mort ILes Beatles, juste à côté des Beastie Boys, ça tombe bien pour le concentré de talent. Brel ne peut se faire oublier de Bruel…une seule lettre vous manque et tout est dépeuplé. Gainsbourg, la tête de chou, à découvert en tête de gondole. Ca fait un peu ‘Grande Surface’, mais les gens d’exception sont peu souvent mis en avant...et puis le film a bien relancé les compilations de médiocre qualité. L’anorexique Céline Dion est suffisamment éloignée de la globuleuse Lara Fabian, ça évitera les interférences de fréquences suraigües. Les acheteurs sont les mêmes à première vue. Mais quand même, pendant que certains peuvent se payer des escapades à Las Vegas pour apercevoir la femme de R’né, d’autres prennent le direct Paris-Pornic pour le gala de la Belge Italienne Canadienne (réponse à choix multiple). Rod Stewart, le fameux Rod Stewart, le sulfureux Rod Stewart. Sa signalétique plastifiée est en danger, voilà six mois que pas un seul de ses disques ne s’est échappé du magasin. C’est envahissant de stocker toutes les merdes qu’il a pu faire en 40 ans… encore un mois de survie au fond du rayon ‘Bonnes Affaires’ – putain elle était grave sa coupe de cheveux. Enrico a failli y passer aussi mais Bernard avait peur d’être classé de raciste et le petit Gaston nous a fait le revenant à la Henri Salvador – qui lui ne reviendra jamais. La présence de Marilyn Manson avait été maquillée au fond du rayon gothique depuis qu’un pro-IVG en chemise Vichy s’était attaché à la caisse pendant 4 heures, déblatérant un discours appris par cœur dans son association de ‘Marie, couche-toi-pas-là…’. Pas de ça ici. C’est une affaire sérieuse. Du beau rangement, de belles mélodies et de belles découvertes.

Bernard conversait avec lui-même quand il s’affairait à l’organisation arbitraire de son magasin de disques. Un rituel qui avait lieu tous les jours, tôt le matin, une demi-heure avant d’ouvrir les portes. Depuis bien longtemps, personne n’attendait sur le perron, trépignant d’impatience pour rentrer, se frottant les mains pour se réchauffer. Ce temps là était révolu. Il avait donc tout le temps nécessaire pour parler à ses artistes. Il aimait ce magasin et il aimait tous les noms qui s’y trouvaient entassés (chacun à leur façon - il est difficile d’aimer Slayer pour les mêmes raisons que Kylie Minogue). C’était le projet de toute une vie et il n’en était pas peu fier. Il avait pour l’instant réussi à contrecarrer les attaques dévastatrices des géants du secteur (entre faux militantisme d’extrême gauche et l’innocence d’une Vierge, on croyait rêver). Lui, il avait joué la transparence et la proximité. Bernard n’avait jamais envisagé de faire un magasin élitiste, genre Colette du son introuvable. Chez lui, c’était plutôt chez Ginette, deux qui la tiennent, trois qui achètent. Toutes les musiques étaient accueillies chaleureusement dans son magasin. Mais l’endroit commençait à être réellement étriqué. Ça débordait de partout comme un Demis Roussos en pleine déprime existentielle. Mais bon, ça marchait pas mal au final. Les fidèles ne manquaient pas à l’appel même s’ils devaient payer 2 € de plus en moyenne pour leur dose de culture ou d’ignorance musicales (tous les goûts sont dans leur nature). Il avait réussi à attirer toutes sortes de clients et son petit monde était devenu un melting pot pourri de fans bigarrés – du maigrelet gothique qui sort de sa tanière pour acheter son Cradle of Filth, de la régressive boursoufflée qui se trémousse au Grand Rex pour se faire Justice, de la Lolita britneyspearienne qui tente une entrée innocente dans le monde enchanté de Joey Starr, du grand-père peroxydé jusqu’au plus profond de ses caleçons longs à paillettes (« Beau oui, comme Bowie »). Et Bernard en voyait des plus sympathiques et des plus pathétiques tous les jours. Mais il les aimait vraiment tous.

Il les aimait parce qu’ils aimaient la musique, quelle qu’elle soit. Peut-être pas autant que lui car il en avait fait son métier. Mais bon, ça lui donnait les Peaches. Il leur ressemblait plus qu’il ne le pensait. Lui aussi, il avait toujours une petite ritournelle dans la tête. Lui aussi, il avait en sound design de sa journée de travail, le dernier hit à la mode qui passait quinze fois par jour sur NRJ. Lui aussi cherchait pendant des heures le titre d’une chanson, obnubilé par 3 notes envoûtantes. Lui aussi ne dormait plus la nuit en se demandant si une intro à la cornemuse saturée ne viendrait pas améliorer l’intro de Jumping Jack Flash. Lui aussi, il se retournait, un peu honteux il est vrai, quand il pensait croiser F. Pagny à Châtelet-les Halles. Lui aussi se prenait pour Elvis Presley quand il nettoyait entre les rayons, les mains solidement accrochées au manche à balai et le déhanché assuré entre deux coups de serpillière.

En fin de compte, ils avaient tous le même rêve. Comme beaucoup, il avait voulu être un artiste, pour pouvoir faire son putain de numéro...Tout le monde y a pensé, y pense ou y pensera. Tous ont eu cette idée leur traverser le système nerveux. Qu’il serait bon de voir toutes ces nanas déchaînées à chaque gloussement de voix. Qu’il serait bon d’arriver dans un Palace et lancer la télévision par la fenêtre. Qu’il serait bon d’arriver de façon nonchalante sur scène et de gueuler « Bonsoir Paris » alors que le concert est à Londres. Qu’il serait bon de sortir avec un top model de 18 ans qui ne comprend rien mais qui sait y faire. Qu’il serait bon de se faire photographier à St Tropez en train de faire le plein de son Yacht et de ses orifices nasaux. Qu’il serait bon de ne signer des autographes qu’aux filles mignonnes en prétextant un guitar elbow qu’il ne faudrait pas aggraver. Qu’il serait bon de se faire arrêter complètement arraché et poser pour le commissariat du XXe pour finir encadré à l’accueil.

C’est pour tout cela que la musique rythmait son quotidien, avec ce qu’il y avait de pire mais aussi ce qu’il pouvait y avoir de meilleur. Cette part de rêve dégageait un truc vraiment jouissif.


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