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La Musique Adoucit la Mort VIII

Publié le 30 mai 2010 par Dirrtyfrank
La Musique Adoucit la Mort VIII

Plusieurs semaines s’écoulèrent comme du papier d’orgue de Barbarie. Rien que de la mécanique, cruelle et sans âme. Bernard tournait en boucle, ressassait les mêmes choses, il ruminait: peut-être Angie aurait compris la situation si Bernard lui avait expliqué ? Peut-être l’aurait-elle traité de fou ? Peut-être aurait-elle cru à un énorme mensonge pour se débarrasser d’elle? De toute façon, maintenant, il était trop tard et il fallait mettre un terme à cette comédie, seul. En avait-il le courage ? Pas dans son état actuel. Jusqu’au jour où sa petite voix déchirée se mit à imiter Lauryn Hill et sa langueur fatiguée des ghettos d’Haïti.

I gotta find peace of mind - I gotta find peace of mind - He says it’s impossible…but I know it’s possible - He says it’s impossible…but I know it’s possible

Elle avait raison. Il fallait agir pour ne plus subir le joug du désespoir. Il était temps de se prendre en main et de placer une note finale à cette histoire. Car la vie avançait et même si Bernard pouvait l’anticiper, il savait qu’il passait largement à côté de ses bons côtés. Un médecin spécialisé s’imposait et, après de nombreuses recherches, l’un d’entre eux ferait sûrement l’affaire : Pr Willard, spécialiste des maladies neurologiques liées au son. La perle rare que Bernard aurait dû consulter il y a un petit bout de temps. Et s’il s’appelle Hervé, c’en était vraiment fini de cette vie de malheur. A la découverte de ce médecin, Bernard pouvait enfin se regarder dans le miroir, tout en chantonnant le tube planétaire du regretté Michael Jackson.

I’m gonna make a change - For once in my life - It’s gonna feel real good - Gonna make a difference - Gonna make it right

Le rendez-vous fut fixé un peu plus de 9 semaines et demie après. On dit toujours que les périodes d’attente pour les rendez-vous médicaux sont un gage de sérieux. Plutôt bon signe. Bernard eut tout le temps de s’apitoyer un peu plus sur son sort et de préparer ce qu’il allait expliquer à Willard. A défaut de précision, toujours cette musique. Cette satanée musique qui, bien heureusement, n’était pas toujours désagréable. Mais quand même. Bob Marley à longueur de week-end, c’est un truc à vous faire pousser des dreadlocks.

Won’t you help to sing - these songs of freedom - ‘Cause all I ever had - Redemption songs

L’incessante prière rasta de Bernard était enfin exaucée. La rencontre avec le médecin allait se dérouler dans quelques minutes. De grands espoirs faisaient briller ses yeux épuisés. Dans la sale d’attente, tout revenait à sa mémoire, toutes les chansons, pas une ne manquait. Il avait l’impression qu’une échappatoire était enfin possible et que le professeur Willard allait l’aider à se retrouver. La grande pièce tapissée de rouge l’enveloppait comme un cocon. Un grand siège en cuir véritable lui recouvrait presque les épaules, l’enveloppant d’une attention particulière. Il était seul dans la salle d’attente. La porte s’ouvrit lentement. L’ombre d’un petit homme se distingua en contre-jour.

Un seul geste suffit pour inviter Bernard à s’avancer et à s’installer derrière l’énorme bureau. Un néon clinquant dénotait sur le mur, il affichait ‘The World is Yours’. Etrange et tape-à-l’œil au milieu des tableaux beaucoup plus anciens. En même temps, un message positif est toujours bon à prendre. Après avoir raconté du mieux possible son histoire, Bernard marqua une pause pour permettre au professeur de noter au mieux tous les détails de son malaise. Sa réaction fut visiblement circonspecte, un nouveau combat à mener contre les méandres de l’esprit humain. Après quelques minutes de recueillement et de réflexion, le professeur Willard commença à s’exprimer :

- ‘Ecoutez, je dois bien avouer que votre situation est encore un mystère pour moi. Après mes nombreuses années d’expérience, je n’ai jamais eu un tel problème à traiter, il s’agit d’un sujet très motivant pour un homme de sciences. Vous avez bien fait de venir me voir. Ça me rappelle toujours cette histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de 50 étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute, ils se répète sans cesse pour se rassurer. Jusqu’ici, tout va bien… jusqu’ici, tout va bien… jusqu’ici, tout va bien. Mais l’important, c’est pas la chute, c’est l’atterrissage. Et bien vous, vous avez eu la présence d’esprit de venir bien avant l’atterrissage et je peux vous promettre que d’ici très peu de temps, vous serez d’aplomb. Je commence déjà à entrevoir ce qui pourrait vous guérir et je vous propose de commencer dès maintenant. Nous avons installé, depuis peu, une chambre aphone dans un petit laboratoire au 2ème étage de cet immeuble. En quelques mots, dans cette chambre, aucun son ne peut être émis. Je peux vous le garantir, de là personne ne vous entendra crier…vous ne vous entendrez même pas vous-même. Je pense que nous pourrons, de cette manière, éradiquer le fait que vous chantonniez vos prédictions. Dans cet endroit, où vous serez sous contrôle médical absolu, il vous sera facile de vous reposer et de faire le vide. Je vous propose donc de me suivre’.

Après avoir équipé Bernard de toute une batterie de capteurs, le docteur Willard invita notre cobaye consentant à pénétrer dans le sein des seins. Une chambre totalement blanche, molletonnée et bien flippante à souhait. Dès que la porte, épaisse de plus de 45 cm se referma, plus aucun bruit ne put échapper de n’importe quelle façon que ce soit. Un petit canapé avait été placé au milieu de la pièce, le silence qui avait investi l’endroit avait amené Bernard à s’allonger paisiblement et à fermer les yeux. Aucun son ne lui titillait les oreilles. Aucune chanson ne lui venait à l’esprit. Aucune mélodie ne venait lui taquiner le bout des lèvres. Il était dans une sorte de paradis blanc. Un monde qui l’allégeait de toutes ses douleurs. La séance parut durer des heures, des heures de liberté sensorielle. Son esprit ne s’était jamais senti aussi libre …jusqu’à ce que le professeur Wilard ouvre la cabine pour le sortir de sa torpeur.

- ‘Bernard, Bernard, susurra le docteur Vilard. Le dormeur doit se réveiller. Il est dangereux de passer plus de 15 minutes dans le silence le plus total. Cela vous a fait du bien, j’ai pu l’observer par les caméras qui sont installées dans la chambre. Vos traits sont devenus en quelques minutes plus calmes et plus sereins. J’en suis ravi. D’autant plus que sur le point physiologique, vous avez parfaitement bien réagi. Le cœur, le cerveau, la respiration. Vous m’avez rencontré à un étrange moment de votre existence mais tout va bien se passer. Ce que je vous propose, c’est d’établir un véritable programme. Au fur et à mesure, je vous donnerai une prescription médicamenteuse pour vous soulager entre les visites. Pour l’instant, je préfère ne rien vous donner, jusqu’à la prochaine séance. On va essayer comme ça pour l’instant. Allons-y progressivement. Allez, au revoir Bernard, à la semaine prochaine’.

Alors que Bernard sortait du bâtiment, le professeur Wilard eût un très mauvais pressentiment. Il s’en voulait pour quelque chose et voulait observer son patient pour voir si tout allait bien. Il vit sortir Bernard, tout souriant, complètement serein, faisant quelques mètres pour se diriger tout droit vers le métro. En un instant, le visage de Bernard se durcit, un début de douleur insupportable l’emprisonna, lui pressa la poitrine. Bernard était de toute évidence victime d’une crise cardiaque. Le professeur Wilard ne bougeait même pas, prenant la chose comme une fatalité. Il regardait, l’air triste, cet homme qui voulant se sauver de sa condition difficile, s’était en fait privé de ce qu’il avait le plus cher au monde, de ce qui faisait battre son cœur depuis sa naissance : la musique. Le silence infligé dans la chambre aphone avait été fatal. Son futur était devenu silencieux.

Quelques phrases bien connues des amoureux de cinéma lui échappèrent. L’horreur, l’horreur. L’horreur a un visage et il faut se faire une amie de l’horreur’. Comme à son habitude.


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