Magazine Nouvelles

La Musique Adoucit la Mort II

Publié le 08 mai 2010 par Dirrtyfrank
La Musique Adoucit la Mort II

Marc Bolan se bat avec le pommeau de douche de façon électrique. Bernard était devenu le plus doué et le plus ambitieux chanteur de salles de bain de tout Paris. Dans son délire il s’était même aventuré à se produire dans sa chambre, sa salle à manger et même sa cuisine à l’acoustique déplorable. Il avait eu pendant longtemps un groupe de rock, un groupe de potes en fait. Mais il avait préféré tout laisser tomber. Les interprétations qu’il faisait de Meat Loaf ou de Def Leppard tenaient plus de la parodie que de l’hommage. L’objectif était d’éviter de devenir un Spinal Tap à la française. Depuis longtemps, il préférait faire virevolter les mélodies dans sa petite tête. Il voulait être son propre chef d’orchestre, il voulait que sa manière de les chanter soit le résultat des choses exaltantes du quotidien. Il voulait être tout seulement un musicien solitaire sans aucune envie de griller sous les spotlights. Il abandonna donc une carrière déjà avortée pour se consacrer au « Discorama Daumesnil », son magasin, son œuvre, son sacrifice. Ses coups de cœur n’appartenaient qu’à lui.

Ce matin, c’était spécial Johnny. Il en faut pour tout le monde et le plus grand rocker français n’était pas en reste. En même temps, quand on se réveille le matin, on est dépendant de plein de choses. De l’humeur de la journée, du temps qu’il fait, de ce que crache votre radio, ce que votre voisin met à fond pour impressionner le voisinage, ce que les roumains écorchent dans le métro pour vous grappiller quelques pièces…Bref, ce matin, c’était les 50 ans de carrière de Johnny et Bernard s’était réveillé avec Aimer Vivre.

Tu peux mourir demain – Quand la musique est là – Je veux te voir changer – Je veux te voir bouger – Je veux te voir crier ton plaisir – Je veux te voir vibrer – Et te voir te lever – Je veux te voir crier tes désirs – Aimer vivre

Une journée qui démarre sur les chapeaux de roues Harley Davidson. Direction le magasin pour répandre la bonne musique. C’était l’heure de la grosse livraison après le café et la première clope du matin. Bernard pressait le pas, les représentants des maisons de disques arrivent tôt, comme chaque mardi matin. Le livreur d’Universal Music est déjà là, à l’arrière du magasin, avec toute l’innocence du jeune premier qui veut faire carrière mais qui restera coursier toute sa vie. C’est lui qui ramène le plus de galettes depuis un bon bout de temps, en fait depuis que sa compagnie possède les ¾ de l’édition musicale en France (toutes les écoles où l’on apprend à chanter faux, c’est eux…). Ce petit gars de 17 ans, timide blondinet, qui avait reçu le premier prix de guitare au conservatoire, amenait le gros de la marchandise que Bernard devait écouler pendant la semaine. Grosse surprise quand il ouvrit les trois énormes cartons. Il n’y avait que des compilations de country de Memphis - Tennessee, des disques de Salvatore Adamo ou de la Compagnie Créole, et quand même, la plupart des disques de Johnny Hallyday depuis les années 60 et pleins de projets obscurs auxquels il avait participé. Ils étaient où les disques de rap, de trip hop, les poids lourds comme Mika et Lady Gaga. Une sacrée tuile pour le business. Une bonne engueulade éclata même si les deux savaient que ce n’était la faute de personne ci-présente. Mais dans ce métier, c’est ‘Welcome to the Jungle’, faut gueuler pour se faire entendre…

Après une période de haine concentrée sur les labels qui contrôlaient sans précédent l'industrie musicale en berne, la journée pouvait reprendre son cours presque normal. Bernard se remit au boulot pour satisfaire les premiers clients. Ils étaient de toute sorte, les matinaux de l'achat compulsif. Il y en avait toujours qui passaient en courant d'air, parce qu'ils étaient déjà en retard à leur boulot. D'autres venaient pour exorciser une nuit blanche à chantonner des paroles inconnues de Madonna et qui voulaient essuyer cet affront dès le lendemain matin. D'autres venaient parce qu'un disquaire, c'est typiquement un magasin où l'on peut glandouiller toute la matinée sans se faire chier. Bernard avait les yeux dans le vide, un sourire de satisfaction aux lèvres. Le petit incident de ce matin n'était qu'un vague souvenir- il en avait vu d'autres et surtout, il en verrait des pires. Son visage était radieux, la chaleur l'enveloppait de toute part et lui faisait même chaud au coeur. Dans un sursaut nerveux, il fut perturbé dans son demi-sommeil par un rayon de soleil provoqué par l'ouverture d'une fenêtre dans l'immeuble d'en face. Son regard fut attiré par un disque qu'il avait placé en ‘Opération Spéciale ‘. Le rayon de lumière s'était arrêté sur le deuxième disque de Macy Gray et sans plus attendre, une mélodie l'enveloppa.

Love is a desert and I need it to rain - You are so good at keeping me company.

Quelques phrases de Relating to a Psychopath lui trottinaient maintenant dans la tête en boucle. C'est fou...quand on fredonne un petit air, l'air de rien, on a toujours l'impression d'avoir la même voix que l’interprète. L'espace d'un instant, Bernard avait une voix black rocailleuse et, surtout, il avait une coupe de cheveux afro à la Jackson 5. Trêve de rêverie, il y avait déjà un peu de monde dans la cage aux lions. Et une tigresse était postée devant le magasin, elle regardait la vitrine qui exposait le hit des ventes de la semaine. Elle était magnifique, d'une beauté renversante. C'était la première fois qu'elle rentrait dans le magasin. Aucun doute, Bernard s'en serait souvenu.


Retour à La Une de Logo Paperblog