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Touché...Coulé III

Publié le 21 août 2010 par Dirrtyfrank
Touché...Coulé III

Après 2 jours ou presque, la baignoire était bien remplie. Je restais encore pleinement serein sur ma destinée. Le soleil commençait un peu à me manquer. J’avais consciemment obstrué le Velux pour être sûr de ne pas avoir envie de l’ouvrir par mécanisme ou par désespoir. Heureusement une légère fissure me permettait de me sentir encore vivant. Un simple filet de lumière traversait la pièce. Je pouvais ainsi me rendre compte si il s’agissait du jour ou de la nuit, donc d’essayer de me repérer dans l’espace-temps-volume. On était bien loin du luxe d’une chaise longue sur le ponton du Titanic même si le bouquet final allait être passablement le même. D’ailleurs la baignoire n’allait pas à tarder à déborder par endroits. Le bruit des gouttes commençait à m’être familier. Je ponctuais la mélodie lancinante des gouttes s ‘écrasant sur l’émail par des raclements de gorge et des éternuements. J’avais attrapé la crève. Pas de chance. Les mouchoirs étaient maintenant trempés, j’expulsais la morve en un geste rapide de la main et je les balançais directement dans l’eau. Comme tout le monde à la piscine finalement. Mon environnement me semblait tellement familier. Je m’y sentais comme un poisson dans l’eau.

Malgré tous mes efforts pour réchauffer l’atmosphère, l’ambiance devenait vraiment humide et malsaine. Je commençais à comprendre que le choix que j’avais fait ne serait pas forcément de tout repos. Le bas de mon pantalon était maintenant trempé, je décidais donc de l’enlever en me posant des questions existentielles sur mes chaussures qui étaient passés à la trappe depuis longtemps. Puis finalement j’ai tout remis. Quitte à être mouillé, à terme, il fallait assumer. Je décidai même de m’allonger un temps dans la baignoire qui sentait déjà le jus de chaussettes sales. Peut-être pour m’habituer à vivre sans bouée de sauvetage.

Ma baignoire continuait de déborder et laissait couler par intermittence des petites chutes d’eau très esthétiques sur le carrelage, reflétant la lumière de mon plafonnier qui fonctionnait encore. En commentant ce passage presque romantique, je voudrais remercier mon beau-frère Jean-Paul qui s’est occupé du système électrique et qui a donc parfaitement étanchéifié les câbles et les prises. J’étais très bien installé ici malgré le côté vétuste de l’endroit. J’en oubliais presque les raisons qui m’avaient enfermés dans cette salle de bains franchement dégueulasse. Je commençais à prendre sérieusement l’eau. Mes pieds prenaient l’eau, mes mollets prenaient l’eau, mes objets personnels prenaient l’eau, ma tête prenait l’eau, mon moral prenait l’eau. En fait, mon petit vélo dans ma tête devenait pédalo et lui aussi prenait l’eau. Et ce bruit qui me hantait. Plic…ploc…plic…ploc…Il m’envahissait au plus profond de moi-même. A ce moment, j’aurai donné toute l’eau du monde pour que mon robinet me réponde ploc…plic…ploc…plic et que ma salle de bains commence à se vider. Ils ne resteraient alors que quelques endroits un peu humides, même carrément attaqués par la pourriture. Rien de bien grave. Un coup de Karcher® et les futurs locataires n’y auraient vu que du feu. Et merde, ça recommence, je délire. Reprends tes esprits. Ton robinet t’adresse la parole, avec encore plus d’insistance qu’au début: plic…ploc…plic…ploc…

Plusieurs semaines s’étaient maintenant écoulées et je m’étais recroquevillé sur le lavabo, qui était maintenant un des derniers éléments encore épargné par le marasme. Je voyais flotter, de l’autre côté de la pièce, le calendrier des pompiers, sur lesquels je pouvais apercevoir des photos de chatons (ils avaient l’air échaudés d’être impliqués avec moi dans ce naufrage). D’après mes calculs encore approximatifs, nous étions un vendredi. De là où je me trouvais, ce dernier endroit encore sec qui surplombait la masse d’eau, j’étais devenu un naufragé sur mon île perdue au milieu de nulle part. Cela faisait plusieurs jours que je ne me rasais plus. Un signe. De toute façon, le miroir allait être immergé à un moment ou à un autre. Il valait mieux s’habituer à ne plus vérifier son image ou à la voir de manière déformée. Je me faisais rire dans cette situation ubuesque : merde, j’avais aussi oublier de me laver les dents depuis plusieurs jours. J’étais un peu en train de craquer. Parfois j’éclatais en sanglot, ce qui ne faisait que rendre ma situation plus problématique. Alors je retrouvai vite mon calme pour ne pas aggraver la situation. Mais ce qui me gênait le plus, c’est que j’avais du mal à me concentrer sur ma véritable envie d’aller jusqu’au bout de mon triste dessein. J’avais choisi cette façon de mourir pour pouvoir réfléchir. Mais mon instinct de survie m’empêchait d’avoir les idées claires comme de l’eau de roche. La musique du robinet se faisait moins présente. Je croyais que je commençais à l’oublier mais en fait, le système était maintenant complètement immergé. Je décidais donc de prendre mon pommeau de douche et de l’accrocher au plafond. Ainsi, ce bruit qui m’était hostile depuis le début de mon lent suicide, était devenu mon meilleur allié. Le pommeau était devenu le seul objet qui s’exprimait encore dans ce silence abyssal. Je ne pouvais plus me permettre de ne plus l’entendre. Il était devenu un élément de mon horloge biologique et mon repère sur le temps qui passe. Plic…ploc…plic…ploc…

Maintenant que le bruit était réapparu et que je m’étais hissé le plus haut possible, mon ventre se tordait de douleur. Et ça a l’air con mais je commençais à avoir soif. J’aurais tout donné pour un bon Perrier bien frais, une bonne bouteille d’eau gazeuse, un verre bien frais avec un petit parapluie « arc-en-ciel », narguant la petite rondelle de citron vert. ‘L’eau. L’air. La vie’. Le premier élément, j’en avais à revendre, le deuxième commençait à s’amenuiser. Le troisième, mon plan avait prévu de l’écarter définitivement. De toute façon, l’abondance du premier et la négligence du deuxième allaient forcément me faire perdre le troisième. Et puis cette bouteille tant désirée m’aurait permis de lancer un message désespéré au livreur de sushi qui était au coin de la rue. J’avais très faim. Mes boîtes de poissons panés étaient presque vides et celles qui me restaient, flottaient à la surface…complètement inconsommables. Je trouvai alors une technique infaillible. Je me disais pour me faire tenir le coup que j’étais en possession d’un stock important de champignons. Et je rêvais en silence : champignons en salade, champignons à la grecques, champignons farcis…Mais les seuls qui avaient vraiment le droit de manger, c’étaient pour l’instant mes plantes de pieds. Plic…ploc…plic…ploc…


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