Magazine Humeur

Sur l'économie (quatre)

Publié le 01 juin 2010 par Saucrates

Réflexion dix-huit (31 mai 2010)
Les problèmes de dette et la loi de Gresham ...

Le Monde a attiré mon attention en intitulant un de ses articles : «Les bonnes dettes chassent les mauvaises dettes» dans une allusion amusante mais inversée à la célèbre loi dite de Gresham «La mauvaise monnaie chasse la bonne». Il m'a alors paru intéressant de revenir sur ce paradoxe historique, mais qui n'est peut-être aussi peu sans intérêt de nos jours, où la valeur comparée des monnaies est toujours un sujet de brûlante actualité ...
http://www.lemonde.fr/economie/article/2010/05/29/les-bonnes-dettes-chassent-les-mauvaises-dettes_1364937_3234.html
La version développée par la journaliste du Monde (Camille de Vergès) consiste à relever que les (bonnes) dettes publiques française (tout particulièrement) et allemande bénéficient d'une demande soutenue de la part des investisseurs internationaux dont l'effet sur les taux de rendement offerts est favorable à ces états, puisque l'excès de demande entraîne une baisse des rendements. Pendant ce même temps, les (mauvaises) dettes espagnoles et portugaises doivent rémunérer plus fortement les investisseurs, subissant un désintérêt de leur part. Greffer sur un article assez aride un titre particulièrement accrocheur et surtout ouvertement faux économiquement parlant permettait de lui donner une certaine accroche.
Que disait la loi de Gresham ? Thomas Gresham est un commerçant et financier anglais du seizième siècle (1519-1579). L'histoire a donné son nom à cette théorie qui veut que «la mauvaise monnaie chasse la bonne» (Oresme et Aristophane sont supposés avoir démontré cette loi bien avant lui). Cette loi signifie que lorsqu'il y a deux monnaies en circulation dans une même économie, les agents économiques thésaurisent la «bonne» monnaie et n'utilisent plus que la «mauvaise».
http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Gresham
http://www.lafinancepourtous.com/IMG/pdf/1_Loi_de_Gresham.pdf
http://www.les-cercles.fr/economie-societe/politique-eco-conjoncture/221130418/plan-de-secours-europeen-et-loi-de-gresham
http://www.sacra-moneta.com/Actualites-numismatique/Comment-la-bonne-monnaie-chasse-t-elle-la-mauvaise-monnaie.html
Cette théorie économique expliquait un phénomène ancien qui paraissait assez inexplicable, qui voulait que lorsque, parmi deux monnaies, l'une était reconnue par tous de moins bonne qualité que l'autre, la «bonne» monnaie avait tendance à disparaître, et seule la «mauvaise» monnaie était échangée, alors que le sens commun aurait apparemment voulu que la «bonne» monnaie soit préférée par toutes les parties pour les paiements. Cette théorie s'est observée notamment tant que les économies occidentales ont fonctionné dans un système monétaire dit de bimétalisme (or et argent avec un rapport fixe entre les deux métaux).
La question peut être de savoir si la loi de Gresham est encore valable aujourd'hui, notamment dans un système dit «fiduciaire» (reposant sur la confiance). Elle s'observe notamment encore en période de forte inflation pour les pays qui connaissent ce genre de situation. Elle s'observe aussi à une moindre échelle avec les pièces en francs ou en euros en or et en argent, qui ne sont que très rarement utilisées dans les échanges commerciaux. Ces pièces sont immédiatement thésaurisées par ceux qui les reçoivent, alors pourtant que leur valeur faciale est de très loin supérieur à leur contenu en argent ou en or. Ce phénomène est simplement une conséquence de la loi de Gresham. Une autre présentation de cette même loi repose sur la constatation que la «mauvaise» monnaie brûle les mains de ceux qui la possèdent, qui tentent alors de s'en débarasser le plus vite possible. Si vous avez deux monnaies différentes entre les mains, et que vous pensez que l'une perd de la valeur à chaque seconde qui passe (c'est cela une «mauvaise» monnaie), vous aurez alors envie de vous en débarasser le plus vite possible, quoi que ce soit que vous achetiez, quelque soit sa valeur ... D'où des phénomènes d'inflation puis d'hyper-inflation ... Si cette deuxième «mauvaise» monnaie ne perd pas trop de valeur, la pression pour s'en débarasser «à tout prix» est moins importante, mais les personnes préfèreront se débarasser de celle-ci en premier avant d'utiliser la «bonne» monnaie.
Dans la situation actuelle de l'euro, la faiblesse de l'euro par rapport au dollar pourrait le faire considérer comme une «mauvaise» monnaie ; les investisseurs pourraient alors avoir intérêt à placer leurs économies en dollars si l'euro continuait à diminuer sans s'arrêter face au dollar ... Même si accessoirement cette faiblesse de l'euro serait considérée par certains comme une bonne nouvelle pour les entreprises exportatrices européennes (ne pas oublier que les entreprises ont avant tout besoin d'un cadre monétaire stable pour travailler plutôt que des monnaies qui baissent ou qui montent) ...
La loi de Gresham appliquée au marché des dettes publiques ? Au fond, elle doit s'appliquer de la même manière. Dans le cas d'une monnaie, la loi de Gresham repose sur l'idée qu'il y a un excès d'offre de la «mauvaise» monnaie et un excès de demande de la «bonne» monnaie, qui fait que toute la «bonne» monnaie en circulation est immédiatement captée ou thésaurisée. Mais une monnaie ayant par définition cours légal imposée, elle ne peut être refusée comme moyen de paiement dans les échanges et est obligatoirement acceptée.
Dans le cas des dettes publiques, la situation est semblable avec un excès de demande pour les «bonnes» dettes et une insuffisance de demande (soit un excès d'offre) pour les «mauvaises» dettes, qui ne disposent par ailleurs d'aucun pouvoir de moyen de paiement pour pouvoir être utilisés dans un autre rôle. Seuls les fonds spéculatifs et les OPCVM à court terme (monétaires), qui ne conservent des titres de dettes que sur de très courtes périodes de temps, à la manière d'une monnaie (portant intérêt) sont intéressés par ces titres, mais cette utilisation a tendance à accroître la vitesse de rotation de ces «mauvaises» dettes et donc l'offre apparente de ces titres. Si nous n'étions pas dans une situation de fortes émissions de nouvelles dettes par les meilleures signatures de la zone euro (France et Allemagne), qui trouvent facilement preneur, mais si au contraire le volume de leur dette diminuait, nous observerions alors un effet inverse où les «bonnes» dettes auraient tendance à disparaître des échanges, et où seules les «mauvaises» dettes seraient échangées ...
Ce qui permettrait de titrer de manière inverse le titre de cet article du Monde : «les mauvaises dettes chassent les bonnes dettes». De telle sorte que ces titres ne sont ni faux ni vrais ... ils ne sont vrais que dans une situation très particulière ...

Saucratès
Autres écrits sur le sujet :
1. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2006/09/03/sur-l’economie-redite.html
2. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2007/07/04/sur-l-économie-deux.html
3. http://saucrates.blogs.nouvelobs.com/archive/2009/03/29/sur-l-economie-trois.html


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