Cela faisait un petit moment que je n’arrivais plus à faire surface. Mon boulot, mes relations amoureuses, mes parents, mes amis et ceux qui prétendent en faire partie: les problèmes dans ma vie s’accumulaient. Ma vie était loin du fleuve tranquille de mes jeunes années. Je n’avais plus aucune prise sur ce qui m’entourait. Je m’engluais …tout doucement. Tout simplement, sans me morfondre sur mon sort, je pédalais à en perdre haleine. Je ne touchais plus le fond. Un abyme qui m’aspirait sans qu’aucun de mes mouvements désespérés ne puissent m’aider à m’en sortir. Bref, c’était la merde.
Mes conversations devenaient incohérentes. Mon flot de parole était pourtant intarissable, mais j’avais du mal à organiser mes phrases. Je me perdais dans des pensées houleuses. Je parlais pour combler les trous d’une existence en train de s’effriter. Je ne me rendais plus vraiment compte de ce que je disais, c’était comme si mes paroles venaient d’un corps étranger. Et plus personne n’écoutait ce que j’avais à dire, non par dédain, mais bien parce que la substance même de ce que je disais devenait un vomi visqueux de tous mes problèmes égocentriques dont personne n’avait franchement rien à foutre. Ça y est, je vous ai perdu en route. C’est mon drame. En fait, nous sommes dans une société qui reste exclusivement tournée vers la réussite personnelle. Ma carrière, ma famille, ma réussite, mon moi. Le véritable émoi, le vrai truc qui fait tourner le monde. Et moi, je ne savais plus qui était vraiment mon moi à moi. Autant vous dire qu’il y avait un sacré bordel dans ce qui restait de tangible dans mon petit cerveau fatigué, dans ma petite vie en liquéfaction.
Finalement je n’en veux à personne, et surtout pas à vous. Un peu plus à moi et quand même un peu beaucoup à Claude François (trop tôt pour vous expliquer). Toute cette introduction un peu vaseuse n’a qu’un seul but. Tout cela débouche sur une chose très simple. J’avais décidé de mettre fin à mes jours. Ma décision était prise. Et dans mon cerveau en démolition, je voyais le démantèlement de mon bateau à la dérive…
Le suicide était devenue la seule issue à mes nombreux troubles. En tout cas, j’en étais profondément convaincu. Beaucoup disent que mettre fin à ses jours, c’est accepter la destinée, se laisser aller à la facilité, plier l’échine devant les difficultés de notre petite vie sans importance. C’est un acte désespéré que peu de gens comprennent parce que notre société judéo-chrétienne l’a définitivement banni de notre environnement consensuel. La vie serait trop précieuse pour que l’on s’en sépare. Pour beaucoup, ce n’est qu’un acte ultime pour lâcher prise et se laisser dériver dans l’au-delà. Soit. C’est la mienne, j’en fais ce que je veux. Moi, je ne suis pas d’accord avec les préjugés véhiculés par nos manières bien-pensantes. Le suicide, c’est tout le contraire. Pour moi, c’est un acte de bravoure. Un acte de bravoure « dissimulée » peut-être. Bravoure qui ne se dessine que par un seul acte, non des moindres surtout dans des moments aussi décisifs. Il s’agissait surtout de CHOISIR.
Choisir comment faire, choisir comment ne pas se louper. Parce que le plus délicat, ce n’est pas de se dire que vous voulez mourir parce que cela, à priori, c’est acquis. Le plus ardu est de sélectionner la manière avec laquelle vous serez sûr que vous y arriverez. Et ça, c’est une décision forcément courageuse. Tenez, vous, par exemple. Vous êtes-vous déjà posé la question ? OK, vous êtes un bon vivant mais vous avez quand même eu envie de lire cette nouvelle, alors posez-vous la question. Quel putain de moyen choisir pour mettre fin à ses jours ? Les choix sont multiples, complexes, peu évidents ou parfois trop. Les choix sont pléthores, du plus trouble au plus limpide. Je les ai tous passé en revue mais aucun ne me semblait vraiment efficace. Je les ai tout de même rangé, bien alignés au garde à vous sur ma petite feuille blanche, pour y mettre en face les + et les - :
-La pendaison, haut et court, tout net, avec les pieds qui pendouillent bêtement dans le vide. Je n’y voyais que des aspects négatifs : je ne supportais déjà pas les cols roulés en hiver, je n’avais pas de corde assez solide chez moi et surtout, je ne savais pas à quoi l’accrocher pour que cela tienne sérieusement. Si, en plus de la décision de se suicider, il fallait réaménager l’appartement, c’était quand même paradoxal. Je n’avais pas envie de me faire chier pour le plus grand bonheur du locataire suivant.
-L’empoisonnement était excitant, même sur soi-même. Le mix explosif ‘médicaments / alcool’ avait toujours un côté glamour. Plutôt agréable si on choisit une bonne bouteille mais, côté médicaments, j’étais allergique à pas mal de choses. Déjà que l’aspirine me donnait de l’urticaire, imaginez un peu le Xanax-whisky à haute dose.
-L’asphyxie paraissait intéressante. Mais ma mère m’avait interdit de prendre un abonnement à Gaz de France. « Trop dangereux. Imagine si tu l’oublies avant de sortir de chez toi » qu’elle me disait, toujours positive. Un truc de famille. Quand je pense que maintenant, elle n’en a rien foutre. Aucune nouvelle depuis 6 ans. J’aurai peut-être dû l’appeler après son deuxième mariage foireux avec le mec des pompes funèbres de Rivière, ville sans importance du Pas-de-Calais. Affaire classée.
-La défenestration est assez sympathique à condition de vivre au moins au 2ème étage pour un minimum de réussite. Un truc con, j’avais un putain vertige et je ne voulais pas être trop défiguré pour les photos de l’autopsie (on a beau avoir envie de mourir, on peut garder une certaine élégance ‘post-acte décisif’).
Il ne me restait pas beaucoup de solutions. J’avais même l’impression qu’il n’y avait pas de solutions. Comme quoi, c’est pas facile. Trouver une solution, trouver une solution, je ne pensais qu’à ça et j’avais l’impression de me noyer dans un verre d’eau. Et ben voilà, mon couillon, c’est pourtant simple. Je l’avais la solution : me noyer dans un verre d’eau. Il suffisait juste de trouver un verre d’eau assez grand pour m’y noyer (ça a l’air technique, vous allez peut-être ramer un peu, mais je suis sûr que vous allez tout comprendre).