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La Musique Adoucit la Mort VII

Publié le 27 mai 2010 par Dirrtyfrank
La Musique Adoucit la Mort VII

Angie ne pouvait se douter de rien. Elle était loin d’imaginer que son futur mari et père de son premier enfant, avait des dons de voyance plus que contraignants. Touten préparant les festivités imminentes, elle ressentait la distance qui s’installait insidieusement dans leur couple. Bernard prenait plus de soin à noter les bribes de chansons qu’il fredonnait plutôt que de choisir le style des chaises pour la réception (et on connaît la joie non dissimulée des hommes dans ces moments d’une extrême importance). Angie ne savait pas ce qu’il fabriquait, toujours plongé dans son petit carnet rouge avec son stylo à la main. Il écrivait des mots bleus sans même ouvrir les yeux. Elle était en train de le perdre.

Angie décida d’accorder à son couple un moment de répit. Le lendemain, elle proposa à Bernard de faire un saut en parapente suivi d’une ballade dans une gorge escarpée, non loin du village de son enfance. Elle avait vu l’offre dans une des nombreuses pubs entassées dans la boîte aux lettres. Elle proposa l’idée à Bernard tout en finesse. Mais elle se frotta à une réaction violente quand elle lui annonça sa volonté de s’oxygéner durant le week-end. Elle vit Bernard fouiller avec fébrilité ses poches pour en sortir son petit carnet tout gribouillé, déjà en état de décomposition. Maltraité, censuré, plié, arraché, le fameux livret de référence en avait déjà pris un coup. On pouvait y ressentir tout le malaise que Bernard s’infligeait à longueur de griffonnage. Un œil furtif sur les dernières pages et le regard de Bernard s’assombrit encore plus en quelques secondes. Une rage insoupçonnée éclata de ses lèvres tremblantes. ‘Il en est hors de question. J’en ai marre de tes idées à la con. C’est vrai, quoi. Moi, je veux simplement qu’on me laisse tranquille et toi, ton boulot, c’est de venir me faire chier pour n’importe quelle raison?’. Dans son énervement, il tenta de remettre le fascicule dans sa poche. Mai un peu de maladresse le fit tomber juste devant les yeux d’Angie, elle attendit tout simplement que Bernard quitte la pièce pour pouvoir le consulter. Elle se dirigea directement vers la dernière page où elle décrypta cette mention, écrite d’une main tremblante:

And I’m gone, like I’m dancing on angels. And I’m gone, through the crack in the past. Like a dead man walking. Like a dead man walking.

La phrase était salie d’un énorme point d’interrogation, tracé avec un marqueur rouge baveux. Angie pensait avoir échappé à une catastrophe tragique, mais sans vraiment saisir de quoi il s’agissait. Ce qu’elle voyait surtout, c’était un couple au bord de la rupture. Son homme avait changé, Bernard était bien celui qui venait de l’insulter et de lui tourner le dos violemment pour un peu de sensations fortes. L’incompréhension de la situation, mêlée au stress de l’imminence d’un mariage bâclé et d’une grossesse devenue un poids, envahissait la pauvre Angie. Les semaines se suivirent et se ressemblèrent. La fissure devenait béante même si la jeune fille s’appliquait à rester concentrée sur les préparatifs de tout ce qui allait arriver dans les prochains mois. Mais le cœur n’y était pas. Elle savait pertinemment que tout cela ne servirait plus à rien. Bernard passait ses soirées, enfermé dans la chambre, à écrire, à fredonner, à chanter, comme possédé par les fantômes de son magasin de disques. Angie pensait partir mais elle l’aimait. Elle voulait l’aimer.

Un matin, Bernard sortit comme un fou de la salle de bains, ses yeux remplis de larmes. Il criait à qui voulait bien l’entendre. Il aurait fait peur à n’importe qui: ‘Non, non. Ne fais pas ça. Ce n’est pas possible. ANGIE…Tu ne peux pas me faire ça.’. Son humeur était affolante. On ne pouvait expliquer la puissance, la violence de sa voix. Les veines de son visage étaient au bord de l’explosion. Ses yeux n’attendaient qu’un geste d’approbation pour s’extirper de leur orbite. C’était indescriptible. Angie était affolée et évita de quelques centimètres les mains agitées que Bernard faisait balancer dans tous les sens. Elle eut tellement peur qu’elle ne pensa qu’à sa propre sécurité. La salle de bains lui tendait les bras. Elle claqua la porte avec détermination et mit le verrou. Elle s’accroupit. Une petite musique sans prétention sortait de la radio, diffusée par la radio mielleuse que Bernard avait imposée au moment de la douche matinale. La jeune Eve Angeli s’égosillait pour garder l’amour de sa vie.

Laisse moi un peu de toi. J’apprendrai à te retenir. Aime moi rien qu’une fois. Juste pour une heure, juste pour se dire. Que plus rien ne nous séparera jusqu’à demain. Laisse moi un peu de toi avant de partir.

Mais comment cette musique biodégradable d’ascenseur avait-elle pu mettre Bernard dans un état pareil? L’amour n’était plus qu’un lointain souvenir. Ils ne pouvaient plus se comprendre. Malgré le mariage, malgré l’enfant, Angie savait maintenant ce qu’elle devait faire. Juste être loin de Bernard qui était définitivement devenu un danger public. Bernard comprit très vite que l’affaire était close après son esclandre. Pas un mot, pas une discussion, encore moins de pleurs ou de lamentations. Il laissa Angie préparer ses affaires dans ses cartons piqués au magasin. Quelques vieux souvenirs étaient sur le dessus, comme le disque de Frank Zappa qui avait été le déclencheur de leur histoire. Avec une couverture en plastique, elle protégea aussi les quelques meubles qu’elle avait chinés dans les braderies aux alentours. Bernard savait qu’il allait regretter cette poussière qui s’accumulait sur ces vieux débris bancals.

Mais il repensait surtout à cette réaction incontrôlable. Cela l’attristait vraiment. En même temps, sa logique musicale implacable n’acceptait aucun remord. Si cette chanson était passée au moment même où il alluma la petite radio waterproof, ce n’était pas un hasard. Et puis, il fallait se rendre à l’évidence d’une chose très simple. Une chanson d’amour n’amène pas que des heureux événements, surtout quand elles finissent mal.


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