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Corpus christi
Publié le 08 mai 2010 par LejournaldeneonLE CORPS DANS TOUS SES ÉTATS D’ART.
(PROJET D'ASSISTANCE TECHNIQUE DÉDIÉE À MA FILLE AINÉE QUI S'IMAGINE QUELQUEFOIS QUE JE L'OUBLIE, SUR LA QUESTION D'UNE MEURTRISSURE IMMÉMORIALE, ET SES CONSÉQUENCES DANS LA PRODUCTION ARTISTIQUE OCCIDENTALE). Les conséquences d'une meurtrissure... et parce que j'ai aussi un peu de mal à dormir à quelques heures du départ d'une course pour laquelle je ne suis pas nécessairement suffisamment entraîné !
(En réalité, l’idée d’un Derrida plutôt difficile à commenter dans le détail, et cette volonté affichée d’essayer de sortir de ce bourbier au plus vite pour réussir à se concentrer sur la dernière saison de Desperate Housewives en streaming sur un écran 17"...)
Pour mémoire... (et il faut quand même bien essayer de se lancer un jour !) : La critique déconstructionniste représente l’idée selon laquelle la relation directe entre le signifiant (la forme d’un signe) et le signifié (le contenu d’un signe) ne tient plus pour structurer notre histoire de la métaphysique. À l’immobilisme de la structure, Derrida propose l’alternative d’une l’absence de structure, libérant ainsi le discours circonscrit depuis toujours à ce dogme, pour une aventure nouvelle de la parole où s’opéreront dorénavant des glissements de sens infinis.
Une explication qui vaut ce qu'elle vaut. Et vous pouvez toujours me faire part de vos remarques en temps utile.
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Bref ! Revenons alors à notre sujet du jour. Alors que dans l’antiquité on honore, on glorifie une certaine idée du corps parfait, athlétique, guerrier ; ces dieux comblés et invincibles, ces armées grandioses et victorieuses... La renaissance et l’anthropocentrisme qui l’accompagne, va tout changer, tout remettre en cause. La question de l’expression de la souffrance des âmes et celle des êtres de chair et de sang surtout. La question du martyr des corps devient de plus en plus, une des conditions sine qua non de l’œuvre d’art. Les thèmes picturaux se constituent et se multiplient, qui concernent le tourment, la peine, les meurtrissures, le supplice de l’homme sur terre... Voyez l’exemple fameux de « L'Enfer » (volet de droite du triptyque du « Jardin des Délices ») de Jérôme Bosch (1453-1516). Sa préoccupation pour l’humanité corrompue, condamnée à l'enfer éternel. Cet « Adam et Eve jetés du paradis » comme pilier d’ascendance ; le fondement, la structure de la vision des corps dans le monde occidental. Oui, c’est bien l’enfer et les limbes de la souffrance humaine qui fascine dès lors. Et c’est bien sûr : la passion du Christ qui captive d’abord les hommes du cinquecento, la crucifixion du fils du Dieu chrétien, comme ce « Martyr de Saint-Sébastien ». Ce « Barthélemy » peint par Miche Ange, portant sa propre dépouille dans la fresque du « Jugement dernier » ; « Judith décapitant Holopherne » (vers 1598) du Caravage... Mais aussi ces corps ensanglantés dans « L’incendie du bourg » (1514-1515), la fresque de Raphaël. Une véritable mue du statut occidental des corps, en marche.
Plus près de nous, « La porte des enfers » de Rodin (œuvre commandée en 1880 et jamais livrée), reprendra cette mue en marche sous le pinceau du maître de la Sixtine, comme un écho mille fois augmenté. Et le pire reste à venir ! L’imaginaire des corps, qui n’a pas fini de se transformer. Toute une rhétoriques du paysage humain à renouveler, comme ces corps bientôt... fragmentés d’un Magritte ; son « Evidence éternelle » (1930) ; ceux d’un Giacometti surréaliste après sa rencontre avec Breton, « la femme égorgée » (1932). Les corps, décomposés d’un Picasso, comme une question aux mille réponses possibles qui hante l’artiste. « Qu’est-ce qu’un corps ? semble demander cette école cubiste perméable à la psychanalyse naissante. À partir de quel point de vue l’évoquer ? Une question dont « Guernica » (1937) représente peut-être au vingtième siècle une sorte d’achèvement tragique. Des corps interrogés de l’intérieur, passés à la moulinette de leur propre mythologie (un continent entier de réponses toutes faites.) Un désert à explorer ; désintégré puis recomposé par l’art moderne et la pensée intellectuelle qui l’accompagne depuis Marcel Duchamp (sa rencontre avec Raymond Roussel...). Son « Nu descendant l’escalier » et plus tard sa « Mariée mise à nu par ses célibataires, même » (1915-1923, volontairement inachevée). Jean Dubuffet... « Le Métafisyx » (1950), désacralisant le nu féminin, « Changé en galette, aplati au fer à repasser ». Jean Dubuffet qui fissure l’icône, l’idole féminine jusqu’à la monstruosité.
Des artistes qui s’interrogent, qui enquêtent, jusqu’à prendre cette « décomposition » au pied de la lettre, à l’image de l’artiste française Annette Messagier (« Mes vœux, 1989) par exemple. Annette Messagier qui s’interroge sur la condition féminine et le statut de son propre corps ; une anatomie, comme un objet morcelé par le regard des hommes. Cette spécialité « photographique », puis « cinématographique »... qui découpe, fractionne le corps/cadavre pour donner du sens à cette vaste chambre froide du désir ardent. Une chorégraphie mortuaire, hiérarchisée et subordonnée au seul besoin de jouissance masculine. Où il serait question des corps de Godard alors ! Le cinéma moderne. Ce corps sur la toile, enfin libéré de ses chaînes académiques après 1945. Les corps de Jean Eustache. Ceux, de Cassavetes. Cassavetes qui selon Deleuze, « cherchait le courant qui aurait su passer d’un corps à l’autre ». « Cet enchaînement des attitudes, dit encore Deleuze, qui remplace l'association des images ». Le corps de Brecht, le Gestus de Brecht... cette attitude de l’anatomie, la coordination des attitudes entre-elles qui révèle le temps ou la pensée. Cette idée fixe à défaire, qui veut que le corps mis en scène fût infiniment plus vulgaire que l’image, noble, de la pensée. L’idée de la parole, du verbe comme instrument « sacré » du langage, par opposition à ce poids corporel compromettant, cette masse aliénée, confuse et embarrassante. Avec le cinéma moderne, Le verbe est devenu chair, et la chair ne tarde pas à reprendre sa fonction principale. Une décomposition des corps et leur recomposition comme pire instrument de terreur et de répulsion... Prenez Francis Bacon. Bacon qui peint non le corps lui-même, mais plutôt la sensation du corps. « des figures surgissant de leur propre chair » aimait commenter l’artiste irlandais. Bacon qui surgit dans un XXe, siècle se surpassant en massacres, en tortures et en horreurs de toutes sortes. « Une humanité qui se vomit elle-même » a écrit l’historienne Margherita Leoni-Figini à propos de l’œuvre du peintre. Des figures terribles, convulsées ; comme, oui, expulsées d’elles-mêmes... comme ces personnages défaits, démontés, décomposés, disparaissant de Beckett. « J’ai voulu peindre le cri affirme Bacon... plutôt que l’horreur ».
Et c’est pour finir, le corps véritable, le corps lui-même et non plus sa représentation, qui fait carrière aujourd’hui et depuis les années soixante sur la scène de l’art contemporain. Un corps outil, un corps support d’expression, véhicule de toutes les provocations, de toutes les revendications. Les « corps pinceaux » d’Yves Klein, le corps comme « toile vivante » chez Keith Haring. Les corps statues de Bruce Nauman... Là encore, le corps n’échappe pas à son chemin de croix. À l’exemple des souffrances volontaires que s’infligent des artistes comme Gina Pane ou Chris Burden « coupée au rasoir » pour l’une et « blessé par balle » pour le second. Martyr, absurde, peut-être ?... Les corps morts d’Andres Serrano, photographiés comme des natures mortes qui rappellent dit-on aussi ces vanités peintes par Théodore Géricault. Le corps dans touts ses états d’âme artistique, « sacrifié » comme la matière première de toutes nos blessures intérieures, de toutes nos écorchures. Non ! Le corps dans l’art, n’a pas fini de mourir pour nous aider à vivre un peu. Une transgression vitale. Le procédé peut-être d’un repoussoir nécessaire, indispensable.
NÉON™