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Retournement de Situation

Publié le 06 août 2010 par Dirrtyfrank

Mon grand-père n’a jamais été quelqu’un comme les autres, loin s’en faut. Il a toujours été un homme à part. C’est souvent ce qu’on dit des gens qui ont marqué votre petite vie encore en mouvement. Mais c’est vrai qu’il m’a donné des choses que je n’oublierai pas. Il a souvent laissé trainer un voile délicat sur son histoire à lui, sur sa vie chahuté et sur ses humbles occupations. Les détails n’intéresseraient que ma famille, les proches et certains voisins un peu trop curieux.Mon grand-père n’a jamais été quelqu’un comme les autres, loin s’en faut. D’ailleurs, je prie chaque jour pour que l’hérédité ne m’ait pas épargné de tous ses bons côtés. Je voudrais en son hommage, regarder en arrière, me retourner sur mon passé et écrire ces quelques lignes ponctuées, ça et là, de l’amour que je lui porte et que je lui porterai à jamais.

Sa dureté de langage et donc sa manière élégante de déstabiliser les gens faisaient de lui un homme plus respecté que respectable, autant pour les amis qui le supportaient dans le village, que pour sa famille qui entretenait un rapport ambivalent avec lui. Entre amour et haine, entre ombre et lumière, entre coups de gueule et baisers sulfureux. Il n’était pas rare que certaines personnes ne veuillent plus le voir pour des raisons aussi diverses que variées. Lui-même s’amusait beaucoup à clamer qu’il fallait accepter que les personnes vous tournent le dos. Ses volte-face et ses changements d’humeur avaient fait le tour des marchés et autres bancs publics. Cela avait alimenté pas mal de discussions dans les bistrots, un verre à la main, jusqu’au bout de la nuit.

C’est sûr, de son vivant, il m’a souvent fait tourner en bourrique pour des conneries, on s’est souvent chamaillé pour des certitudes qui n’avaient finalement aucun fondement. C’est ce que certains intellectuels ont voulu nommer « le conflit des générations ». Eh ben, il avait bon dos le conflit des générations. Mais merde, c’était quand même mon grand-père et je n’avais jamais voulu le mettre à l’écart de ma vie. Quand mon couple était sans dessus dessous, il m’a hébergé pendant trois mois, m’expliquant, tour à tour, les désespoirs et les joies procurées par toutes les femmes qu’il avait connues. Son expérience de la vie et ses erreurs passées qu’il acceptait sans problème, me remontaient le moral très rapidement. Et ça, je vous jure, il m’a bien aidé à me relancer. Il m’a surtout aidé à y voir toujours plus clair. Pas question de faire l’autruche et de me cacher la tête pour oublier mes problèmes. Il n’aurait jamais accepté pareille attitude de ma part.

Ce qui m’a le plus marqué dans la vie de grand-père, c’est sa mort. Ce qu’il a fait dans les derniers instants d’une vie bien remplie, ça m’a vraiment retourné. En fait, pour mieux vous expliquer, il faut que vous vous imaginiez un film, quel qu’il soit, et vous pouvez vous tourner vers n’importe quelle style ou genre, vous allez tout de suite me comprendre. A chaque fois qu’un mec meurt dans son lit, qu’il va rendre son dernier soupir et qu’il va dire où il faut creuser pour trouver le trésor, il est allongé sur le dos. Il a la nuque bien calée sur des coussins moelleux avec de chaudes couvertures jusqu’aux oreilles. Ses proches le regardent comme si c’était la dernière fois (et c’est, en général, vraiment la dernière fois).

C’est quand même bizarre que tous les scénaristes et les réalisateurs du monde aient décidé de faire crever tous ces mecs sur le dos. Les cerveaux, soit disant les plus créatifs de la planète, qui aiment toujours prendre les spectateurs à contre-pied, n’ont jamais imaginé autre chose. Eh ben, ces génies du récit, ils ont toujours fait crever les personnages sur le dos quand ils se trouvaient dans leur lit. C’est quand même incroyable, quand on imagine à quel point ils tournent et retournent leurs histoires dans leurs têtes, et ça parfois pendant des années. C’est un peu sans queue ni tête. Et surtout avec un manque total d’imagination.

Eh ben, mon grand-père, au lieu de dire où était le trésor à sa chère et tendre, il avait décidé que c’était lui le trésor et qu’il savait très bien dans quoi on allait l’enterrer. Du coup, vous savez ce qu’il a fait mon grand-père? Il s’est retourné sur son lit. Il est mort sur le ventre et il a regardé la terre, droit dans les yeux. Mon grand-père, il a toujours adoré les retournements de situation…

Dick Fosbury


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